MONDE
Andrew Potts pointe nos habitudes de pensée, en particulier relativement au patrimoine culturel, comme éléments indispensables à prendre en compte dans la lutte contre le changement climatique. Il rappelle l’urgence de la situation.
Alors que le troisième volet du rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) vient de sortir, le secteur du patrimoine s’interroge sur le rôle qu’il pourrait tenir dans la limitation des émissions de carbone et la lutte contre le réchauffement climatique. Coordinateur du Climate Heritage Network, auparavant membre du groupe de travail de l’Icomos (Conseil international des monuments et des sites) sur les interactions entre changement climatique et patrimoine culturel, Andrew Potts, auteur du Livre vert sur le patrimoine culturel européen, livre quelques pistes de réflexion au lendemain de cette publication.
Ce que nous montre ce troisième volet du rapport, c’est que tout ce que nous avons entrepris jusqu’à maintenant ne fonctionne pas. Les stratégies de limitation des émissions s’intéressent surtout à l’innovation technologique et aux comportements individuels, pas au contexte culturel. J’estime que c’est une erreur, car les habitudes des individus sont profondément ancrées dans ce contexte. Sans s’attaquer à la question par ce biais, nous n’obtiendrons pas de résultat.
Les décideurs politiques dans le domaine du climat ont compris qu’il y a un enjeu culturel dans le changement climatique, mais ils ne savent pas comment l’aborder. Un début de réponse serait de pouvoir distinguer entre les traits culturels de nos sociétés qui devraient être maintenus et ceux qui appartiennent à la culture toxique d’un monde carboné.
Ensuite, de nombreux éléments du patrimoine culturel sont précieux dans nos efforts pour diminuer les émissions de carbone : globalement, tous les bâtiments édifiés avant que notre société devienne dépendante aux énergies fossiles. Le centre historique d’une ville est un bon exemple, ce paysage urbain nous montre comment la vie peut s’organiser sans recours aux énergies fossiles. Nous devrions nous inspirer de ce patrimoine « pré-carbone » comme exemple pour un mode de vie « post-carbone ». Il faut aussi s’intéresser à des lieux, principalement dans les pays du Sud, qui n’ont pas été cooptés par notre modèle de construction insoutenable d’un point de vue environnemental.
Troisièmement, il y a la création artistique. Nous devons imaginer une façon de vivre différente de celle que nous connaissons. L’imaginaire de notre société peut être guidé par des interventions artistiques, mais aussi en s’inspirant de modes de vie indigènes, plus respectueux de la nature.
Pour les professionnels du patrimoine, il est indispensable de composer avec cette « pétro-culture ». La question que l’on doit se poser est la suivante : comment appréhender des éléments patrimoniaux qui se sont montrés toxiques pour notre environnement ? Le patrimoine lié à l’esclavage est un exemple pertinent à cet égard : la traite a laissé une marque immense dans notre culture et nos paysages, et le patrimoine qui y est lié doit raconter cette histoire.
Concernant l’interprétation des sites industriels, la contribution des mineurs, des ouvriers devrait être valorisée, mémorialisée. Aux États-Unis, le charbon a permis d’accéder à un certain niveau de vie, de supporter l’effort de la Seconde Guerre mondiale, il faut se souvenir de tout cela comme d’un fait historique. Mais les sites patrimoniaux industriels concentrent souvent leur récit sur une certaine idée du progrès, de la relation entre l’homme et la nature qui est problématique : un prisme consumériste, où la nature est un espace à conquérir. Quand cette vision forme la matrice des supports de médiation que le visiteur va lire, il y a un problème. Il est pourtant très facile de raconter l’histoire de l’anthropocène et du changement climatique à partir d’une mine de charbon, mais la plupart des sites ne se saisissent pas de cette opportunité.
Sur ce sujet, il faut d’abord comprendre qu’une augmentation de la température globale d’1,5 °C est le point critique pour la préservation du patrimoine. Les sites patrimoniaux ne pourront pas s’adapter à un réchauffement de 2 °C, une préservation in situ devient impossible dans ce cas de figure et il faudra imaginer le déplacement des monuments ou leur préservation par des copies 3D. Pour les acteurs culturels, décarboner la production d’énergie devrait donc être le préalable à toute réflexion. S’il y a un projet de parc éolien, la première question à se poser est : combien de kilowattheures d’énergie décarbonée, permettant d’éviter un scénario à 2 °C, peut-il produire ? Il faut ensuite prendre en considération les impacts négatifs de ce parc sur la valeur d’un bien patrimonial, car cette valeur est vectrice de cohésion, d’un sentiment de communauté : des éléments importants dans les stratégies de limitation du réchauffement climatique. Le problème est que la plupart des défenseurs du patrimoine ne s’intéressent qu’à ce deuxième point, tout simplement parce que le changement climatique n’est pas une question pour eux.
Je ne pense pas que les législations patrimoniales soient le principal frein à la rénovation de l’existant. Le vrai problème, c’est le coût du modèle alternatif dans lequel nous vivons : l’étalement urbain. Les bénéfices sociaux de la réutilisation des bâtiments historiques sont par ailleurs sous-évalués, et le coût social de l’étalement très mal mesuré. Un exemple : la plupart des villes mesurent leur bilan carbone avec un protocole selon lequel je pourrais détruire tous les bâtiments de New York puis les reconstruire sans que cela ne soit comptabilisé dans les émissions. Les villes méconnaissent l’étendue du parc de bâtiments pouvant être réhabilités, et le secteur de la rénovation n’est pas dimensionné aux besoins à venir, alors que la réhabilitation est la meilleure des choses à faire sur le plan environnemental. En Europe il n’y a ni les compétences ni l’administration pour faire face à la vague de rénovations qui serait nécessaire. Si j’étais chargé de la politique patrimoniale d’un État ou d’une ville, la première chose que je ferais serait un recensement de tous les bâtiments qui nécessitent une rénovation, puis une évaluation des besoins en charpentiers, maçons, tailleurs de pierre… Sans cela, le secteur de la rénovation va vite aboutir à un goulot d’étranglement, et ce travail ne sera pas fait, ou mal fait. Là se pose la question de savoir si le secteur du patrimoine culturel veut faire partie du combat contre le changement climatique.
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Andrew Potts inquiet des effets du réchauffement climatique sur le patrimoine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Andrew Potts, auteur du Livret vert sur le patrimoine culturel européen : « Les sites patrimoniaux ne pourront pas s’adapter à une augmentation de la température globale de 2 °C »