Antiquaire

Le bureau, symbole du pouvoir

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 1051 mots

Collectionneurs et hommes d’affaires plébiscitent ce meuble incontournable qu’ils préfèrent large, richement décoré et plat.

« Le bureau est un meuble incontournable, l’un des premiers achats des collectionneurs », affirme Brice Foisil, directeur du département mobilier de Sotheby’s France. À la Biennale des antiquaires 2010, il y en a pour tous les goûts. Le bureau incarne le « Grand Siècle » à la galerie François Léage (Paris), qui présente un bureau à caissons en marqueterie Boulle d’époque Louis XIV, ainsi qu’à la galerie Gismondi (Paris), qui expose un modèle de Pierre Gole décoré de marqueterie de fleurs sur un fond d’ébène, reposant sur des pieds rehaussés de laque burgautée. Sur le stand de Jacques Perrin (Paris), un modèle napolitain de la fin du XVIIIe siècle, incrusté de pierres dures semi-précieuses, sera à l’honneur. Le bureau plat s’impose chez Anne-Marie Monin (Paris) (lire l’encadré) et chez les Kraemer (Paris). C’est dans un écrin exceptionnel – le bureau ovale de la Maison Blanche reproduit à la moulure près – que ces derniers présenteront un bureau estampillé Pierre Garnier, orné de bronzes dorés caractérisant le « goût grec ». « C’est l’un des plus beaux témoignages de la force et la puissance de la période Transition Louis XV-Louis XVI », insistent les antiquaires.

Le bureau de pente, qui n’offre qu’une surface réduite de travail, est collectionné en tant que meuble de décoration. Un exceptionnel bureau de pente d’époque Louis XV, à panneaux de laque du Japon, estampillé Jacques Dubois, a été emporté 684 000 euros, le 26 mars 2010 à Drouot (SVV Kohn). Avec le bureau à cylindre, l’avantage est de pouvoir recevoir tout en dissimulant son travail (ou son désordre) d’un seul geste. Or, démodés depuis des années, les bureaux à cylindre ont du mal à se vendre, exception faite des grands et beaux modèles. Ainsi un exemplaire de la période Transition Louis XV-Louis XVI, décoré toutes faces d’une marqueterie remarquable rehaussée de bronze ciselé et doré, a été négocié en vente privée à Paris chez Christie’s en juin. Ce chef-d’œuvre de François Gaspard Teuné est proche d’un autre bureau à cylindre du même ébéniste provenant des collections du château de Vaux-le-Vicomte, cédé le 17 juin 2000 à Monaco par Christie’s pour « seulement » 1,3 million de francs (200 000 euros). Les enchères n’avaient pas grimpé au-delà, car ce meuble, classé monument historique, était interdit d’exportation.

Le retour du Boulle
La star du bureau demeure le bureau plat. « Symbole de pouvoir, les grands bureaux plats XVIIIe font beaucoup d’effet aux hommes d’affaires et grands collectionneurs », témoigne l’antiquaire parisien Anne-Marie Monin. Un grand bureau présente généralement plus d’1,60 mètre d’envergure. Le bureau plat Louis XVI est très apprécié « pour la sobriété de sa ligne. On l’associe facilement à tout type de décor, y compris un environnement contemporain », souligne Simon de Monicault, spécialiste en mobilier et objets d’art chez Christie’s France. « Les grands bureaux Louis XV dotés d’une belle ligne ondulante et de beaux bronzes dorés rivalisent avec les Louis XVI », soutient Bill Pallot, spécialiste en mobilier XVIIIe. Un superbe modèle d’époque Louis XV (vers 1750-1755), estampillé Dubois, en marqueterie de fleurs, à très riche ornementation de bronze ciselé et doré et d’une taille exceptionnelle (192 cm de largeur), s’est vendu 480 250 euros le 9 avril 2008 chez Sotheby’s. Un bureau plat en ébène de la fin de l’époque Louis XV (vers 1765-1770), en placage d’ébène et bronze ciselé et doré, estampillé Montigny, est monté à 600 750 euros le 10 novembre 2009 à Paris, toujours chez Sotheby’s. Bien qu’il fût de taille intermédiaire (159 cm de largeur), ce bureau présentait l’avantage d’avoir conservé son cartonnier surmonté d’une pendule en bronze doré, une rareté qui a payé. Les rarissimes et beaux bureaux en laque font partie des pièces les plus recherchés, à condition que les laques soient dans un bon état de conservation. Sinon le meuble ne trouve pas acquéreur.

Le style Louis XIV, soit le mobilier en marqueterie Boulle, a été remis au goût du jour grâce à la collection Hubert de Givenchy dispersée le 4 décembre 1993 à Monaco, sous le marteau de Christie’s. L’un des fleurons de cette collection était un large bureau plat d’époque Louis XIV par André-Charles Boulle en marqueterie d’écaille à incrustations de laiton sur fond d’ébène, adjugé 18,8 millions de francs (1,8 million d’euros). Dans la vente de la collection Wildenstein du 14 décembre 2005 à Londres chez Christie’s, un grand bureau plat d’époque Louis XIV (vers 1710), en marqueterie Boulle de laiton sur fond d’écaille brune, attribué à André Charles Boulle, a obtenu la plus haute enchère : il s’est envolé à 2,9 millions de livres sterling (4,3 millions d’euros).

Bill Pallot, expert en mobilier XVIIIe attaché à la galerie Didier Aaron, Paris

Le fauteuil de bureau XVIIIe est-il un achat complémentaire au bureau XVIIIe ?
Il le devient assez rapidement. Mais le fauteuil de bureau est plus rare à trouver. On en voit moins passer sur le marché parce que les gens les gardent pour d’autres usages. Par conséquent, c’est un achat qui peut s’avérer assez onéreux. On attend d’un fauteuil de bureau qu’il soit fonctionnel et pas trop fragile. Il doit être confortable et l’on doit s’y sentir bien calé. Ainsi les fauteuils garnis de cuir ont la cote. Un fauteuil classique d’époque Louis XV, en noyer patiné et garniture en cuir, vaut autour de 20 000 euros. En revanche, les fauteuils cannés à trois pieds (en façade), que l’on a beaucoup fabriqués à l’époque Régence et sous Louis XV, sont boudés, au profit des fauteuils à quatre pieds (soit deux en façade) et assise tournante, d’époque Directoire ou Louis XVI, généralement en acajou. Les acheteurs se tournent volontiers aussi vers des fauteuils de bureau Régence à grande assise haute, avec un grand dossier et de larges accotoirs. De tels sièges atteignent facilement 50 000 à 100 000 euros en ventes publiques. Le 28 avril 2010 à New York chez Sotheby’s, lors de la vente du contenu de la résidence londonienne de Mme Wrightsman, il y avait par exemple un très beau fauteuil de bureau d’époque Louis XVI, en acajou et bronze doré, par Johann Gottlieb Frost. Estimé très raisonnablement 20 000 à 30 000 dollars, ce fauteuil est monté jusqu’à 116 500 dollars [88 000 euros].

Le Louis XV sublimé par l’Orient

Débutées sous le règne de Louis XIV, les interactions entre l’Orient et l’Occident parviendront à leur apogée dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle. La Chine et le Japon apparaissent ponctuellement dans le décor de certains meubles par l’intégration de précieux panneaux de laque redécoupés à souhait dans des paravents et des cabinets importés à grands frais d’Extrême-Orient. C’est dans ce contexte que cet élégant bureau est sorti de l’atelier de Jacques Dubois. L’ébéniste a sélectionné de très beaux panneaux de laque de Chine à décor de paysages animés de pagodes qu’il a intégrés à un placage de bois de rose. « Cette composition particulièrement novatrice pour l’époque témoigne de la précocité de cette ébénisterie “à l’orientale”? qui illustre les balbutiements de ce type de mobilier lancé par les grands amateurs de l’époque, rapporte l’antiquaire parisienne Anne-Marie Monin. En avançant dans le siècle, les ébénistes parisiens privilégieront le plus souvent des décors beaucoup moins coûteux réalisés en vernis européen, dit “vernis Martin”?, faisant des bureaux plats en placage et panneaux de Chine des pièces particulièrement rares et onéreuses dont peu nous sont parvenues. » Ce bureau présente la particularité de figurer, avec un secrétaire, sur un tableau de Charlemagne Oscar Guet portraiturant René Gaspard Dassy. Pour Anne-Marie Monin, « ce cas d’identification de meubles sur un portrait peint de l’époque est rarissime et illustre l’importance donnée par Dassy, richissime négociant installé à Meaux, à ces deux meubles en laque, chefs-d’œuvre de sa collection, qui sont inventoriés brièvement à son décès en 1837 dans la bibliothèque ». Au fil des différentes successions, ce bureau est resté durant plus d’un siècle et demi dans la famille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : Le bureau, symbole du pouvoir

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