Chef de file de l’impressionnisme, Claude Monet ne voit pas son étoile ternir. En 2009, un regain de faveur s’est dessiné qui, depuis, ne cesse de se confirmer. Ses tableaux tardifs sont les plus prisés.
Monet est aimé des cambrioleurs. Une de ses toiles a figuré dans le lot dérobé en 2008 à la Fondation E. G. Bührle. Le chef de file de l’impressionnisme attire aussi les vandales. En 2007, un de ses tableaux fut endommagé au Musée d’Orsay. Monet rallie les foules, comme l’escompte la rétrospective organisée par le Musée d’Orsay du 22 septembre 2010 au 24 janvier 2011 au Grand Palais. Les tableaux du peintre de Giverny ont même servi en 2006 à étudier la composition du brouillard londonien ! Mais surtout, Monet séduit le marché. Certes, les impressionnistes ne sont plus aussi glamour qu’à l’époque où les acteurs Richard Burton et Elizabeth Taylor achetaient des Monet à tour de bras. En ce temps-là, l’armateur Aristote Onassis offrait à sa jeune épouse Jackie Kennedy Le Pont des arts de Renoir pour la somme alors coquette d’1,5 million de dollars.
Nous ne sommes plus non plus à l’ère où les Japonais s’en donnaient à cœur joie dans les ventes. P.-D. G. de Daishowa, une entreprise de papier, Ryoei Saito défraya la chronique en mai 1990 en emportant Le Moulin à la Galette de Renoir pour le record de 78 millions de dollars. De l’eau a depuis coulé sous les ponts. L’impressionnisme a subi de plein fouet la crise de 1990 et les changements de goût. Cette peinture qu’Odilon Redon considérait comme « bas de plafond » a alors eu plus les faveurs des couvercles de boîtes de chocolat que des manchettes des journaux. Pourtant, d’après Sam Valette, spécialiste de Sotheby’s, un regain de faveur s’est dessiné en 2009. « On a présenté dix tableaux impressionnistes de la collection Havemeyer, et les dix se sont vendus en doublant l’estimation basse, rappelle-t-il. Les acheteurs étaient aussi bien asiatiques, européens que sud-américains. » Vingt enchérisseurs s’étaient ainsi disputé le Bord de rivière de Monet, adjugé 3,49 millions de dollars à un Monégasque. La collection Durand-Ruel dispersée en novembre 2009 par Sotheby’s confirme la donne. Pour Philip Hook, spécialiste de Sotheby’s et auteur de The Ultimate Trophy : How The Impressionist Painting Conquered The World (1), les tableaux impressionnistes restent « des emblèmes durables de grande fortune ». À cela s’ajoutent d’autres motifs d’attraction : « la brillance des couleurs, la sérénité du sujet, l’allure de l’époque qu’ils documentent, la sécurité des attributions, la reconnaissance de leur style, et la romance qui les attachent aux précurseurs de l’art moderne ».
La vraie raison de l’engouement a été trouvée. L’habile travail de relecture historique présente désormais l’œuvre ultime de Monet comme fourrier de l’abstraction. Une exposition au Musée Marmottan, à Paris, réunit d’ailleurs jusqu’au 26 septembre à ses côtés Mark Rothko et Zao Wou-ki. Vassily Kandinsky avait pour sa part écrit : « Je vécus deux événements qui marquèrent ma vie entière de leur sceau et qui me bouleversèrent alors jusqu’au plus profond de moi-même. Ce furent l’exposition des impressionnistes à Moscou – en premier lieu la Meule de foin de Monet – et la sérialité. »
Dans le catalogue de l’exposition Monet au Grand Palais, l’historienne de l’art Laurence Madeline rappelle que l’artiste pop Roy Lichtenstein considérait Monet comme le père de la série. Ce ne fut pas un hasard s’il donna sa version des Cathédrales de Rouen. « C’est aussi la révélation par Lichtenstein d’un Monet non plus sensitif et superficiel – l’exacerbation de la superficialité de sa peinture la remet en cause –, non plus charnel et éventuellement panthéiste – le recours aux reproductions, le double aspect épidermique et sensuel des Cathédrales –, mais intellectuel, prêt à conquérir les âges modernes, le brouhaha des masses et les marées d’images », écrit l’historienne. Le marché ne s’y est pas trompé. « Monet a dépassé quarante-quatre fois la barre des dix millions de dollars. C’est le second à l’avoir fait après Picasso. Il bénéficie d’un marché international », constate Thomas Seydoux, spécialiste de Christie’s. Il n’est pas anodin que le galeriste new-yorkais Larry Gagosian ait orchestré une exposition de Monet en juin dernier [lire le JdA no 328, 25 juin 2010, p. 28]. « Monet peut être connecté à l’un de nos artistes, Cy Twombly, c’est logique dans notre programme », indique-t-on chez Gagosian. Néanmoins, tous les tableaux de Monet ne se valent pas. « Les meilleurs prix concernent les tableaux postérieurs à 1900, contrairement à voilà quinze ans, précise Thomas Seydoux. Ce qu’on apprécie chez lui, c’est l’absence de l’aspect rural qu’on peut trouver chez d’autres impressionnistes. » Les paysages industriels font davantage recette que les charmantes bucoliques.
Monet s’attelle vers 1904 à peindre le bassin de nénuphars de son jardin à Giverny (Eure). Entre 1914 et 1919, il produit une quarantaine de toiles représentant des « Nymphéas », série qu’il modifiera sans relâche jusqu’à sa mort. Huit panneaux de cet ensemble rejoindront le Musée de l’Orangerie à Paris. Son travail a déjà pris depuis dix ans un tour plus gestuel et expressif. L’artiste charge en matière, s’autorise des audaces chromatiques et change considérablement d’échelle. Une hardiesse qui ne fut pas du goût de tous. Voilà encore trente ans, le marchand Ernst Beyeler ne réussissait pas à vendre ses Nymphéas, un tableau devenu depuis l’un des piliers de sa fondation. En 1992, Ralph Friedman vend ses Nymphéas pour 12,1 millions de dollars (7,7 millions d’euros). Quinze ans plus tard, Sotheby’s assoit le record de 18,5 millions de livres sterling (22,6 millions d’euros) pour d’autres Nymphéas. En juin 2008 chez Christie’s, un Russe achète pour 40,9 millions de livres sterling (51,7 millions d’euros) ce Bassin aux Nymphéas de 1919. Ce tableau avait figuré dans la collection Norton Simon avant d’être racheté par Irwin et Xenia S. Miller. Si les Nymphéas commandent des prix importants, les acheteurs ne s’en laissent pas toujours conter. En juin dernier, une version un peu brumeuse est restée sur le carreau chez Christie’s à Londres. « Il n’y avait peut-être pas assez de bleu. Il n’était peut-être pas assez flashy, et semblait trop cher par rapport à l’effet produit, admet Thomas Seydoux. On a peut-être été trop gourmands. »
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Monet, coqueluche de la rentrée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : Monet, coqueluche de la rentrée