Archéologie

Archéologie

Massacre à la pelleteuse

Fouillée au rabais par un opérateur privé, la villa gallo-romaine de La Garanne va être détruite

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2010 - 1023 mots

Fouillée de manière calamiteuse par un opérateur privé dans le cadre de travaux d’aménagement, la villa gallo-romaine de La Garanne (Bouches-du-Rhône) va être détruite dans l’indifférence des pouvoirs publics. L’affaire relance le débat sur l’ouverture au privé des chantiers de fouilles préventives, depuis 2003, et témoigne du laxisme de certains services déconcentrés de l’État.

BERRE-L’ÉTANG (Bouches-du-Rhône) - La décision, prise en 2003, de mettre fin au monopole de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et d’ouvrir aux opérateurs privés la réalisation des fouilles de sauvetage, avait ouvert une brèche dans le système, fragile, de protection du patrimoine archéologique. Il comportait le risque que les opérations soient confiées au plus offrant et non au plus qualifié. Ce que Nicole Pot dénonçait encore en novembre, à la veille de son départ de la direction de l’Inrap en évoquant une « archéologie alibi, dont le seul but est de purger les terrains » a trouvé une illustration des plus probantes avec la villa gallo-romaine de La Garanne promise à un sombre avenir.

Situé sur le territoire de la commune de Berre-l’Étang (Bouches-du-Rhône), ce site antique a fait les frais d’une opération bâclée destinée à libérer, au plus vite, les terrains pour le réaménagement de la route départementale 10. Pourtant, dès 2007, lorsque l’Inrap réalise son diagnostic, il souligne l’importance du site habité entre les Ier et VIIe siècles de notre ère. Sa durée d’occupation, mais aussi ses qualités architecturales, la superficie (plus d’un hectare), son état de conservation, la situation géographique entre les trois diocèses d’Aix-en-Provence, Marseille et Arles, en font un site de première importance.

Consternation
Responsable de la prescription de la fouille, le préfet, par l’intermédiaire du Service régional de l’archéologie (SRA) de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), après appel d’offres, décide de confier les fouilles à un opérateur privé, Oxford Archéologie Méditerranée. Malgré l’ampleur de la tâche, l’entreprise ne dispose que de trois mois pour mener à bien l’opération. Les délais sont finalement prolongés de plusieurs semaines pour un chantier qui s’achève à la fin de l’hiver 2009. Lors des portes ouvertes organisées au terme des travaux, la consternation est de mise chez les archéologues et spécialistes : pas de doute possible, les fouilles ont été réalisées de façon désastreuse.

Comme le confirment les nombreux clichés pris sur le terrain début avril, il subsiste sur place encore de nombreux éléments, enduits peints, fragments de mosaïques, bases de colonnes et morceaux d’amphores. L’opération s’est résumée à « dégager superficiellement, avec des pioches, minipelles et brouettes, environ un quart du site – la partie ouest n’a pas du tout été fouillée. À aucun endroit, les archéologues n’ont démonté la structure ou les sols pour aller voir en dessous. Une grande partie des vestiges demeure enterrée et donc non observée », selon un archéologue de la région.

A qui la faute ?
La prescription du SRA (dont nous avons pu prendre connaissance) était pourtant claire : la fouille devait être « exhaustive » et « l’ensemble du mobilier archéologique devait être prélevé ». Le cahier des charges n’a donc pas été respecté. Les différents responsables se rejettent la faute. « Les services de l’État sont venus contrôler le chantier toutes les semaines et la décision de conserver ou non les mosaïques et enduits ne nous appartient pas. Les dépôts archéologiques sont déjà surchargés et nous avons prélevé ce qui nous a été demandé. L’Inrap aurait fait face aux mêmes problèmes », se défend-on au siège d’Oxford Archéologie Méditerranée. Au SRA, Xavier Delestre, conservateur régional de l’archéologie et candidat malheureux à la tête de l’Inrap, se réfugie derrière la Commission interrégionale de la recherche archéologique (CIRA) : « Tout a été fait conformément à la loi, avec plusieurs validations et des missions d’expertises hebdomadaires pour contrôler le travail. Les objectifs scientifiques du projet ont été validés par la CIRA ; nous respectons l’avis de ces experts qui se prononceront également sur le rapport de fouilles que leur remettra Oxford Archéologie Méditerranée. » Mais l’argument est faible pour la simple et bonne raison que le CIRA ne « valide pas » les dossiers : il se résume à être une commission consultative. À aucun moment, il n’est en mesure de conseiller de poursuivre les fouilles ou non ; c’est le SRA qui prend toutes les décisions. En outre, d’après nos informations, un seul spécialiste de cette commission (qui compte huit membres) serait venu sur le terrain.

Pour la CGT Archéologie de la région PACA, le pire peut encore être évité : le préfet peut prendre des mesures conservatoires (avec une déviation de la départementale), ou prescrire des fouilles préventives complémentaires. Face à la situation, certains spécialistes n’ont pas hésité à monter au créneau à l’image de Dominique Briquet, directeur de recherche au CNRS, à la tête de l’unité Archéologies d’Orient et d’Occident.

Dans une lettre dernièrement adressée au ministère de la Culture, il rappelle que « l’étude du décor dans les provinces romaines, et particulièrement en Gaule, est une discipline encore jeune » nécessitant des méthodes spécifiques d’intervention que les travaux réalisés sur le site de Berre-l’Étang remettent en cause. « La recherche ne peut progresser si elle ne s’appuie pas sur une archéologie de haut niveau, aux résultats incontestables compte tenu des contraintes économiques », souligne-t-il, appelant à plus de vigilance le ministère de la Culture quant aux compétences des opérateurs retenus.

L’exemple de Berre-l’Étang n’est pas un cas isolé. Des couacs plus ou moins similaires ont été observés à Lyon lors de la construction du parking Saint-Georges ou, dernièrement, à Manosque (Alpes de Haute-Provence), où les services de l’État ont mandaté un opérateur privé spécialiste de la préhistoire pour un site médiéval. À différentes reprises, des aménageurs ont été lésés par certains opérateurs privés qui ne respectaient pas les engagements leur ayant permis de remporter les appels d’offres, et, plus grave encore, par des services déconcentrés du ministère de la Culture qui ne cachent pas leur hostilité à l’Inrap.

S’il paraît aujourd’hui difficile de faire marche arrière, il semble indispensable de mettre en place un système solide d’évaluation des différents services chargés des fouilles. La protection du patrimoine n’est pas un marché, elle ne se négocie pas.

Légende photo

La force brute et le sens du droit (2006) - photographe Jef Safi - Licence Creative Commons 2.0

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : Massacre à la pelleteuse

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque