Face au géant américain que représentera
« Google Print », la riposte européenne s’organise.
PARIS - Le 16 mars, une mission préparatoire dédiée au projet de bibliothèque numérique européenne a été officiellement lancée, entérinant la réaction française menée par Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce dernier, auteur d’une vigoureuse tribune parue dans les colonnes du quotidien Le Monde puis d’un bref essai (1), avait en effet appelé à un sursaut européen après que Sergey Brin et Larry Page, fondateurs du moteur de recherche américain sur Internet Google, ont annoncé en décembre 2004 leur projet de création d’une colossale bibliothèque numérique (2). Baptisée « Google Print », celle-ci devrait réunir d’ici six ans plus de quinze millions d’ouvrages issus de prestigieuses bibliothèques anglo-saxonnes (bibliothèques universitaires de Stanford et du Michigan, Widener de Harvard, New York Public Library et Boldeian Library d’Oxford). Face à ce « choc stimulant » et à cette menace d’un unilatéralisme anglo-saxon de la culture, le président de la BNF prenait donc ses responsabilités pour encourager l’Europe à réagir, et menait campagne auprès de la classe politique pour convaincre de l’enjeu du projet. Sur le terrain, en revanche, les choses étaient déjà engagées pour près de trente
bibliothèques françaises.
Dès 1997, la BNF a elle-même montré la voie avec la création de sa propre bibliothèque numérique pluridisciplinaire et patrimoniale, Gallica, riche aujourd’hui de 76 000 textes et de 80 000 images. Son contenu laisse toutefois apparaître l’un des enjeux scientifiques de la future grande bibliothèque numérique : trouver le juste équilibre dans les choix entre disciplines. Dans ce contexte, l’histoire de l’art – pourtant longtemps mal lotie en matière de lieux de recherche – pourrait bien tirer profit de l’opération. Depuis 2003, et malgré les vicissitudes de sa création, la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) s’est en effet attelée à un important travail de numérisation.
À ce jour, les 15 000 estampes du fonds Jacques Doucet ont déjà été traitées, et les chantiers en cours portent sur les manuscrits de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, la collection complète des catalogues du Musée du Louvre et le Répertoire d’art et d’archéologie (RAA), référence incontournable en matière de bibliographie. Enfin, dès 2006 l’internaute pourra commencer à se délecter en feuilletant les trois cents volumes de la très précieuse bibliothèque des « Classiques de l’histoire de l’art », constituée d’ouvrages de référence depuis le XVIe siècle, souvent introuvables.
« Nos choix sont effectués en coopération avec toutes les bibliothèques qui numérisent, notamment la BNF », précise Martine Poulain, sa directrice, même si pour l’heure aucune coopération européenne n’a encore été initiée. « Il faut d’abord que nous nous constituions un savoir-faire. Et pour franchir ce saut quantitatif et qualitatif, il nous faudra des moyens humains et financiers en conséquence. » Or ce chantier est crucial pour l’INHA, dont la bibliothèque risque de n’être que virtuelle pendant encore de longues années : les travaux d’aménagement du quadrilatère Richelieu, préalables à son déploiement et prévus initialement en 2004, ont été reportés sans précision d’échéance par le ministère de la Culture.
(1) Quand Google défie l’Europe – Plaidoyer pour un sursaut, éditions Mille et Une Nuits, avril 2005, 9 euros
(2) Une conférence sur le sujet a lieu à Beaubourg le 27 juin (Lire p. 33).
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Bataille numérique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°218 du 24 juin 2005, avec le titre suivant : Bataille numérique