L’Unesco, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, fête ses cinquante ans dans l’amertume, alors que s’ouvre le 25 octobre la 28e session de sa Conférence générale. Enquête à travers une institution qui se veut toujours prestigieuse alors que ses moyens ont diminué et que l’efficacité de ses actions est contestée.
PARIS - Fondée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par des hommes décidés à faire de leur idéal de paix et d’universalité une réalité, l’Unesco va fêter dans la morosité ses cinquante ans d’existence à l’issue de la 28e session de sa Conférence générale. D’autant plus qu’il y aura deux absents de marque, les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont claqué la porte de l’organisation il y a dix ans et n’ont pas encore formellement annoncé leur retour.
L’Organisation doit donc vivre avec moins d’argent tandis que le personnel a de plus en plus de mal à rester motivé. Federico Mayor, directeur général depuis 1987, a tenté de réveiller des troupes assoupies, mais, de la Commission Delors sur l’éducation au Forum de réflexion composé de vingt et un intellectuels du monde entier, la démarche ne s’avère guère concluante pour l’instant. Les penseurs et les savants ont laissé la place aux diplomates, mettant fin au rêve du poète Paul Valéry de fonder "une société des esprits".
Reste quelques programmes qui font le prestige de l’Unesco. La Liste du patrimoine mondial enregistre ainsi les sites culturels et naturels considérés comme appartenant à l’humanité toute entière, même si les enjeux politiques qui influencent la sélection entachent quelque peu sa crédibilité. Ce sont aussi les campagnes internationales de sauvegarde qui, de Venise à Huê, cherchent à drainer des subventions du monde entier pour les chefs d’œuvre en péril, avec cependant des bilans sur le terrain en demi teintes.
Pour offrir à nos lecteurs un bilan le plus complet possible de l’action culturelle de l’Unesco, nous avions sollicité le 4 juillet un entretien avec M. Federico Mayor. Malgré de nombreuses relances, celui-ci n’a malheureusement pas trouvé le temps de répondre à nos questions…
Forum d’intellectuels et de savants du monde entier au moment de sa création, l’Unesco a depuis été colonisée par les diplomates. Et si la direction générale tente d’éviter que l’institution ne devienne une simple agence technique des Nations-Unies, ses initiatives semblent trop timides pour enrayer cette dérive.
"L’Unesco est connue dans le monde entier, et pourtant elle a du mal à toucher le grand public", estime un observateur. Depuis sa création, l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture s’est donnée des objectifs ambitieux, mais, sur le terrain, son action a l’inconvénient de manquer de visibilité.
Aujourd’hui, l’humeur y est plutôt morose, bien que le nombre de ses États membres ne cesse d’augmenter. Elle a accueilli en décembre dernier son 183e adhérent : l’Afrique du Sud. Par manque de moyens, l’Unesco s’appuie sur près de 600 organisations non gouvernementales, sans compter les clubs Unesco et les fondations. La crise financière qui s’est installée avec le départ des États-Unis a rendu l’Organisation moins performante dans des domaines comme celui de l’éducation. Cette carence a sans doute poussé la Banque Mondiale à s’intéresser à ce secteur, convaincue qu’il était à la base du développement économique.
L’Unicef, organisme des Nations-Unies, a également réalisé ses programmes d’éducation pour les enfants sans en référer comme auparavant à l’Unesco. L’Organisation a donc perdu une part de son autorité. La perte de lectorat du "Courrier de l’Unesco", la vitrine de l’institution, en est le reflet. Le nombre d’abonnés est passé de 250 000 en 1978 à 80 000 en 1988, et est encore inférieur aujourd’hui.
Obtenir le retour des Américains
Quand ils claquent la porte en 1984, suivis en 1985 par la Grande-Bretagne et Singapour, les États-Unis reprochent à Amadou Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’Unesco, "une déformation idéologique, une politisation excessive et une gestion inepte". Le projet de Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic) agit sur eux comme un chiffon rouge.
Ils le considèrent comme une attaque dirigée contre la libre circulation de l’information et les médias occidentaux. Conçu dans les années 1970, le Nomic a le défaut d’être soutenu par l’URSS et les pays socialistes.
L’influente Heritage Foundation, groupe de pression américain considéré comme réactionnaire et anti-tiers-mondiste, fait tout son possible pour obtenir le départ des États-Unis. Dès l’origine, l’Unesco a été suspectée de parti pris par les Américains, qui auraient aimé qu’elle participe à la lutte contre le communisme. À la fin des années 1940, les responsables américains, imprégnés de maccarthysme, craignaient que des intellectuels marxistes ne finissent par dominer le conseil exécutif de l’Unesco.
Faire moins mais mieux
Dès son arrivée, en 1987, à la tête de la direction générale, Federico Mayor déploie tous ses efforts pour contenter les Américains, promettant de "faire moins mais mieux", et d’obtenir leur retour. Actuellement, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont une position d’observateurs à l’Unesco, et participent aux activités qui leur conviennent. Une situation plutôt confortable. Federico Mayor a mis fin au Nomic et pris des mesures pour améliorer la gestion de l’Organisation. Les États-Unis et la Grande-Bretagne reprochaient à l’Unesco d’absorber 70 % de son budget en tâches administratives. Peu après son élection, le directeur général a donc annoncé la réduction du nombre de programmes de quatorze à sept, la décentralisation des activités du secrétariat, et l’amélioration de la planification budgétaire.
Le nombre de fonctionnaires de l’Unesco a diminué, passant de 3 200 en 1984 à 2 600 aujourd’hui. Malgré tout, l’Unesco continue de fonctionner de manière lourde et onéreuse. Le recours à des consultants extérieurs plus ou moins utiles, et rémunérés pour des tâches mal définies, n’a cessé de s’amplifier. "La plupart font un travail qui devrait être réalisé par des membres du personnel", déclare Jane Wright, présidente de l’Association du personnel de l’Unesco. Le journal de l’association, dans son numéro d’avril, dénonce la "tendance à créer des postes, non pour remplir une fonction mais plutôt pour caser des personnes", et réclame l’application des mesures décidées par la direction générale pour assurer la transparence.
À l’initiative du Japon, le conseil exécutif est constitué, depuis 1993, de représentants des gouvernements et non plus de personnalités intellectuelles désignées "à titre personnel". Cette réforme va dans le sens souhaité par les États-Unis. Déjà, en 1987, le journaliste Paul Balta dénonçait dans Le Monde une dérive réduisant l’Unesco à "un forum purement diplomatique". "Au conseil exécutif, on trouve surtout des diplomates, souvent de deuxième rang ou en fin de carrière, parmi lesquels on aurait du mal à trouver des hommes de culture, des savants", écrivait-il. Cette tendance ne fait que s’accentuer.
Et si Hervé Bourges, actuel président du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) a été ambassadeur délégué de la France auprès de l’Unesco en 1994, il a vécu, dit-on, sa "retraite" à l’Organisation "comme un lion en cage". Il a été remplacé depuis par Claude Harel, un diplomate de carrière proche de la retraite.
Au début des années 1990, Federico Mayor a décidé d’engager de grands programmes de réflexion prospective et de les confier à des personnalités d’envergure pour relancer l’institution. L’Unesco a ainsi mis en place la Commission Delors sur l’éducation pour le XXIe siècle, afin de restaurer la suprématie de l’Organisation dans les domaines de l’éducation et de la science, ainsi que la Commission mondiale de la culture et du développement présidée par Javier Perez De Cuellar, l’ancien secrétaire général des Nations-Unies.
La direction générale a également créé, en 1992, un forum de réflexion composé de 21 intellectuels du monde entier, de l’essayiste américano-palestinien Edouard Saïd au chef d’État et dramaturge tchèque Vaclav Havel, en passant par le philosophe français Michel Serres. Ce forum, qui devait se réunir trois fois en deux ans, avait pour mission d’"inspirer l’Unesco durant la décennie à venir". Une timide initiative pour revenir aux sources, en faisant participer des intellectuels en principe non liés à leurs gouvernements respectifs.
Vers un démantèlement ?
Mais cette expérience a fait long feu. Le forum n’est pas allé au-delà de la première réunion. C’était pourtant une manière d’éviter qu’elle ne devienne une simple agence technique, comme le souhaitent ouvertement les Japonais, un souhait d’ailleurs partagé par les États-Unis, qui ne verraient pas d’un mauvais œil le démantèlement de l’Unesco et la création de différents fonds chargés de l’accomplissement de certaines missions. Les principaux contributeurs pourraient alors orienter leur action comme bon leur semble.
"L’administration américaine est favorable au retour des États-Unis au sein de l’Unesco, mais il n’y a pas de date fixée. Pour l’instant, ce n’est pas possible pour des raisons budgétaires", déclare Denise Mathieu, observateur des États-Unis auprès de l’organisation internationale. Même réponse de la part de David Hay-Edie, observateur de la Grande-Bretagne auprès de l’Unesco. Les deux pays anglo-saxons ne semblent pas pressés de rejoindre les autres États membres. L’époque est d’autant moins aux retrouvailles qu’aux États-Unis, un courant d’opinion dénonce l’inutilité du système des Nations-Unies. L’Organisation va donc devoir continuer à se serrer la ceinture.
16 novembre 1945 : Signature de l’acte constitutif de l’Unesco, à Londres, par les représentants de 37 pays.
4 novembre 1946 : L’acte constitutif entre en vigueur avec sa ratification par un vingtième État signataire, la Grèce.
1954 : Admission de l’Union Soviétique.
1960 : Seize nouveaux États indépendants d’Afrique sont admis. L’Unesco réalise alors pleinement sa vocation à l’universalité.
8 mars 1960 : Appel du directeur général de l’Unesco pour le sauvetage des temples d’Abou Simbel en Haute-Égypte.
De 1961 à 1974 : Le Français René Maheu est directeur général.
16 novembre 1972 : Naissance de la Convention du patrimoine mondial.
De 1974 à 1987 : Le Sénégalais Amadou Mahtar M’Bow est directeur général.
Décembre 1984 : Les États-Unis, critiquant la gestion et la politique du directeur général, quittent l’Organisation. Ce départ provoque une crise financière.
Décembre 1985 : La Grande-Bretagne et Singapour quittent à leur tour l’Organisation.
1987 : L’Espagnol Federico Mayor est élu directeur général. Il est réélu en 1993.
Décembre 1994 : L’Unesco accueille son 183e État membre, l’Afrique du Sud.
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Quel avenir pour l’Unesco ?
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Abonnez-vous dès 1 €Affectée par une sérieuse crise financière depuis le départ des États-Unis et de la Grande-Bretagne, l’Unesco doit se contenter d’un budget réduit depuis dix ans. Les États-Unis, en effet, y contribuaient à hauteur de 25 %. Depuis, l’Organisation n’a pas réussi à compenser la perte financière entraînée par leur défection. Le budget 1994-95 était de 2,2 milliards de francs. Le Japon est aujourd’hui le premier contributeur, avec une participation s’élevant à plus de 13 %. Quant à la France, elle a versé 200 millions de francs ces deux dernières années. Au budget ordinaire, s’ajoutent les ressources extra-budgétaires (1,4 milliard de francs pour la même période), consacrées à des programmes spécifiques lancés par l’Unesco.
Celles-ci sont pour la plupart fournies par les autres organismes des Nations-Unies et par la Banque Mondiale. Accusée de bureaucratie, l’Unesco consacre environ 57 % de son budget aux dépenses du personnel, soit moins que les autres institutions des Nations-Unies.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Quel avenir pour l’Unesco ?