La Bibliothèque nationale de France brosse le portrait d’un audacieux peintre du noir et blanc, à travers ses dessins, ses estampes et ses photos.
Paris. Alors que les toiles et pastels d’Edgar Degas (1834-1917) font sensation à l’exposition « Manet-Degas » du Musée d’Orsay, la Bibliothèque nationale de France (BNF) s’intéresse à un aspect plus confidentiel mais non moins important du travail de l’artiste : l’œuvre en noir et blanc. Les commissaires, Henri Loyrette, président-directeur honoraire du Musée du Louvre et spécialiste de Degas, et Sylvie Aubenas, Valérie Sueur-Hermel et Flora Triebel de la BNF, y montrent à quel point des feuilles et toiles auparavant abordées séparément selon leur technique forment un tout.
Les cent soixante œuvres rassemblées pour cette démonstration racontent une passion : « Si j’avais à refaire ma vie, je ne ferais que du noir et blanc », écrivait le peintre en 1906 au graveur et lithographe Georges Villa. L’un des vingt-neuf carnets de dessins de Degas conservés au Cabinet des estampes, le Carnet 1 (1859-1864), est en cours de restauration et des feuillets détachés en sont présentés. Les dessins à la plume et les lavis font dire à Henri Loyrette que Degas « voyait d’abord en noir et blanc » plutôt qu’en couleurs. En 1874, lors de ce que nous appelons aujourd’hui la « première exposition impressionniste », Edgar Degas montre, au côté des œuvres de Claude Monet, Paul Cézanne, Auguste Renoir et Camille Pissarro, une grisaille à l’huile sur toile intitulée Répétition de ballet sur la scène. Dessin, peut-être un modèle pour la gravure. « Mais quand on a tout le monde sur le dos pour vous demander de la couleur !… », regrettera plus tard l’artiste auprès du marchand Ambroise Vollard.
De l’estampe, il fait un nouvel art de peindre. En 1857, ce grand admirateur de Rembrandt copie à l’eau-forte Jeune Homme assis au béret de velours (1637) et réalise son propre autoportrait dans la même technique. Mais, raconte Valérie Sueur-Hermel dans le catalogue, c’est en 1875 auprès de ses amis Giuseppe De Nittis et Marcellin Desboutin « que renaît chez Degas un goût qui va rapidement devenir une passion ». Elle le mène à acheter une presse d’imprimerie et à inventer diverses façons de créer des œuvres ne devant leur magie qu’à l’encre. Il ne produit pas des « multiples » mais des tirages uniques d’états successifs d’une même plaque. L’une des techniques qu’il emploie, le monotype que lui a enseigné son ami Ludovic Lepic et dont il devient un virtuose, permet d’imprimer ce qu’on peut considérer comme deux peintures à l’encre, l’une très chargée en matière, l’autre plus pâle qu’il utilise souvent comme base pour un pastel. Une superbe sélection de ces œuvres permet notamment d’admirer Fumées d’usines (vers 1877-1879) et La Cheminée (vers 1880-1885) prêtées par le Metropolitan Museum of Art (New York) ou Femme debout dans une baignoire (vers 1880-1885) du Musée d’Orsay.
En 1895, Degas trouve une nouvelle façon de créer en noir et blanc : la photographie lui permet de poursuivre ses recherches sur le clair-obscur dans la continuité de Rembrandt. C’est l’occasion pour la BNF de présenter des pages des Albums Halévy qui, avec les monotypes Scène nocturne et Au pied d’un arbre (vers 1877-1880), sont de récentes acquisitions venant compléter son remarquable fonds Degas.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : L’œuvre au noir de Degas