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HISTOIRE

L’Orient et le Moyen Âge, deux exotismes du XIXe siècle européen

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2025 - 567 mots

Un ouvrage collectif met en lumière comment l’orientalisme et le médiévalisme se sont construits en parallèle au XIXe siècle, sur fond d’imaginaire commun.

Si la fascination pour l’Orient est bien connue, celle pour le Moyen Âge l’est moins, bien qu’elle ait irrigué les arts et la littérature du XIXe siècle. L’ouvrage Médiévalismes et Orientalismes met en lumière cette double fascination, teintée de colonialisme et de goût pour l’exotisme, à travers des chapitres consacrés à la littérature française et à l’histoire des arts visuels. Ce qui lie l’Orient et le Moyen Âge c’est l’aspect « lointain », dans l’espace et le temps : l’éloignement permet aux Européens de recréer un Orient idéal et un Moyen Âge assimilé à « l’âge d’or du christianisme ». Victor Hugo dans Les Orientales fut le premier à faire ce rapprochement (1829), suivi par les écrivains et artistes romantiques. Pour les auteurs de l’ouvrage, cette double fascination relève de « la quête nostalgique du paradis perdu », incarnée par les voyages en Orient et la visite des sites médiévaux en Europe et en Méditerranée. Moyen Âge et Orient sont ici des « constructions » européennes et non des réalités.

Ces constructions se révèlent par exemple dans les études sur les Croisades au XIXe siècle, telle L’Histoire des Croisades de Michaud (1812-1822), qui a connu un succès immédiat auprès d’un public catholique tendance royaliste, en exaltant les conquêtes chrétiennes. Cet ouvrage a été diffusé sous d’autres formes dans des manuels destinés aux écoles catholiques jusqu’en 1914. Plus notable, l’ouvrage a inspiré à Louis Philippe les décors des salles de Versailles consacrées aux chevaliers en Palestine. Les auteurs montrent aussi comment cette double fascination se fixe sur des objets ou personnages très spécifiques, du chevalier croisé au sacro catino de Gênes (possible Graal ou plat du dernier repas du Christ), en passant par le « Vieux de la montagne » et ses « assassins » (Hachachins). Ainsi les romans de chevalerie du XIXe siècle remettent-ils à la mode le chevalier médiéval rempli d’amour courtois, quand les publications pour enfants accumulent les stéréotypes sur les « Orientaux », la luxuriance de la végétation et la sensualité exacerbée des femmes… Ces lieux communs se retrouvent également chez les écrivains romantiques comme Walter Scott, pour structurer un nouvel imaginaire. Dans le contexte de la conquête de l’Algérie (1830) et des expéditions scientifiques au Proche-Orient, ces publications prennent une dimension politique.

Dans les arts visuels, la double fascination se traduit entre autres dans le motif de la femme au perroquet en peinture, hérité de la culture indienne et des Mille et Une Nuits. Tantôt gai compagnon, tantôt espion au service du mari jaloux, le perroquet était déjà représenté dans des miniatures indiennes avant d’entrer dans les toiles françaises, dans le contexte des études orientalistes. Ce motif de perroquet tisse des liens avec les Vierges à l’enfant de la Renaissance (Hans Baldung dit Grien) et avec les récits érotiques « orientaux »: quand Delacroix ou Courbet peignent des femmes au perroquet, ils condensent toutes ces références sur la toile.

Après plusieurs chapitres sur les opéras du XIXe siècle, l’ouvrage se clôt sur une étude comparative de l’art contemporain au Moyen-Orient et au Japon, qui constitue la seule ouverture sur le XXe siècle dans un ouvrage centré sur le XIXe siècle. Cet ouvrage ouvre donc des perspectives très intéressantes sur deux domaines d’étude habituellement séparés, mais il manque une étude sur le début du XXe siècle, par exemple les Expositions universelles et coloniales, l’ultime avatar de l’orientalisme.

Médiévalismes et Orientalismes, deux exoticismes ?, Patricia Victorin dir.,
Presses Universitaires de Rennes, 2025, 370 p., 25 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°652 du 28 mars 2025, avec le titre suivant : L’Orient et le Moyen Âge, deux exotismes du XIXe siècle européen

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