Le Diagnostic de performance énergétique mesure la consommation d’énergie d’un logement. Ses méthodes de calcul désavantageraient le bâti ancien en ne prenant pas en compte ses spécificités.
En juin dernier, le Sénat livrait son rapport consacré au Diagnostic de performance énergétique (DPE). Les préconisations de la sénatrice Sabine Drexler (LR) reprenaient largement les inquiétudes du milieu du patrimoine, qui constate depuis 2021 l’inadéquation entre les nouvelles règles et les travaux de rénovation énergétique dans le bâti ancien. Alors que la performance énergétique était jusqu’alors réalisée à partir de factures, tenant compte seulement de la consommation réelle, elle est, à partir de cette année-là, calculée grâce à la nouvelle méthode « 3CL ». Contestée, cette méthode de calcul porte pourtant un enjeu important : dès 2025, les logements classés G ne pourront être loués.
Le bâti ancien, souvent mal noté dans les DPE, est en première ligne de cette interdiction. « Ce n’est pas sûr que le bâti ancien soit traité de manière juste et fiable aujourd’hui », relève Élodie Héberlé, ingénieure au CREBA. Pourtant, cette méthode tend à obtenir une donnée objective, permettant de comparer les bâtiments. Dans la pratique, un diagnostiqueur mesure l’ensemble de la surface habitable du bien, puis l’épaisseur des murs, examine les installations de ventilation, de production d’eau chaude et de chauffage, et entre toutes ces données dans son logiciel, parfois en les précisant grâce aux factures de travaux et de matériaux fournies par le propriétaire. En découlent rapidement deux résultats : la consommation énergétique, et l’émission de gaz à effet de serre. La prescription du diagnostiqueur est bien souvent d’isoler par l’extérieur. « Le problème vient en partie des recommandations du DPE, que les propriétaires prennent pour argent comptant, alors que ce n’est qu’une recommandation sans valeur juridique », estime Élodie Héberlé. Peu onéreuse, facile à mettre en œuvre, l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) s’impose comme la solution aux problèmes de déperdition de chaleur.
Pour le bâti ancien, cette couche supplémentaire sur la façade entraîne toute une série de problèmes. Le premier, et le plus visible, est d’ordre esthétique, en uniformisant des façades aux caractéristiques différentes : « On est en train de faire une France des bungalows », prévient l’architecte des Bâtiments de France (ABF), Gabriel Turquet de Beauregard. En dissimulant les façades, cette isolation masque aussi les fissures et autres risques avant-coureurs de désordres structurels, accroissant le risque d’écroulements soudains. Mais surtout, l’ITE peut endommager les murs en pierre ou en terre, matériaux de base des constructions anciennes : « Ce sont des maçonneries qui ont de l’eau dans leur cœur, explique l’ABF. Si on la bloque, d’un côté ou de l’autre, on s’expose à des problèmes : dégradation des pierres tendres, des maçonneries et, à terme, dégradation de l’isolant. On est sur du perdant-perdant. »
Ancien directeur du service de l’urbanisme à Bayonne, Jacky Cruchon a déjà fait l’expérience de ces dégâts : « J’ai vu, en désossant des bâtiments du centre historique, des laines de verre affaissées, déchirées, humides : là où il y a des trous, il n’y a plus d’isolation. Et quand l’isolation est humide, elle devient conductrice ! », décrit celui qui conseille désormais l’association Sites et Cités, notamment sur le DPE. « Aujourd’hui, on a un seul outil pour mesurer la performance énergétique de tissus urbains qui n’ont pas les mêmes caractéristiques. Et cela méconnaît totalement la réalité qui, pour nous, se divise en deux : le bâti qualifié de traditionnels, terre, pierre, chaux… et le bâti industriel, en béton, verre. »
La méthode « 3CL » dégrade parfois la note du DPE du bâti ancien, en ne prenant pas en compte les caractéristiques de ses matériaux, et ses atouts, comme celui d’un confort d’été adapté. Le recours à l’ITE et à cette méthode de calcul n’était pourtant pas une fatalité : ingénieur bâtiment et diagnostiqueur, Thierry Marchand se souvient d’un temps où le DPE pouvait différencier ancien et neuf : « Puis l’année 2012 est arrivée et la possibilité de faire des caractérisations plus précises a été supprimée. La réglementation nous a imposé de faire un diagnostic sur facture. Beaucoup de professionnels ont perdu leur savoir-faire, leur formation. »
Pour répondre au défi du bâti ancien, les professionnels du patrimoine réclament ainsi une base de données enrichie des logiciels (tenant compte des différents matériaux, de leur mise en œuvre et des joints), mais surtout une formation ad hoc pour les diagnostiqueurs. S’exprimant au Sénat en avril dernier, le directeur du patrimoine au sein du ministère de la Culture, Jean-François Hébert, affirmait promouvoir cette formation auprès de ses collègues du ministère de la Transition écologique : « On a obtenu une ouverture nette », se félicitait-il alors. Un autre levier, celui des incitations financières, reste à travailler : « On donne de l’argent pour poser des VMC, des ITE, alors qu’on devrait trouver des solutions qui évitent ces manières de faire consommatrices de matériaux qu’on ne devrait pas utiliser, et qui abîment le bâti », défendait-il alors. Une piste, parmi d’autres, serait d’ouvrir l’éligibilité au label de la Fondation du patrimoine aux travaux « invisibles », afin que la fondation puisse financer des travaux d’isolation des combles, par exemple.
Les alternatives à la méthode « 3CL » existent, mais elles sont bien plus onéreuses. « La simulation thermodynamique (STD) est le seul outil informatique capable d’analyser les comportements et besoins du bâti ancien, rapporte Jacky Cruchon. Il a été écarté de la discussion du DPE en 2021 car bien plus cher : un DPE coûte aujourd’hui 150 euros, une STD peut être 10 fois plus chère. » L’intervention d’un architecte, en phase de diagnostic, que de nombreux acteurs recommandent, a aussi un coût : « Il faut une approche contextuelle, défend Gabriel Turquet de Beauregard. Si un arbre feuillu est plein sud, vous n’avez pas forcément besoin de volets roulants ! »« On ne pourra pas massifier sans réfléchir, abonde Valérie Charollais, présidente de la Fédération nationale des Conseils d’architecture, d’urbanisme, de l’environnement. Il faut réinjecter de l’architecture, de l’homme, de l’art. Le risque de la massification, c’est que dans vingt ans, on se dira sûrement qu’on a fait n’importe quoi. »
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Le DPE, un mauvais calcul pour le patrimoine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Le DPE, un mauvais calcul pour le patrimoine