Les impressionnistes n’étaient pas des autodidactes. Le mouvement s’est construit sur un héritage qui a poussé plusieurs artistes à s’en émanciper tout en s’inspirant des maîtres qu’ils s’étaient choisis.
Nombre de biographies d’impressionnistes abordent l’influence qu’ont eue sur eux leurs prédécesseurs. L’éparpillement de ces études ne permettait cependant pas d’avoir une vue d’ensemble sur cet aspect de leur formation et de leur pratique. La thèse soutenue en 2015 par Brice Ameille a fait le point sur ce qu’on sait de cette « relation à la tradition picturale », s’appuyant non seulement sur la littérature déjà publiée, mais également sur des « comparaisons iconographiques étayées ». Cet important travail, désormais accessible dans un passionnant ouvrage enrichi de nombreuses illustrations, bat définitivement en brèche l’idée que l’impressionnisme s’est épanoui en dehors de toute référence au passé. Il défend aussi une analyse novatrice de la crise des années 1880 qui a vu un groupe qui s’était constitué en réaction à l’académisme éclater sous la pression de ses membres qui ont puisé leur inspiration dans la tradition pour affirmer leur individualité.
Dans un premier temps, l’auteur rappelle que tous les peintres impressionnistes ont reçu une formation, nécessairement tributaire du passé. De celui dont on a le plus souvent dit qu’il en était dépourvu, il affirme d’emblée : « Monet n’est pas qu’un “œil”, pour reprendre le mot de Cézanne, et il n’est pas non plus un autodidacte. » Le livre recense les ateliers qui les ont accueillis, les musées français et étrangers ainsi que les galeries et les collections particulières qu’ils ont visitées, et insiste sur l’importante documentation sur les peintres anciens dont ils disposaient.
Qu’allaient chercher les artistes dans les musées ou dans les Vies de peintres ? Des recettes et souvent un modèle d’émancipation. On sait qu’Édouard Manet a beaucoup regardé Diego Vélasquez et Francisco de Goya, mais c’est aussi le cas d’Edgar Degas et d’Auguste Renoir. Rembrandt était unanimement admiré et tout le mouvement s’est inspiré du siècle d’or hollandais pour bousculer la hiérarchie des genres. La « légèreté rococo » imprègne l’œuvre de Renoir et Degas cultivait l’estampe et le pastel, médiums rois du XVIIIe siècle. Paul Cézanne lui-même a construit Le Festin (vers 1867-1870) en regardant Véronèse…
C’est « la tradition comme critère de positionnement » qui fait éclater le groupe. On assiste à « une nouvelle approche du mouvement, qui s’appuie moins sur la pratique du plein air ou la représentation de sujets modernes que sur la reconnaissance ou non d’une dette à l’égard des maîtres anciens. » Si l’on trouve chez Alfred Sisley, Claude Monet et Camille Pissarro des réminiscences des paysagistes nordiques et italiens, c’est que cette tradition est « forcément présente dans leur inconscient ». Manet, Cézanne et Van Gogh, eux, se revendiquent clairement disciples des anciens. Degas tire sa passion de la Renaissance de celle qu’il éprouve pour l’Italie. Quant à Paul Gauguin, il vénère Giotto et répète dans Polynésienne avec enfants (1901) la composition de Portrait de la famille de l’artiste de Hans Holbein le Jeune (vers 1528-1529)… Pour les impressionnistes aussi, « une peinture en appelle une autre, un tableau ancien suscite la création d’un nouveau », conclut Brice Ameille.
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Ce que l’impressionnisme doit aux maîtres du passé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Ce que l’impressionnisme doit aux maîtres du passé