L’écrivain sillonnera pendant vingt-six ans la France entière pour recenser les édifices et monuments nécessitant des travaux d’entretien et de restauration.
« Il s'agit de recenser les chefs-d'oeuvre en péril, comme cela avait été fait par un illustre prédécesseur au XIXe siècle, Prosper Mérimée. » Ainsi Stéphane Bern a-t-il commenté la mission que lui a confiée le président de la République en septembre. Si l’animateur de télévision s’est ainsi placé dans le sillage du célèbre inspecteur des monuments historiques, c’est que, en dépit des presque deux siècles qui les séparent, un objectif commun leur a été fixé : identifier le patrimoine à secourir en priorité. Critiqué de toutes parts, Bern a pu laisser entendre que sa tâche, bénévole, pourrait être de courte durée. Mérimée a quant à lui endossé ce rôle pendant vingt-six ans tout en menant une activité d’écrivain renommé. Une longévité qu’il ne soupçonnait sans doute pas lorsqu’il a été nommé à son poste en mai 1834. Il faut dire que la fonction d’inspecteur des monuments historiques, créée en 1830 par le ministère de l’Intérieur, à une époque où la conservation des témoignages du passé de la France est devenu une préoccupation importante pour l’État, est extrêmement chronophage. Il s’agit, entre autres, de « parcourir tous les départements de France », de réaliser « un catalogue complet et précis des édifices ou monuments qui méritent une attention sérieuse du gouvernement », d’« éclairer les propriétaires sur l’intérêt des édifices dont la conservation dépend de leurs soins », de « répartir les crédits d’entretien et de restauration ».
Mérimée va remplacer à ce poste Ludovic Vitet, qui s’était lassé des incessants déplacements, sa vie maritale et ses ambitions politiques le retenant à Paris. Mérimée, âgé alors de 31 ans et célibataire, s’enthousiasme pour la mission qui « convient fort à [ses] goûts, [sa] paresse et à [ses] idées de voyage », comme il l’écrit à son ami Sutton Sharpe. Sans doute faut-il voir là une coquetterie car Mérimée n’a rien de paresseux. Il se met immédiatement en contact avec des historiens de l’art pour bénéficier de leur expertise, en particulier Arcisse de Caumont qui s’apprête à fonder la « société française d’archéologie ». Car Mérimée, élevé dans un milieu bourgeois et artiste, a partagé sa vie entre les bureaux ministériels et l’écriture de romans historiques, et n’est pas expert en vieilles pierres, en dépit d’un goût certain pour les antiquités. Il n’en a pas moins des idées précises sur l’état des monuments, condamnant à la manière d’un Victor Hugo le « mauvais goût qui a présidé à la plupart des réparations faites depuis deux siècles à nos monuments du Moyen Âge [et qui] a laissé des traces peut-être plus funestes que les dévastations, suites de nos guerres civiles et de la Révolution ».
Un état des lieux visités rédigé au jour le jour
Le 31 juillet 1834, Mérimée part pour sa première « grande tournée » qui le conduira en diligence, en malle de poste ou en tape-cul dans une cinquantaine de communes de Bourgogne et du Midi. S’il se plaint dans ses lettres de l’inconfort du voyage et de la saleté des femmes provinciales – il n’a pas l’habitude de pratiquer l’abstinence –, il n’en effectue pas moins sa tâche avec zèle en écumant monuments, musées et archives, à grand renfort de dessins et plans, rédigeant au jour le jour pour son ministère un état des lieux qu’il visite. Un travail de description et d’analyse colossale qui sera publié l’année suivante dans ses Notes d’un voyage dans le midi de la France. Ici et là, il critique âprement la mode de l’application de badigeons à base de lait de chaux par les restaurateurs modernes, technique qui rafraîchit l’allure des églises mais détériore les peintures murales. À Vaison (Vaucluse), il découvre trois bas-reliefs antiques réemployés pour décorer une ferme qui seront déposés sous sa proposition au Musée Calvet à Avignon où ils sont encore aujourd’hui. À Vézelay (Yonne), il trouve l’église abbatiale dans « un état pitoyable : il y pleut à verse et, entre les pierres, poussent des arbres comme le bras ». « La ville et le département en se saignant sont parvenus à voter 1 800 francs pour la réparer : il faudrait ajouter plusieurs zéros pour y faire les réparations nécessaires », précise-t-il dans un courrier.
Éreinté, il achève cette première tournée le 14 décembre 1834. Jusqu’en 1853, il en réalisera dix-neuf autres à travers la France pour répertorier les monuments et surveiller les travaux, jusqu’à ce que l’amitié que lui porte l’impératrice Eugénie, qu’il a connue enfant, ne le fasse sénateur et ne mette fin à cette vie semi-itinérante. Durant ces années passées à l’inspection – il y reste jusqu’en 1860 –, il n’a eu de cesse d’augmenter les crédits consacrés aux monuments historiques. Et de renforcer sur eux le contrôle de l’État. Il participe à la création de la Commission des monuments historiques en 1837 qui apporte un regard scientifique et technique sur les monuments à rénover, pour la première fois « classés » sur une liste en 1840. Jugeant les architectes souvent médiocres, il s’attache les services d’architectes agréés, notamment le (futur controversé) Eugène Viollet-le-Duc à qui il confiera, entre autres, le chantier de Vézelay en 1840.
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1834, Mérimée est nommé inspecteur des monuments historiques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : 1834, Mérimée est nommé inspecteur des monuments historiques