Les pays d’Amérique latine essayent d’empêcher les ventes publiques d’objets issus leurs territoires, mais les professionnels résistent.
Depuis cinq ans, les ventes aux enchères françaises d’objets archéologiques sont la cible de pays d’Amérique latine qui revendiquent la propriété de ces pièces au nom de la protection de leur patrimoine. Au premier rang de ces États plaignants figurent le Mexique, la Colombie et le Pérou, suivis de l’Équateur, l’Argentine et le Costa Rica. Leurs interventions systématiques n’ont d’autre but que de compromettre la tenue de ventes publiques internationales dans cette spécialité, au risque de créer un marché noir sans garantie des origines et provenances des pièces. Ces mêmes États n’ont pas non plus manqué de perturber des vacations new-yorkaises. Arguant d’ anciennes lois nationales portant sur l’interdiction de sortie de biens archéologiques de leur territoire, les pays sources n’ont pourtant d’autre choix que de se confronter devant les tribunaux à la législation internationale en vigueur. Légalement, pour les objets se trouvant sur le territoire français, la référence est la convention de l’Unesco portant sur la protection du patrimoine mondial (1970) que la France a ratifiée en 1997. Non rétroactif, ce texte stipule que tout objet sorti illégalement de son pays d’origine après 1997 doit lui être restitué. Pour leur part, les États-Unis s’appliquent à ne pas mettre sur le marché des objets sortis après 1972, année d’un accord passé avec le Mexique.
Malgré cela, les pays sources n’hésitent pas à multiplier les procédures devant la justice, bloquant les objets revendiqués. Ces manœuvres dilatoires paralysent le marché au détriment des collectionneurs. « Le marché de l’art précolombien est en veilleuse, se plaint l’expert Jacques Blazy. Je n’ai pas fait de vente à Paris depuis le 19 décembre 2008, date de la dernière saisie de trente pièces archéologiques mexicaines par les policiers de l’OCBC [Office central de lutte contre le trafic des biens culturels], à la demande des autorités mexicaines via une commission rogatoire internationale d’entraide entre États. » Le 12 septembre 2008 à Drouot-Montaigne, à Paris, près de quatre-vingts objets mexicains ont été saisis le matin de leur vente dans les mêmes conditions, faisant passer les propriétaires des objets pour des voleurs ou des receleurs, et assimilant les organisateurs de ventes (les SVV Binoche-Renaud-Giquello et Pierre Bergé & associés, non poursuivies en justice) à des trafiquants d’antiquités. Alors que, deux mois plus tard, on procédait à l’arrestation du chef du bureau central national Interpol du Mexique, Ricardo Gutiérrez Vargas, soupçonné de liens avec les cartels de la drogue…
Le 27 mai 2008, la SVV Gaïa (Bagnolet, Seine-Saint-Denis) avait quant à elle fait les frais de l’intervention acharnée de l’État argentin sur le lot phare de sa vacation parisienne, un rare masque Tafi. L’objet avait été collecté vers 1940 par un professeur de paléontologie de l’université de la Plata (Argentine), puis rapporté en Europe en 1950 par un diplomate français qui en avait fait l’acquisition. La République d’Argentine intente alors une action, mais se trouve déboutée de sa demande de restitution de l’objet par une ordonnance de référé du 26 mai 2008, la provenance de ce masque se révélant régulière au regard des lois et conventions internationales. Elle fait ensuite jouer la carte de la commission rogatoire internationale, qui conduit à la saisie du masque. Nathalie Mangeot, commissaire-priseur de la SVV Gaïa, décide néanmoins de vendre l’objet sur désignation. Elle explique la situation aux enchérisseurs. Le masque, adjugé 150 000 euros le 26 mai 2008, a finalement été rendu à son propriétaire début juillet.
Du côté des antiquaires, la Galerie Mermoz partage depuis avril 2008 la spécialité à Paris avec la Galerie 1492. Aux États-Unis, David Bernstein (New York) et Huber Primitive Art (Chicago) continuent de dynamiser ce marché.
Dans le domaine de la céramique, les artistes de la côte du golfe du Mexique ont produit un grand nombre de figurines et de masques d’une qualité peu commune. L’inspiration est toujours religieuse : prêtres, danseurs, acteurs de rites divers, divinités. Le style est réaliste. Issu de la région de Veracruz, ce rare masque mexicain au triple visage, de l’époque classique (700-1200), est un objet très désirable pour un collectionneur d’art précolombien. Dans un état quasi parfait, avec sa polychromie d’origine, cette œuvre était conservée depuis plus de trente ans dans la collection américaine Jay C. Leff. Présentée chez Sotheby’s à New York le 15 mai 2009, elle a fait l’objet d’une belle bataille d’enchères jusqu’à son adjudication de 134 500 dollars (100 000 euros), en faveur d’un collectionneur privé européen. Ce portrait est lié aux thèmes de la dualité et de la renaissance, très répandus en Mésoamérique. Le visage du milieu incarne la jeunesse ; celui du centre, ridé, symbolise la vieillesse. Le visage extérieur, avec ses yeux clos, évoque la mort.
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Un marché précolombien traumatisé
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Abonnez-vous dès 1 €On parle souvent du pillage, mais qu’en est-il des faux ?
C’est un important problème dans l’art précolombien. Il faut se faire bien conseiller et acheter dans les bons endroits pour ne pas se laisser abuser. Le pedigree d’un objet, c’est-à-dire sa provenance garantissant une traçabilité de longue date sans faille, est une indication rassurante. Les analyses scientifiques apportent des réponses. Ainsi, le test de thermoluminescence précise la date de la dernière cuisson des terres cuites. Pour les objets en or, souvent contrefaits, il faut se référer à l’avis de Robert Sonin à New York ou de Warwick Bray à Londres. Ces deux sommités mondiales spécialistes de l’identification de la métallurgie précolombienne sont les seules dont l’expertise en la matière est reconnue internationalement. Reste une énorme difficulté concernant la sculpture en pierre, en particulier la statuaire mexicaine des cultures olmèque, Guerrero et Teotihuacán, qui demeure la plus recherchée et donc la plus copiée. Il existe aujourd’hui des tests de microanalyse de surface qui fournissent certaines indications, mais malheureusement leur interprétation varie souvent d’un laboratoire à l’autre. Il faut dans ce cas recueillir un maximum d’informations sur l’objet, savoir lire entre les lignes et se poser les bonnes questions. On doit se méfier des œuvres en pierre surdimensionnées, réalisées dans des matériaux magnifiques et qui seraient trop parfaitement sculptées. Il faut aussi vérifier que le prix demandé (ou l’estimation proposée) pour l’objet n’est pas trop inférieur à la valeur réelle d’une pièce comparable, ce qu’on appelle un faux prix.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Un marché précolombien traumatisé