La sculpture bouddhique impériale chinoise en bronze doré a connu une véritable flambée des prix cette année. Il est difficile, dans ce contexte, de fixer une cote.
Les objets impériaux chinois connaissent depuis quelques années une flambée de prix. Mais à ces envolées haussières, amplifiées par des mouvements hyperspéculatifs, succèdent parfois des baisses plus ou moins importantes. Ainsi le marché des cloisonnés chinois, qui avait connu un pic en 2007 avec la dispersion à Paris d’une importante collection européenne, couronnée d’un record du monde à 6,5 millions d’euros pour une paire de personnages en émail cloisonné, est aujourd’hui redescendu à un niveau plus raisonnable. « Il est probable que le marché des cloisonnés remonte, lance Philippe Delalande, spécialiste en arts d’Asie chez Sotheby’s. Le marché de l’art chinois est en totale surchauffe, et donc très instable. » « De nouvelles fortunes se font et se défont tous les jours en Chine ; ce sont autant de nouveaux collectionneurs entrants et sortants sur un marché de l’art chinois qui est devenu chaotique », observe Antoine Barrère, antiquaire parisien spécialisé en arts asiatiques. Ces nouveaux acheteurs chinois, qui ont beaucoup de moyens mais relativement peu de connaissances sur leur patrimoine artistique, se tournent fatalement vers ce qu’ils appréhendent avec facilité, c’est-à-dire les arts décoratifs impériaux.
Cette année, les objets bouddhiques en bronze doré ont été à l’honneur. Ce phénomène n’est pas nouveau. En effet, le 7 octobre 2006 à Hongkong chez Sotheby’s, treize rares bronzes bouddhiques de l’époque Ming (1368-1644), portant des marques impériales et provenant de la collection Speelman, s’étaient arrachés à prix d’or. La pièce phare de la vente, une sculpture en bronze doré de la période Yongle (1403-1424) représentant le Bouddha Shakyamuni, a été emportée par un collectionneur chinois pour 116,6 millions de dollars hongkongais (11,8 millions d’euros). C’était à l’époque un record pour un objet d’art chinois vendu aux enchères. Aussitôt après, le marché des bronzes chinois est retombé. Le 11 juin 2008 à Paris chez Christie’s, une importante et rare sculpture sino-tibétaine Ming du XVe-XVIe siècle en bronze doré, figurant Angaja, a « seulement » été adjugée 720 500 euros. « Alors que le million d’euros était espéré », rapporte Philippe Delalande, en poste à l’époque chez Christie’s.
Des ventes aux résultats imprévisibles
Au printemps 2010, le marché des bronzes bouddhiques chinois a à nouveau décollé de façon imprévisible. Le 31 mai à Hongkong chez Christie’s, plusieurs pièces d’art bouddhique en bronze doré ont obtenu des prix forts. En tête, une représentation du Bouddha Amitayus portant la marque impériale Xuande (1426-1435) est partie à 70,1 millions de dollars hongkongais (7,2 millions d’euros). Le 9 juin à Paris chez Sotheby’s, une sculpture plus tardive d’Amitayus en bronze doré d’époque Kangxi (1662-1722) a dépassé le million d’euros. Elle était prudemment estimée 200 000 euros. Car un bronze d’Amitayus de la même série, dans un même état de conservation, estimé 400 000 livres sterling (460 000 euros), n’avait pas trouvé preneur le 11 mai à Londres chez Christie’s. Non plus qu’un autre exemplaire, estimé 6,5 millions de dollars hongkongais (625 000 euros), le 7 avril à Hongkong chez la maison de ventes chinoise Treasure Auction. Le 8 juin à Paris chez Christie’s, une statuette tibéto-chinoise de bodhisattva en bronze partiellement doré, portant la marque Qianlong (1736-1795), s’est envolée à 481 000 euros, contre une estimation de 15 000 euros. D’une vente à l’autre, il est difficile de tirer un enseignement des prix, encore moins de fixer une cote. Les experts en art d’Asie, qui ont du mal à suivre toutes les fluctuations du marché, estiment prudemment les objets, en se demandant combien de temps la flambée va durer. Et à quel autre secteur du marché de l’art chinois elle pourrait s’étendre.
Outre les représentations du Bouddha et de ses disciples, les objets rituels bouddhiques suivent cette année la tendance inflationniste. Une cloche rituelle impériale bianzhong en bronze doré d’époque Qianlong, datée de la treizième année du même règne (vers 1748) et estimée 60 000 euros, a été acquise par un marchand asiatique pour 744 750 euros, le 9 juin à Paris chez Sotheby’s. Dans la même vente figurait une seconde cloche rituelle bianzhong en bronze doré, d’époque Qianlong, ne possédant pas la marque impériale et comportant un petit accident. Elle a tout de même été vendue à un amateur chinois pour 720 750 euros, contre une estimation de 40 000 euros. Deux mois plus tôt à Hongkong, toujours chez Sotheby’s, une cloche rituelle impériale bianzong en bronze doré, d’époque Kangxi, datée de la 54e année (vers 1715), a été adjugée 11,8 millions de dollars hongkongais (1,1 million d’euros). La même cloche, estimée 10 millions de dollars hongkongais le 3 décembre 2008 chez Christie’s, ne s’était pas vendue.
Quels domaines de l’art chinois connaissent, à l’instar des objets rituels bouddhiques, une inflation fulgurante ?
Les prix pour les bronzes archaïques sont un peu montés cette année. Mais comme ce ne sont pas des objets impériaux, leur ascension reste raisonnablement progressive. En revanche, c’est la folie furieuse pour les cornes de rhinocéros et les jades, qui sont considérés comme des matières précieuses en Chine : on assiste à une flambée des prix, à la suite de l’arrivée de nouveaux acheteurs chinois. En mai 2008, lors de la dispersion de la collection Songzhutang de cornes de rhinocéros sculptées, à Hongkong chez Christie’s, on comptait peu d’amateurs. La moitié des 31 lots a trouvé preneur pour 43 millions de dollars hongkongais [3,5 millions d’euros]. Deux ans plus tard, les prix ont explosé pour la deuxième partie de cette collection, le 31 mai dernier à Hongkong chez Christie’s. Sur la base d’estimations similaires, 100 % des 30 lots sont partis à 236,9 millions de dollars hongkongais [24,7 millions d’euros]. Le 9 juin à Paris, nous avons vendu une coupe libatoire en corne de rhinocéros sculptée de la dynastie Qing, à décor rare de mante religieuse, pour 528 750 euros. Dans la même vente, une autre corne sculptée a été adjugée 156 750 euros, près de quatre fois son estimation, alors qu’en juin 2005, toujours à Paris, nous avions cédé une pièce similaire pour 48 750 euros seulement. Idem pour les jades. Le 11 juin 2009 à Paris, nous avons vendu un bol impérial en jade d’époque Qianlong pour 192 750 euros. Un an plus tard, un bol identique s’est envolé à 6 millions de dollars hongkongais [585 000 euros], le 8 avril 2010 à Hongkong.
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L’envolée spéculative de l’art chinois
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Abonnez-vous dès 1 €Paradoxalement, si la belle statuaire bouddhique en pierre, qui demeure plus rare que les objets impériaux tant prisés des collectionneurs chinois, est nettement plus abordable, c’est qu’elle intéresse uniquement les amateurs occidentaux. Du moins pour l’instant.
Sculptée dans une pierre granitique très difficile à travailler, cette imposante tête de Bouddha au nez aquilin et aux sensuelles lèvres charnues et ourlées est un superbe témoignage de la période Tang, considérée comme une phase d’épanouissement et d’apogée de la statuaire bouddhique chinoise. « Durant la période pré-Tang, la statuaire est frontale et stylisée. Sous les Tang, le corps sculpté reprend une certaine liberté de mouvement. Tout en gardant le côté idéalisé et spirituel, on assiste à une recherche de la beauté du corps. La sculpture gagne en harmonie, sans perdre en force », souligne l’antiquaire parisien Antoine Barrère. La tête du Bouddha est surmontée d’un ushnisha, coiffe rappelant la protubérance crânienne symbolique de la puissance spirituelle du Bouddha. Cette coiffe est ici très allongée. « Ce parti pris esthétique donne un sentiment d’élévation à un visage rond aux traits amples », note l’antiquaire. Le regard est intériorisé et les yeux sont mi-clos en signe d’introspection. Les lèvres ébauchent un léger sourire évoquant la compassion sereine du Bouddha et donnent une douceur au visage équilibré. Pour un prix sage : 450 000 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : L’envolée spéculative de l’art chinois