Le ministère de la Culture a fait de la transition écologique l’une de ses priorités, avec une feuille de route spécifique. Mais ce n’est qu’un début.
« La transition écologique va être un fil rouge de toutes nos lignes budgétaires » : en septembre dernier, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak insistait largement sur l’enjeu écologique lors de la présentation du budget de son ministère pour 2024. Une enveloppe de 40 millions d’euros venus du « fonds vert » interministériel, ainsi que 25 millions d’euros du plan « France 2030 » – destiné à financer des appels à projet – abondent le budget du ministère pour soutenir cette ambition. Empreinte carbone des publics, rationalisation de la diffusion et production des spectacles vivants, cette feuille de route s’empare de sujets laissés en friche jusqu’alors, tout en étant des leviers importants de réduction d’émission de gaz à effet de serre.
Exclu de la préparation de la loi Climat et Résilience, le ministère de la Culture a élaboré sa propre stratégie pour la période 2023-2027, reposant sur trois axes : la collecte de données et la réalisation de bilans carbone, le financement de la transition écologique et la formation. En ce qui concerne l’architecture, les territoires et les paysages, il lui faut concilier protection du patrimoine et transition écologique. Et le ministère de mettre en avant des initiatives interministérielles qui ont des premiers effets : émission d’une circulaire interministérielle pour définir une approche adaptée à la continuité écologique des cours d’eau, création d’un guide consacré à la prise en compte du patrimoine dans le cadre des projets éoliens, et transmission d’une instruction interministérielle aux préfets de région pour favoriser les bonnes pratiques en matière d’implantation de panneaux photovoltaïques aux abords de sites patrimoniaux.
Ces initiatives indispensables ménagent la préservation du patrimoine et la transition écologique, deux objectifs apparemment antagonistes, à l’image du principe de « conservation verte », qui vise à assouplir les normes de conservation dans les musées pour réduire leur consommation énergétique. À Lille, le chantier de l’Institut pour la photographie a ainsi été orienté en faveur d’une gestion durable du bâtiment, au détriment de la conservation optimale de ses fonds. Mais, dans ce plan ministériel, l’idée partagée par nombre de professionnels de l’architecture et du patrimoine, qui ferait de ce dernier un allié précieux de la transition écologique, peine à émerger. C’est à travers la « qualité architecturale » que cette notion est amenée, une sorte de réponse en creux à la « massification » souhaitée par le ministère de la Transition écologique, dans le cadre de la rénovation énergétique du bâti.
L’analyse du cycle de vie appliqué au bâti ancien et neuf
Diagnostic patrimonial, connaissance du bâti ancien et respect de ses propriétés vont dans le sens de la transition écologique selon Régis Martin, président de la compagnie des Architectes en chef des Monuments historiques (ACMH) : « L’engagement auprès de l’Union européenne consiste à atteindre la neutralité carbone dès 2050, rappelle-t-il. Aujourd’hui, je peux obtenir une très bonne performance énergétique grâce à une isolation par l’extérieur, mais avec un matériau qui a une durée de vie très courte. Cela veut dire qu’en 2030, tout cet investissement sera déjà périmé, et il faudra de nouveaux travaux, matériaux… À l’inverse, un bâtiment un peu moins performant, qu’on peut garder encore des siècles, est très rentable d’un point de vue écologique : la durabilité doit être prise en compte pour faire valoir les atouts du patrimoine. »
Les données manquent encore pour faire de cette déduction une vérité ; la compagnie des ACMH a lancé ainsi en 2024 une étude pour prouver le caractère écologique de la préservation du patrimoine, en se fondant sur l’analyse de cycle de vie (ACV). La méthode a fait ses preuves dans le secteur des transports, de l’énergie ou de l’industrie, afin d’évaluer tous les impacts environnementaux d’un produit, « du berceau à la tombe », c’est-à-dire de la phase d’extraction des matériaux jusqu’à la fin de vie, voire le recyclage. Avec la Réglementation environnementale de 2020 (RE2020), le secteur du bâtiment neuf est systématiquement soumis à cette évaluation ; mais pour la réhabilitation de l’ancien, la méthodologie manque encore de maturité.
« Pour l’instant, il n’y a pas de méthode officielle, partagée, reconnue et estampillée par l’État pour l’ACV de la rénovation », explique Philippe Leonardon, ingénieur à l’ADEME (Agence de la transition écologique). L’absence de méthode empêche ainsi d’avoir une base de comparaison entre le scénario d’une réhabilitation et celui d’une construction ou d’une destruction-construction. En janvier 2023, le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement) publiait ainsi une étude compilant cinq méthodes permettant de calculer le bilan carbone d’une réhabilitation. Des problèmes méthodologiques majeurs ont émergé de ce travail tels que la difficulté à tracer une limite entre travaux d’entretien et chantier de rénovation énergétique, ou le choix d’une durée de vie arbitraire permettant de comparer les scénarios (50 ans après les travaux, par exemple).
Dans les différentes méthodes évaluées, les matériaux prennent une importance centrale pour le calcul du bilan carbone et de l’impact environnemental des bâtiments anciens. Professeur à l’École des mines, Bruno Peuportier tempère la prégnance donnée aux matériaux dans l’ACV : « Ils ne représentent qu’une petite participation au bilan carbone global d’un bâtiment, estime-t-il. Il faut donner la priorité à l’efficacité énergétique, qui est la source première de gaz à effet de serre. Les calculs officiels soulignent souvent l’importance des matériaux dans les émissions, mais il y a des biais : la réglementation sous-estime les impacts de l’énergie, car l’État vend aussi de l’énergie. » Dans un article scientifique cosigné par Bruno Peuportier en 2019, la durée de vie choisie pour établir la comparaison apparaissait comme le facteur le plus déterminant pour confronter le scénario d’une réhabilitation à ceux d’une construction neuve ou d’une destruction-construction. Les bâtiments neufs tiraient leur épingle du jeu sur des durées de vies très longues, mais très peu vraisemblables compte tenu des pratiques actuelles de la construction. « Dans le cas des nouveaux bâtiments, l’objectif devrait être d’assurer leur durabilité en changeant la tendance humaine actuelle à les remplacer précocement », concluent les auteurs, qui introduisent ici une approche patrimoniale de bâtiments pas encore construits !
« Quartiers anciens, modèles de villes durables »
La comparaison purement bâtimentaire connaît par ailleurs ses limites, en ne prenant pas en compte les comportements induits par le bâti ancien, souvent situé dans le centre-bourg des villes. C’est le propos de l’association Sites et Cités, avec le slogan « Quartiers anciens, modèles de villes durables » : déplacements des piétons, lutte contre l’artificialisation des terres, bâti adapté au climat, la réhabilitation du bâti ancien en ville pourrait déclencher des comportements vertueux en cascade. « Il faut que l’ancien soit compétitif par rapport au neuf, pas seulement sur le plan énergétique, mais aussi parce qu’il est capable de produire une aménité urbaine, des qualités de diversité, un plaisir de rentrer dans des logements confortables, avec un bel escalier, de belles façades… », défend ainsi Jacky Cruchon, consultant pour l’association.
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Les prémices de la stratégie écologiste de la rue de Valois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Les prémices de la stratégie écologiste de la rue de Valois