LONDRES / ROYAUME-UNI
Destiné aux palais, châteaux et somptueuses propriétés, le mobilier Louis XIV d’André Charles Boulle est l’apanage des grandes fortunes d’aujourd’hui.
Une prestigieuse commode d’époque Louis XIV (vers 1710-1720) en marqueterie Boulle, attribuée à B.V.R.B. Ier, a été adjugée 4 millions d’euros le 16 décembre 2008 à Paris chez Christie’s. Ce prix constitue un record pour une commode d’époque Louis XIV. Classée monument historique, celle-ci avait appartenu à Louis Charles de Machault, conseiller d’État. Dès qu’apparaît sur le marché un meuble en marqueterie Boulle d’époque Louis XIV, les enchères grimpent à plusieurs centaines de milliers d’euros, voire plus en fonction de la qualité, de l’attribution et de la provenance. Le 14 décembre 2005 à Londres chez Christie’s, lors de la dispersion du mobilier de la collection Wildenstein, ce ne sont pas moins de cinq meubles Boulle qui ont dépassé le million d’euros. La plus haute enchère de la vente, soit 2,9 millions de livres sterling (4,3 millions d’euros), a récompensé un bureau plat (vers 1710) attribué à André Charles Boulle, pièce comparable à plusieurs modèles conservés à Versailles ou dans la Wallace Collection à Londres.
Pour un château
À partir des années 1675-1680, André Charles Boulle (1642-1732), premier ébéniste du roi, porte à son apogée la technique qui porte son nom (bien qu’il ne l’ait pas inventée) : une marqueterie de cuivre et d’écaille de tortue rouge ou brune, matières auxquelles s’ajoutent parfois l’étain, l’ivoire, la corne teintée ou la nacre. Boulle associe deux types de composition : la marqueterie dite « en première partie » avec son décor de cuivre sur fond d’écaille, et la marqueterie dite « en contrepartie », en écaille sur fond de cuivre. Il est aussi le premier à adapter des garnitures de bronzes ciselés et dorés au mobilier. Ses créations représentent ce qu’il y a de plus prestigieux, car elles sont associées au pouvoir royal de Louis XIV. Outre les institutions, les fastueux meubles Boulle séduisent aujourd’hui de grands amateurs fortunés. Un bureau plat par André Charles Boulle issu de la collection Hubert de Givenchy, laquelle était dispersée chez Christie’s à Monaco le 4 décembre 1993, est monté jusqu’à 18,8 millions de francs (2,8 millions d’euros), un record à l’époque pour une pièce de l’ébéniste. « Les meubles de Boulle sont destinés à habiller des châteaux, des palais et de somptueuses propriétés », indique Jean Lupu, antiquaire parisien spécialiste en mobilier Boulle tout comme son confrère Jean Gismondi. Parmi les œuvres de Boulle qu’il expose en galerie, à deux pas du palais de l’Élysée, figurent deux pendules, un cartonnier, un grand bureau et une paire de médailliers du même modèle que ceux qui ornent le bureau du président Sarkozy…
Oiseau et papillons
Plus rares sont les meubles en marqueterie d’essences de bois réalisés par Boulle (au début de sa carrière), à l’instar d’une armoire conservée au Musée du Louvre, mêlant marqueterie de bois polychrome d’un grand raffinement et marqueterie Boulle. Le record actuel pour un meuble de Boulle revient ainsi à une table de milieu de la collection Riahi, fabriquée par Boulle vers 1680, associant les deux types de marqueterie, envolée à 5,7 millions de dollars (6,6 millions d’euros) le 2 novembre 2000 à New York chez Christie’s. Un superbe plateau en bois marqueté d’un oiseau et de papillons voletant autour d’un bouquet décorait ce modèle en marqueterie d’ébène, d’écaille de tortue, de corne teintée de bleu, de laiton et d’étain, orné de bronzes ciselés et dorés. De plus, on pouvait suivre la trace de ce meuble depuis le XVIIIe siècle. Une table-console de Boulle (vers 1675-1680), sans provenance significative, qui présentait un plateau en marqueterie de bois à décor floral en bordure et en marqueterie Boulle en son centre, s’est vendue 657 000 dollars le 9 novembre 2007 chez Sotheby’s à New York. Ce prix aurait pu être supérieur si le piétement n’avait subi quelques modifications tardives.
Les meubles marquetés Boulle furent fabriqués entre la seconde moitié du XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle par Boulle, ses fils ou ses élèves, puis plus tard par des suiveurs tels René Dubois, Philippe Claude Montigny et Étienne Levasseur, lesquels réparaient et copiaient des meubles de Boulle. Celui-ci n’ayant jamais estampillé ses meubles, l’identification de ses œuvres repose sur des attributions mentionnées seulement à partir d’archives et par comparaison avec d’autres modèles référencés du même auteur. D’où l’envolée des prix lorsqu’on peut retracer l’historique d’une pièce.
Inédite sur le marché et jamais publiée, une paire de coffres en tombeau sur pied par André Charles Boulle (ill. ci-dessus), marquetée de cuivre, d’étain et d’écaille de tortue « en première partie » et « en contrepartie », enrichie de somptueux bronzes ciselés et dorés, était la vedette de la vente de mobilier du 9 juillet à Londres chez Christie’s. L’attribution à l’ébéniste reposait à la fois sur des analogies stylistiques avec l’œuvre documenté de Boulle et sur la comparaison avec trois autres coffres en tombeau de taille identique dont la paternité à Boulle est historiquement assurée. Ces coffres ont été achetés chez un antiquaire parisien en 1816-1817 par le collectionneur anglais George Byng pour son domaine de Wrotham Park, et conservés par ses descendants depuis. D’après les recherches effectuées par la maison de ventes dans les registres des Comptes de la Maison de Condé, il s’agirait des coffres livrés en 1688 par Boulle au prince de Condé, à l’occasion du mariage de sa fille Marie-Thérèse avec le prince de Conti. Pour soutenir la thèse de la provenance royale, Christie’s s’appuie sur la présence de bandes de fleurs de lys sur les coffres. Estimée 2,5 millions de livres, cette paire a été acquise par le Rijksmuseum d’Amsterdam pour 2,6 millions de livres sterling (3 millions d’euros). Dans la même vente, Christie’s présentait un cabinet sur pied en marqueterie de cuivre, d’étain et d’écaille, également attribué à Boulle, acquis par Byng en 1828 et estimé 700 000 livres. Mais, cumulant une absence de pedigree et des transformations dans sa partie inférieure, le meuble n’a pas trouvé preneur.
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Le goût du roi
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Abonnez-vous dès 1 €Marc Perpitch, antiquaire et expert en meubles et objets d’art des XVIe et XVIIe siècles, Paris
À côté du fastueux mobilier Boulle, qu’en est-il du marché des meubles Louis XIV ?
Le mobilier d’époque Louis XIV en bois sculpté naturel, doré ou peint, a été à la mode dans les années 1980. Aujourd’hui ce marché est moins développé qu’il ne l’était encore dans la décennie 1990. Mais il s’est mieux maintenu que le mobilier classique XVIIIe, qui est tombé de plus haut. Ma clientèle composée d’amateurs européens, en particulier français, italiens et espagnols, se montre cultivée. Elle apprécie les meubles en bois naturel, qui inspirent confiance – car on voit le bois –, et n’aime pas la marqueterie et le bois plaqué vernis, trop ostentatoires à son goût. Les meubles en bois naturel ont l’énorme avantage de se mélanger à n’importe quel décor prônant l’éclectisme, et se conjuguent aussi bien avec l’art ancien qu’avec l’art moderne. Le mobilier Louis XIV a certes subi une baisse générale de sa cote en vingt ans. Mais cette dépréciation vise surtout certains éléments qui ne sont plus commerciaux. Par exemple, les meubles à deux corps sont devenus désuets, sauf s’il s’agit de pièces exceptionnelles ou de petits meubles précieux. Le coffre n’est également plus un meuble « tendance ». Si les sièges font encore recette, les tapisseries d’époque qui les garnissent ne sont plus au goût du jour. Les nouveaux acheteurs veulent les faire recouvrir d’un tissu mo-derne. Qu’elles soient grandes ou petites, les tables restent en revanche indémodables. Enfin, comme dans tous les domaines artistiques, les œuvres du XVIIe exceptionnelles ou rares bénéficient d’une plus-value.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Le goût du roi