Suspendu pendant six ans sur fond de tensions politiques, ce programme de protection du patrimoine documentaire est relancé avec soixante-quatre collections ajoutées à son registre au mois de mai.
France. Depuis 2017, le registre « Mémoire du monde » de l’Unesco n’avait reçu aucune nouvelle inscription. À l’issue d’un long travail de révision de ce programme consacré à la protection et la diffusion du patrimoine documentaire (archives textuelles, sonores, audiovisuelles), la liste des archives inscrites au registre mondial s’est allongée de soixante-quatre nouvelles inscriptions le 24 mai dernier. La tapisserie de l’Apocalypse du château d’Angers [voir ill.], une édition originale des Essais de Montaigne conservée à Bordeaux, les archives de l’ONG ATD Quart-Monde, le registre des personnes en esclavage dans les colonies françaises et le film Shoah de Claude Lanzmann sont les documents français qui rejoignent le registre.
Cette liste hétéroclite – tant dans les époques, les domaines que les médias qu’elle rassemble – est à l’image du registre créé en 1992 : une vision large du patrimoine documentaire, qui recense des archives représentatives d’une période, d’un lieu, ou d’une communauté, tout en revêtant un caractère unique et irremplaçable leur conférant une importance mondiale. Elle illustre également la tension entre des biens iconiques du patrimoine, faisant l’objet d’une conservation soigneuse, et des archives moins connues, potentiellement en danger. C’est d’ailleurs plutôt pour ces dernières qu’est né le registre, créé en réponse au double constat de la fragilité des supports (papiers, films, etc.) et du manque d’accessibilité des archives.
L’organisation du programme repose sur des comités nationaux, chargés de sélectionner les documents représentatifs dans leur pays, mais aussi de promouvoir l’accès aux archives. Le Comité consultatif international, qui se réunit tous les deux ans, n’est pas constitué par les délégués des États membres – comme pour les Comités du patrimoine mondial et du patrimoine culturel immatériel –, mais par quatorze experts désignés par le directeur général de l’Unesco. Autre différence avec les deux listes phares de l’Unesco : « Mémoire du monde » ne repose pas sur une convention ratifiée par les États. Le programme est guidé par des principes directeurs, et les statuts de son comité international qui ont fait l’objet d’une récente révision.
Entériné en 2017, lors de la dernière réunion du Comité consultatif international, le besoin d’un amendement des principes du programme découle notamment des tensions diplomatiques qu’il a pu déclencher. En 2015, le Japon propose d’inscrire au registre un ensemble de lettres et d’écrits des pilotes de l’armée de l’air de la Seconde Guerre mondiale. La Chine s’offusque de voir les archives des kamikazes japonais au seuil d’une reconnaissance par l’Unesco, évoquant une « tentative d’enjoliver l’histoire d’agression militariste du Japon ». Pékin réplique immédiatement, en proposant à son tour d’inscrire au registre les archives relatives au massacre de Nankin, un massacre massif de civils perpétré par l’armée japonaise en 1937, ravivant les tensions entre les deux États. Lors de la réunion du Comité consultatif international en 2017, à Paris, les États membres appellent la gouvernance du programme « à respecter les principes de dialogue, de compréhension et de respect mutuel, et à éviter toute tension politique supplémentaire concernant le programme “Mémoire du monde” ».
Menée par des groupes de travail constitué par les comités nationaux (la Chine et le Japon étaient réunis au sein du groupe IV), la révision vise à donner un cadre juridique « plus approprié », avec pour objectif de relancer le processus d’inscription, gelé depuis 2017. Ce travail aboutit en 2021 à un « fragile équilibre » (selon le rapport de synthèse final de l’examen du programme), jugé suffisant par les groupes de travail qui souhaitaient reprendre au plus vite le cours du processus d’inscription. La version révisée des principes directeurs ne change que peu la gouvernance du programme, et encadre la contestation d’une proposition d’un État par un autre État. Les groupes de travail considérant les inscriptions entraînant des conflits diplomatiques comme « minoritaires », elles n’ont pas fait l’objet d’un point légal spécifique. Mais il n’y a pas de convention pour le patrimoine archivistique : les groupes de travail ont estimé que les statuts du Comité consultatif international et les principes directeurs formaient une base légale satisfaisante.
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L’Unesco rouvre le registre « Mémoire du monde »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : L’Unesco rouvre le registre « Mémoire du monde »