Metteur en scène de cinéma, producteur et animateur d’émissions de télévision et de radio, Frédéric Mitterrand est commissaire général pour la France de \"Bohemia Magica, une Saison tchèque en France\", un ensemble de manifestations qui se déroulent dans notre pays jusqu’en décembre. Il commente l’actualité.
Comment avez-vous accueilli la nomination de Jean-Jacques Aillagon au ministère de la Culture ?
Si l’on devait simplifier, on dirait qu’ils ont trouvé leur Lang de droite. Avec des gens de la qualité de Lang ou d’Aillagon, les clivages idéologiques me paraissent tout à fait secondaires.
Lors du Festival de Cannes, le ministre a laissé entendre que le projet de la Maison du cinéma pouvait encore être remis en question, notamment pour ce qui est du choix entre les sites de Bercy et du Palais de Chaillot. Quelle est votre position sur ce dossier ?
Je n’en ai pas, c’est trop compliqué. C’est ingérable. Je trouvais que le projet de Bercy était très bon, que le bâtiment se prêtait merveilleusement bien, à cause de son architecture post-moderne expressionniste, à l’idée d’une Maison du cinéma, même s’il était peut-être un peu petit. Les rapports entre ce projet de Maison du cinéma et la Cinémathèque sont incompréhensibles. C’est un sac de nœuds avec des passions diverses et anciennes, des conflits, des intrigues. La seule idée que j’aie, c’est qu’il faut d’abord dépassionner ce débat, que l’on n’arrive à rien avec cette espèce d’abcès purulent depuis vingt ans. Résultat, la Cinémathèque campe, elle n’est plus visible, on ne sait plus où elle est. Les jeunes ont totalement perdu l’habitude de s’y rendre. Dans une ville comme Paris, qui a une vocation cinéphilique considérable, quelque chose ne marche pas. En revanche, les cinémathèques de substitution que sont le Forum des images, la cinémathèque de Beaubourg, celle de l’Institut du monde arabe, toutes celles-là fonctionnent. Il faut d’abord dépassionner le débat. Le problème est d’avoir un navire amiral qui emporte tout le reste et qui définisse un climat ou une atmosphère culturelle. Ce navire amiral n’existe pas.
Êtes-vous allé voir les objets de la collection de la deuxième épouse du shah d’Iran, la princesse Sorya, mis en vente à Paris par l’étude Beaussant-Lefèvre ?
Non. J’ai trouvé le catalogue de la vente très bien fait et très émouvant, notamment à cause des photographies, des films... Mais, je suis davantage intéressé par des catalogues de véritables objets d’art plutôt que d’objets de luxe. Je ne vais pas dans les ventes, c’est une autre vie, un autre système, c’est trop compliqué.
Vous êtes le commissaire général pour la France de la Saison tchèque en France. Comment avez-vous vu évoluer les rapports culturels entre l’Est et l’Ouest depuis l’ouverture de l’ancien bloc soviétique ?
Il n’y a pas de règle générale. Bernard Faivre d’Arcier et les Hongrois se sont très bien entendus et l’organisation de cette Saison a été une opération agréable. Certains pays où l’on ne va pas assez souvent, comme la Roumanie, gagneraient beaucoup à être connus par le biais d’une saison. Il existe aussi des blocages et des difficultés que l’on ne soupçonne pas encore, qui viennent d’une gestion assez bureaucratique de la culture, là-bas et ici, sauf que nos bureaucraties culturelles sont différentes. En ce qui concerne la Saison tchèque, nous avons un très beau programme, très intéressant, mais il y a eu des points sur lesquels j’aurais souhaité aboutir et nous n’y sommes pas arrivés, comme la présentation de la collection Kramar que le Musée Picasso n’accueillera pas. Ce sont des problèmes qui relèvent d’une approche différente de la culture, de mentalités qui ne sont pas les mêmes. L’on avait déjà vu beaucoup de choses venant de Tchéquie, mais d’une manière éparse. Je crois que l’on va découvrir avec cette Saison ne cohérence et un déroulé historique. Et ceci remettra tout en place.
Niki de Saint Phalle vient de disparaître. Est-ce un travail que vous suiviez ?
C’est, d’abord, une grande peine personnelle parce que c’est quelqu’un que je connaissais bien, que j’aimais beaucoup. Sa puissance créatrice, sa générosité, son caractère à la fois fantasque et très ordonné vont manquer énormément au monde artistique. Le fait que Niki de Saint Phalle ait ensuite obtenu de grands succès sur le marché de l’art ne doit pas faire oublier qu’elle fut d’abord une créatrice fantastiquement libre et imaginative, en plus d’une personne, sur le plan humain, passionnante. J’entends encore sa voix, et son caractère incroyable. C’est une très grande perte. C’est très triste. Bien sûr qu’elle a eu du succès, qu’elle a été reconnue, mais je pense que sa place dans l’histoire de l’art contemporain ne va cesser d’être réévaluée, parce qu’elle a mis le doigt sur des choses importantes, notamment la place de la féminité, l’expression d’une force féminine dans un monde masculin. Toutes ses collaborations avec Tinguely ont marqué un point très important. L’art contemporain a été compris du public. Quand je dis cela, je ne fais pas du tout de démagogie, parce qu’au fond, si une œuvre n’est pas comprise du public, cela ne l’empêche pas d’être belle ou d’être nulle. Mais c’est un plus si l’œuvre est belle, intéressante, relève d’une esthétique particulière et si, de surcroît, elle est comprise du public. Les statues de Niki de Saint Phalle, les œuvres de Tinguely, leurs créations communes se trouvent souvent au cœur des villes et sont ressenties comme des repères culturels et des objets ludiques par toutes les classes de la société, par tous les âges. Est-ce que la France a su l’honorer comme il convient ? Je ne sais pas. Elle n’avait pas d’amertume, elle n’était pas dans la revendication sauf affective. Elle pouvait être tyrannique, emmerdante, mais elle n’était pas cupide comme certains l’on affirmé. Elle n’avait pas le temps, elle était sans cesse en train d’inventer quelque chose d’autre. Et puis, soixante et onze ans, c’est jeune.
Quelles sont les expositions qui vous ont marqué dernièrement ?
La chose la plus belle que j’aie vue, c’est l’accrochage au Musée de Prague des œuvres de la peinture moderne tchèque. À travers toutes ces pièces qui sortaient des réserves et qui ont été réinstallées, l’on s’aperçoit de la richesse et de la vitalité de cette époque. J’ai vu aussi l’ouverture très récemment des nouvelles salles médiévales du Musée national d’art de Roumanie à Bucarest. Extraordinaire patrimoine. Il s’agit d’icônes, d’iconostases, de portes, de tissus, d’objets d’art religieux, de reliquaires, dans une quinzaine de salles avec une très bonne scénographie réalisée par un Hollandais qui travaille avec Madame Theodorescu, la conservatrice en chef du musée. En France, j’ai trouvé l’exposition “Berthe Morisot” à Lille très belle et très bien organisée par Arnauld Brejon de Lavergnée. Je suis un grand visiteur de musées peu connus, mais je vais rarement voir les expositions fleuves. Je les visite à travers mes livres et mes catalogues.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Frédéric Mitterrand
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Frédéric Mitterrand