L’émoi suscité par l’arrivée de Rachida Dati Rue de Valois a quelque chose de typiquement français.
D’abord par l’aveu de l’importance symbolique de ce ministère qui, en termes protocolaires mais, plus encore, budgétaires, pèse si peu ; ensuite parce que le débat autour de la personne même de la nouvelle ministre suppose que la politique culturelle, en ce pays, est significativement orientée par les titulaires successifs de ce portefeuille. Le premier constat n’est pas niable, mais tout dépendra alors de la signification, en profondeur, du symbole en question ; quant à la supposition individuelle, elle ne repose sur rien.
Historiquement – c’est-à-dire, aussi, géographiquement, dès lors que l’on compare ce pays aux pays analogues –, la France se distingue nettement par la visibilité qu’elle a précocement accordée aux enjeux de ce qui, il y a encore un siècle, était résumé sous le vocable des « Beaux-Arts » puis, à partir du Front populaire, sous celui de la « Culture ». Cette focalisation peut s’expliquer par la convergence de deux héritages – convergence qui dit tout de l’identité de ce pays – : un héritage monarchique relayé paradoxalement par tout un héritage révolutionnaire, assez bien symbolisé – c’est le mot – par la transformation, à vrai dire saisissante – même si aujourd’hui plus personne n’en a clairement conscience – du palais du Roi en Musée du Louvre. À la ligne monarchique du mécénat d’État (dont l’administration du Patrimoine fut longtemps le fleuron) s’ajoutera ainsi la ligne libérale d’un pays qui poussera jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes la religion culturelle (l’histoire du Centre national de la cinématographie en demeure le meilleur exemple, très inspirant dans plusieurs pays étrangers) et, couronnant le tout – au moins dans le discours –, la ligne démocratique (l’exemple le moins mauvais demeurerait aujourd’hui le Festival d’Avignon, moins dans son projet initial que dans son état provisoirement définitif, fondé sur la cohabitation improbable d’un « In » et d’un « Off »). L’invention d’un ministère autonome, en charge, pour finir (en 1978), de la Culture, a cristallisé une réalité étatique, harmonisée au retour en force monarchique de 1958, et l’attribution – hasardeuse et astucieuse – du premier maroquin à André Malraux a posé les termes d’un mythe, un peu comme si l’image de Jean Moulin devait désormais hanter la mémoire collective du corps préfectoral. On comprend mieux, dès lors, comment l’épisode Jack Lang a été – à juste titre – identifié à un apogée. Et qui dit apogée, dit déclin.
C’est là que la personnalisation du problème rencontre ses limites. Malraux ou Lang étaient de fortes individualités (à ne pas confondre avec « fortes personnalités », ce qui est une autre histoire : Charles De Gaulle était une forte personnalité), mais ils avaient une caractéristique capitale : un lien direct, quasi féodal, au chef de l’État. Si Lang a obtenu ce cadeau incroyable que fut le doublement de son budget en un seul exercice budgétaire, c’est que sa bonne connaissance des dossiers a rencontré un projet présidentiel à l’ancienne faisant de la Culture un attribut sérieux de l’autorité suprême.
La question n’est donc pas celle des individus – sérieux ou légers, professionnels ou politiques, de droite ou de gauche –, mais celle des deux acteurs politiques essentiels que sont, en France, le monarque et son peuple. L’instabilité des titulaires de la Rue de Valois n’est pas la cause du déclin mais son effet. Depuis trente ans, aucun président n’a – de fait : peu importent les discours et les goûts personnels – pris en considération les enjeux culturels à la hauteur de ce qu’un De Gaulle ou un Mitterrand pouvaient mesurer.
L’association récurrente de la « Communication » avec la « Culture » dit déjà beaucoup des nouveaux rapports de force, tout comme l’effondrement symbolique, concomitant, du projet d’Éducation nationale, remontant au siècle des Lumières. La critique écologiste de l’« élitisme » des institutions culturelles à la française signale aussi l’ambiguïté d’un projet démocratique muant populiste. C’est donc, comme toujours, au cœur de la société elle-même qu’il faut chercher la source de ce désamour ou – pire – de ce désintérêt.
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La Rue de Valois n’est pas ce qu’on croit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°625 du 19 janvier 2024, avec le titre suivant : La Rue de Valois n’est pas ce qu’on croit