Outil normatif de référence pour le patrimoine, la Convention du patrimoine mondial est l’un des textes internationaux les plus largement ratifiés. Son histoire mouvementée est à l’image de sa mise en œuvre, depuis cinquante ans, tiraillée entre idéalisme universel et intérêts nationaux.
L’histoire de la Convention du patrimoine mondial est d’abord celle d’une rencontre entre patrimoine culturel et patrimoine naturel, associés dans un même texte qui deviendra l’étalon des politiques patrimoniales internationales pour les décennies à venir. D’un côté, la vieille Europe, qui a mûri la notion de patrimoine grâce à des personnalités comme Aloïs Riegl ou Prosper Mérimée, et qui au cours de la première moitié du XXe siècle dessine les contours d’une norme internationale à travers la Société des Nations. De l’autre, la jeune Amérique qui protège, dès la fin du XIXe siècle, de vastes parcs nationaux et popularise l’idée d’une patrimonialisation de la nature, à jamais immortalisée par les clichés d’Ansel Adams.
Mais cette rencontre qui nous paraît évidente aujourd’hui est le fruit d’une histoire mouvementée. En témoignent les premières tentatives infructueuses d’établir des règles patrimoniales internationales dans la première moitié du XXe siècle. La Charte d’Athènes fixe bien, en 1933, un premier cadre de définition d’un « patrimoine mondial » (qui doit répondre à un « intérêt général », sans que sa préservation ne se fasse au « détriment des populations ») ; mais la même année, la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI) – ancêtre de l’Unesco – peine à faire ratifier une convention sur le rapatriement des biens culturels « perdus, volés, ou ayant donné lieu à une aliénation ou une exportation illicite ». En 1954, la proposition d’une convention sur la protection des biens culturels en temps de conflit anime un débat, qui oppose notamment l’URSS aux États-Unis et leur allié britannique. C’est finalement une version peu contraignante du texte qui sera adoptée, comme en témoignent les premières tentatives laborieuses de son application lors de la crise du canal de Suez et du conflit israélo-palestinien de 1967.
Créée en 1945, l’Unesco n’est pas explicitement consacrée au patrimoine. Dans son acronyme (*), la culture vient après l’éducation et la science. Mais dès l’après-guerre, la jeune organisation se livre à une campagne active de promotion et de soutien aux musées. Surtout, en 1968, elle coordonne le sauvetage des temples de la vallée du Nil, menacés d’être engloutis par le grand projet de barrage mené par le président égyptien Gamal Abdel Nasser à Assouan. Ce succès médiatique fait connaître l’organisation et associe son nom à la notion du patrimoine dans l’opinion publique. Au cours des années 1970, l’Unesco dirige à nouveau de spectaculaires opérations de sauvetage, dans la lagune de Venise, à Mohenjo-Daro (Pakistan) ou Borobudur (Indonésie, voir ill.).
Ces actions font germer dans les États l’idée d’un patrimoine commun à toute l’humanité, dont la préservation serait un enjeu universel. Aux États-Unis, c’est Russel E. Train – le « monsieur environnement » du président Richard Nixon – qui porte l’idée d’un patrimoine mondial, clairement explicité lors de la Conférence de la Maison Blanche sur la coopération internationale en 1965. En tant que président du Conseil pour la qualité environnementale, c’est aussi lui qui introduit, dans un message présidentiel délivré par Nixon en 1970, la demande formelle d’un « fonds pour la sauvegarde du patrimoine mondial ». Au même moment, en Europe, la charte de Venise – pour la conservation et la restauration des monuments et des sites – est ratifiée en 1964, et le Conseil international des monuments et sites (ICOMOS) – héritier de la charte d’Athènes et responsable de l’application des principes de la charte de Venise – est créé en 1965 : tous les ingrédients de la future convention sont ainsi réunis.
Le processus est toutefois laborieux et doit répondre à plusieurs interrogations des États : faut-il deux conventions séparées (patrimoine naturel et culturel), ou un seul texte commun ? Les contributions financières au Fonds du patrimoine mondial devront-elles être volontaires (comme le souhaitent les pays du Nord) ou obligatoires (ainsi que l’exigent les pays du Sud) ? Entamé en 1970, le travail de rédaction abouti à un texte en 1972 présentant une innovation majeure : patrimoine culturel et naturel sont liés par la même convention. En avance sur son temps, le texte note la frontière floue entre nature et culture, et promeut, dès sa création, les sites mixtes, alliant les deux qualités. L’adhésion n’est pas immédiate et il faut attendre 1975 pour qu’ au minimum vingt États signataires donnent à la convention sa légitimité.
Aujourd’hui, ce sont 194 États qui ont signé le texte, faisant de la Convention du patrimoine mondial l’une des conventions les plus ratifiées au monde. Sans nul doute, la Valeur universelle exceptionnelle (VUE) accordée aux biens inscrits et ses six critères d’évaluation – dont les organes consultatifs, l’ICOMOS et l’IUCN sont les garants – ont permis à la convention d’apparaître comme un texte objectif et fédérateur. Néanmoins, deux décennies après sa ratification, un déséquilibre apparaît déjà clairement en faveur des États européens et des sites culturels urbains.
Non définie dans le texte originel de 1972, la VUE a régulièrement évolué pour opérer un rééquilibrage et offrir des critères d’analyse objectifs. Mais alors que la Liste du patrimoine mondial dépasse désormais les mille sites, cette notion centrale de la convention se trouve décrédibilisée. Depuis 2010, les recommandations autrefois prescriptrices de l’ICOMOS et l’IUCN sur la VUE des biens proposés à l’inscription ne sont pas suivies. Ce sont désormais les représentants étatiques qui tranchent, confirmant l’idée que l’Unesco est un organisme où les États suivent leur agenda de diplomatie internationale comme de politique intérieure. Certains n’hésitent pas à parler de « mort de la convention », d’autres appellent à sa refonte : à cinquante ans, la boussole du patrimoine mondial semble avoir perdu le nord.
(*) UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
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Convention de l’Unesco, la boussole du patrimoine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Convention de l’Unesco, la boussole du patrimoine