Arts premiers

La puissance des « regalia » africaines

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 805 mots

Auréolés d’une provenance royale, les rares bronzes de Benin et la sculpture Bangwa et Tshowké fascinent par la puissance de leur esthétique.

Les souverains des royaumes d’Afrique ont fait appel aux meilleurs sculpteurs pour la réalisation d’objets qui devaient incarner la dignité et la puissance royales. Parce qu’il renvoie à une notion de qualité et de pedigree, l’art royal africain est hautement désirable. Les œuvres royales de Benin (Nigeria), bangwa (Cameroun) et tshowké (Angola) constituent les formes les plus emblématiques des arts de cour africains. « Rappelons que l’art africain a très longtemps été classifié comme “témoins ethnographiques”. Grâce aux bronzes de Benin et leur superbe “classicisme”, il est officiellement entré en Europe dans la grande histoire universelle de l’art, notamment avec l’Histoire de l’art d’Élie Faure publiée en 1911. Cette reconnaissance s’est faite au même moment que la découverte de l’“art nègre” par les artistes modernes », rapporte Marguerite de Sabran, directrice du département Arts d’Afrique et d’Océanie chez Sotheby’s France.

Pour l’expert Pierre Amrouche, « l’art royal africain est en premier lieu illustré par l’art palatial de Benin : bronzes, ivoires, objets en bois dur plaqués (ou non) de métal martelé, ont de tout temps attiré les collectionneurs et d’abord les princes européens. Les objets royaux de Benin sont une catégorie à part de l’art africain. Ils ne sont pas considérés comme de “l’art nègre” et leur esthétique classique rassure et attire un plus large public que celui des amateurs d’arts primitifs ». Le record mondial pour un bronze de Benin a été établi le 17 mai 2007, à New York chez Sotheby’s, où une tête d’Oba (roi) datant de la fin XVIe-début XVIIe, provenant de l’ancienne collection de l’Albright-Knox Art Gallery, a été adjugée 4,7 millions de dollars (3,5 millions d’euros). « En plus de la qualité extraordinaire des œuvres en bronze, cette tradition constitue l’une des rares sources historiques de l’art africain, dont peu d’objets en bois de cette période sont parvenus jusqu’à nous », souligne Marguerite de Sabran.

Œuvres raffinées
Le prestige de la grande statuaire des royaumes bangwa repose à la fois « sur une tradition artistique royale, sur les principes vitaux qu’elle exprime (virilité, force physique et mentale, fertilité) et sur les exceptionnelles solutions plastiques inventées par les sculpteurs bangwa pour exprimer cet idéal de puissance », analyse Marguerite de Sabran. À travers ses chefs-d’œuvre, l’art bangwa a aussi joué un rôle majeur dans la reconnaissance des arts africains, notamment avec la célèbre statue de « reine dansante ». Ce joyau incontesté de la collection Helena Rubinstein, inlassablement exposé et reproduit depuis 1923, notamment immortalisé par Man Ray, est aujourd’hui conservé dans les collections du Musée Dapper à Paris. Considérée comme le compagnon de cette célèbre reine bangwa, une rarissime figure d’ancêtre royal masculin bangwa datant du XIXe siècle s’est vendue un million d’euros, le 4 décembre 2009, chez Christie’s à Paris.

Citons encore les sculpteurs tshowké qui ont produit pour la cour, au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, des œuvres raffinées remarquables dont la réputation est fondée sur une tradition artistique princière et sur les solutions plastiques imaginées pour exprimer les notions de puissance et de souveraineté. Ainsi, dans l’art royal tshowké, la représentation démesurée de la tête et des mains symbolise-t-elle le pouvoir du souverain. On retrouve cette puissance dans les œuvres les plus petites, tel un sommet de sceptre-tabatière de 17 cm qui apparaissait pour la première fois sur marché le 16 juin 2010 à Paris chez Sotheby’s. Estimé autour de 100 000 euros, il a été adjugé 456 750 euros.

Le chien Verwilghen

La présentation du chien royal kuba (Congo) pour la toute première fois au public à l’occasion de la XXVe Biennale des antiquaires, à Paris, est un événement. Les Kuba ont formé un royaume centralisé constitué d’une mosaïque d’ethnies fédérées sous la domination du peuple Bushoong. Dans les premiers temps du royaume, tous les hommes de lignée royale devaient connaître l’art de la forge. La tradition orale bushoong a conservé le souvenir de cette sculpture en fer forgé qu’elle attribue au prince-forgeron Myeel, très habile métallurgiste du XVIIe siècle. « On a longtemps cru que cette œuvre magistrale avait été emportée en 1909 par le collectionneur voyageur Emil Torday à qui le roi Kot-a-Pey offrit notamment les célèbres portraits royaux aujourd’hui conservés au British Museum de Londres », rapporte l’antiquaire parisien Bernard Dulon. Elle fut en fait précieusement conservée au sein du trésor de la famille du prince héritier Miko Mabiitsh ma-Mbeky jusqu’en 1967, date à laquelle elle fut cédée à la collection Verwilghen. Deux statuettes anthropomorphes en fer forgé conservées au musée ethnographique d’Anvers et une enclume, symbole de l’autorité royale, appartenant au musée de Kinshasa, sont également attribuées à Myeel.
Chien en fer forgé, Kuba, Congo, XVIIe siècle, 46 cm. Galerie Bernard Dulon, Paris, Biennale des antiquaires 2010.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : La puissance des « regalia » africaines

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