L’œuvre du peintre est mis en perspective dans un ouvrage avec l’importance sociale de l’Opéra de Paris au XIXe siècle.
Traduit de l’anglais par Christine Piot et enfin disponible en France, le catalogue de l’exposition « Degas and the dance » (Degas et la danse) propose une analyse de l’œuvre d’Edgar Degas à travers le contexte socioculturel de la danse et de l’opéra à la fin du XIXe siècle. Exposition itinérante aux États-Unis, « Degas and the dance » a fait le bonheur des visiteurs des musées de Detroit et de Philadelphie en 2002 et 2003. Organisée par Richard Kendall, spécialiste britannique de l’artiste, et Jill DeVonyar, historienne de l’art américaine et ancienne danseuse, la manifestation portait un regard croisé sur l’histoire de l’Opéra de Paris et de son meilleur illustrateur, Edgar Degas.
Par sa riche documentation, l’ouvrage Degas et la danse développe les thèmes déjà abordés lors des expositions-dossiers, « L’ouverture du nouvel Opéra » en 1986-1987 et « Le Foyer de la danse » en 1988, réalisées au Musée d’Orsay par Martine Kahane, historienne de la danse et conservateur en chef de la bibliothèque de l’Opéra. Comme Édouard Manet, Degas, qui refusait l’étiquette d’impressionniste, s’adonnait à l’observation de ses contemporains. L’Opéra de Paris tenait en cela une place importante sur l’échiquier social de la vie parisienne à la fin du XIXe siècle : le spectacle s’y déroulait autant dans la salle que sur la scène, et le jeu du regard – voir, être vu – opérait sans relâche. Parallèlement à la description pure du mouvement des danseuses, Degas s’amuse à décrire le Foyer de la danse comme un terrain de chasse où les prédateurs/abonnés tournent autour des gazelles/ballerines. La caricature, omniprésente dans la presse de l’époque, faisait elle aussi ses choux gras de ce « ballet ». Rarement tendre avec les danseuses, elle les réduisait, non sans humour, à de vulgaires stéréotypes. C’est là que la vision d’Edgar Degas devient frappante. Admirateur de la ligne et fanatique du mouvement, Degas avait initialement trouvé chez la danseuse un sujet idéal, car malléable et modulable : les petits rats ne rechignaient pas à tenir la pose de longues heures durant. Sa fréquentation assidue des salles de classe et de répétition avait fini par le familiariser avec un métier où la discipline et l’effort sont rois. Ce sens du perfectionnisme ne pouvait laisser indifférent l’admirateur absolu de Jean Auguste Dominique Ingres, et son travail, avec les années, trahit une réelle admiration pour ces « vulgaires » petits rats. Ainsi Kendall et DeVonyar font-ils appel à des documents contemporains pour souligner la justesse du regard du peintre sur les exigences physiques liées à la pratique de cet art.
La mise en perspective du travail de Degas dans l’historiographie de l’Opéra de Paris constitue l’intérêt principal de cet ouvrage : plans architecturaux des deux édifices (celui, délabré, de la rue Le Peletier, détruit lors d’un incendie en 1873, et celui de Charles Garnier), repérages des studios de danse, analyses d’éléments scénographiques… Et cette somme est savoureuse grâce à quelques documents étonnants, comme cette Caricature de Degas en danseur (1885) par Michel Manzi, où le peintre, arborant des collants et des chaussons roses, exerce sa « quatrième » devant un miroir. Mais si ces caricatures, hormis celles d’Honoré Daumier, tentent de recréer l’atmosphère des coulisses ou du Foyer de la danse, elles n’égalent jamais la vision créative de Degas.
JILL DE VONYAR et RICHARD KENDALL, DEGAS ET LA DANSE, traduit de l’anglais par Christine Piot, Éditions de la Martinière, 2004, 300 p., 55 euros. ISBN 2-7324-3157-5
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Edgar Degas et ses petits rats
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Edgar Degas et ses petits rats