Les collectionneurs sont attachés à la qualité des décors et à la rareté des modèles, qu’ils soient à figures noires ou rouges
Début juillet, à Paris, le département des Antiquités grecques du Musée du Louvre était fier d’arborer au sein de deux vitrines ses dernières acquisitions : des antiques de la collection Louis Gabriel Bellon (1819-1899). L’institution a notamment préempté sept vases grecs de cette collection qui a été dispersée le 4 avril 2009 à Vannes (Morbihan) chez le commissaire-priseur Jack-Philippe Ruellan. Ces vases sont présentés comme des raretés dans leur genre. Ils ont été ardemment disputés aux enchères par des collectionneurs et professionnels, avant d’être emportés par le Louvre. Notons un rarissime guttus de type théière, préempté pour 79 200 euros. Cette pièce très bien conservée présente un décor à figures rouges attribué au « Peintre de Palerme », grand artiste lucanien du Ve siècle avant J.-C. À ses côtés sont aujourd’hui exposés un rarissime mug à fond blanc décoré par le « Peintre de Berlin 2268 » et acquis pour 110 400 euros, ainsi qu’un exceptionnel canthare à figures noires, orné d’une frise continue sur fond blanc à scène de comastes (satyres buveurs). Pour cette pièce considérée comme quasi unique, le Louvre a dû débourser 166 800 euros. Deux lécythes à fond blanc, un lécythe à figures rouges et un plat apulien, tous issus de la même vente, complètent la vitrine de présentation des vases « Bellon ». Sans doute iront-ils rejoindre ensuite les collections de céramiques grecques du musée, présentées dans la galerie Campana.
Les vases grecs ont la cote, dès lors qu’ils sont de grande qualité. Un beau vase grec se négocie à partir de 10 000 euros. Pour 100 000 euros, le collectionneur peut s’offrir un chef-d’œuvre. C’est la qualité du dessin, qu’il s’agisse des pièces à figures noires ou rouges, qui retient particulièrement l’attention des amateurs. Les formes rares de vases sont également recherchées. Mais une scène ou un motif rare sur un vase de forme courante fait aussi grimper les prix. Et, lorsqu’elles sont très décoratives, les pièces de qualité moyenne peuvent attirer l’attention. Le 21 juin 2009, à Saint-Paul-lès-Dax (Landes), la SVV Cuvreau présentait ainsi une grande amphore à figures noires attribuée au « Groupe de Léagros » (vers 500 avant J.-C.), et estimée au maximum 10 000 euros. Parce qu’elle était décorée d’une scène très plaisante de chevaux et de chars, cette amphore s’est envolée à 47 900 euros.
Des vases « bilingues »
« Certains hypercollectionneurs cherchent un atelier particulier. Les meilleurs ateliers sont attiques, puis corinthiens », observe Daniel Lebeurrier, de la galerie parisienne Gilgamesh. Les vases grecs sont rarement signés, mais leur décor peut être attribué à la suite d’une recherche parmi plus de 5 000 noms de peintres ou groupes d’artistes répertoriés par l’archéologue britannique John Beazley dans un ouvrage de référence. « Il y a autant de collectionneurs qu’il y a de vases. C’est avant tout une question de goût », constate l’expert Christophe Kunicki. Les vases à figures noires, qui sont aussi les plus anciens, sont appréciés pour leurs décors simplifiés. Apparue au VIe siècle av. J.-C., la technique de la figure rouge, qui gagne en raffinement en laissant apparaître de nombreux détails (muscles, draperies, chevelures, expressions des visages…), séduit un grand nombre de collectionneurs. Certains peintres talentueux sont particulièrement prisés, à l’instar d’Euphronios, Epictétos, Macron, Onésimos ou de ceux dits « de Cléophradès », « de Berlin » ou « de Brygos ».
Autres raretés recherchées par certains amateurs éclairés comme par les institutions, les vases « bilingues » offrent la particularité d’avoir une décoration à figures noires d’un côté et à figures rouges de l’autre, exécutées par le même artiste ou deux artistes différents. Parce qu’elles ont été réalisées durant une courte période de transition correspondant à la première génération de vases à figures rouges, les pièces « bilingues » sont rares et coûteuses. Un grand kylix « bilingue » de 42 cm de large, vers 510 av. J.-C., attribué au « Groupe des coupes bilingues à yeux », a été préempté 30 700 euros par le musée parisien du Petit Palais lors d’une vente à Drouot, le 1er décembre 2007 chez Pierre Bergé et associés.
Enfin, la céramique de Grande Grèce, produite au IVe siècle avant J.-C., principalement en Apulie (Italie du Sud), séduit le marché des amateurs de cratères et d’amphores de taille spectaculaire, au décor très chargé et souvent répétitif. Bien que de qualité inférieure, ces pièces imposantes sont très prisées dans le domaine de la décoration. Pour 20 000 à 30 000 euros, on peut s’offrir un beau cratère de cette période.
Ce péliké (ill. ci-dessus), vase à eau ou à vin, peint par un très bon peintre, se présente dans un état parfait, sans éclat ni fêle. Son décor finement exécuté dépeint une rare scène figurant un satyre assis tenant un phallus dans sa main. Ce dernier dialogue avec une femme coiffée d’un sakkos (bonnet des initiées) qui lui montre un kalathos (panier). Le revers du péliké présente une jeune femme qui s’en va, sans doute après avoir été initiée par le satyre peint sur la face avant. Ce vase est à mettre en rapport avec deux autres péliké de mêmes dimensions et de couleurs identiques, comportant le même décor de palmettes sous les anses, conservés pour l’un au Badisches Landes Museum à Karlsruhe en Allemagne, pour l’autre au Metropolitan Museum of Art à New York. Seules les compositions mettant en scène les mêmes personnages varient, ceci dans un but narratif. L’histoire commence avec le péliké de Karlsruhe, lequel a donné son nom au peintre du vase : la femme coiffée du sakkos s’entretient avec une jeune femme tenant un kalathos. Ce kalathos sera remis au satyre en échange de l’initiation de la jeune femme, comme le relate la scène de ce péliké-ci. Enfin, sur le vase du Metropolitan Museum, la femme au sakkos frappe le satyre avec des torches allumées après qu’il a tenté de la violer, tandis que, sur le revers du péliké, la jeune femme précédemment initiée se promène. On peut penser que ces trois vases, dont le décor peint constitue une exceptionnelle suite, proviennent d’un même service et certainement de la même tombe. Une sorte de bande dessinée réservée aux initiés !
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Les vases grecs font bonne figure
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Abonnez-vous dès 1 €Antoine Tarantino, antiquaire et expert en archéologie gréco-romaine
Quelle est l’incidence de l’état de conservation d’un vase sur sa valeur ?
Elle est beaucoup moins importante qu’on peut le penser. Un vase brisé qui a été recollé ne perd pratiquement pas de valeur, dans la mesure cependant où il garde sa forme archéologique sans présenter de manque important dans les parties principales. Un vase rare lacunaire d’un grand artiste vaudra toujours plus qu’un vase ordinaire intact. Il faut aussi bannir les vases excessivement repeints. La tendance aujourd’hui est de dérestaurer les décors complétés, voire réinventés, au cours du XIXe siècle.
Que pouvez-vous dire des faux ?
Il en existe depuis au moins le XVIIIe siècle. Les vases grecs étaient déjà très à la mode à cette époque. Ces contrefaçons sont repérables car la technique de fabrication n’était alors pas maîtrisée. Les faux les plus redoutables sont ceux qui sont faits depuis la fin des années 1960 en Italie. Mais si les faussaires parviennent techniquement à créer des modèles crédibles de vases antiques, ils commettent des erreurs qui les trahissent, notamment dans la forme du vase (mal équilibrée ou inventée). Ils réalisent souvent des décors improbables ou anachroniques, en mélangeant les styles de différents peintres qui n’ont pas produit à la même période. Parfois ils reproduisent des personnages existant dans le répertoire d’un peintre, sur une forme de vase apparue plus tard en Grèce. Et même s’ils échappent à tous ces pièges, ils peuvent définitivement être démasqués par un test de thermoluminescence qui établit la date de la dernière cuisson.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Les vases grecs font bonne figure