Année diplomatique oblige, nul ne tient à commenter l’activisme croissant des autorités mexicaines - Celles-ci revendiquent la propriété de nombreuses pièces archéologiques issues de leur territoire national.
C’est une vente événement. Le 21 mars à Drouot, à Paris, la société de ventes volontaires Binoche et Giquello dispersera la collection de H. Law, un industriel genevois, soit près de deux cents objets d’art précolombien. Cet ensemble comprend un grand nombre de lots mexicains, dont des figures en pierre de l’État du Guerrero, un masque Teotihuacán en serpentine verte, un vase-codex maya et une Vénus Chupicuaro. De cette dernière pièce, le conserve un exemplaire similaire, présenté parmi les chefs-d’œuvre de la collection au Pavillon des Sessions du Louvre. Cette dispersion intervient dans un marché de l’art préhispanique extrêmement perturbé. Depuis quelques années, plusieurs pays d’Amérique latine, parmi lesquels le Mexique – 80 % des objets préhispaniques présents sur le marché proviennent de ce pays –, revendiquent, au nom de la protection de leur patrimoine, la propriété de nombreuses pièces d’archéologie issues de leur territoire national, qu’il s’agisse de chef-d’œuvre ou d’objets plus ordinaires. En 2008, des dizaines le lots mexicains ont ainsi fait l’objet d’une saisie spectaculaire à l’hôtel Drouot. Toutefois, après deux années de procédure, les propriétaires des objets ont été blanchis de tout délit de vol et de recel. Car juridiquement, la seule référence en vigueur, en France, est une convention de l’Unesco portant sur la protection du patrimoine mondial (1970), ratifiée en 1997 par les deux États parties. Ce texte stipule que tout objet sorti illégalement de son pays d’origine après 1997 doit lui être restitué.
Décourager les acquéreurs
Dans les faits, les tribunaux français ne donnent pas nécessairement raison aux revendications des États. Une affaire, lancée par le gouvernement de l’Équateur en 2003, fait en effet jurisprudence. Après s’être opposé à une vente, l’Équateur a été débouté de ses revendications par le tribunal de grande instance de Paris. Le jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel du 28 mai 2010. Le texte définit clairement les règles du jeu du marché : c’est à l’État demandeur de démontrer l’irrégularité des conditions de sortie des biens du territoire national. « Cet arrêt protège désormais les collectionneurs de toute action abusive, en précisant le champ d’action des pays qui se sentent pillés », soulignent Mes Florencia Mariscal et Almudena Irizar, avocats des détenteurs des objets équatoriens saisis. Par ailleurs et toujours selon la cour, « il n’est pas […] établi que ces objets revêtent une importance exceptionnelle » pour le pays demandeur. L’arrêt mentionne enfin « l’existence de la liste des biens culturels latino-américains en péril, dite « Liste rouge », datant de 2003, divulguée par l’Unesco mais dépourvue de toute valeur juridique, dont il n’est pas certain qu’elle fut connue des vendeurs qui ne sont que des particuliers ». Mais les États d’Amérique du sud, qui s’attachent depuis plusieurs années à moderniser leur système de protection du patrimoine, ne désarment pas. En mai 2010, une nouvelle « Liste rouge des biens culturels en péril d’Amérique centrale et du Mexique », rédigée par une équipe d’experts internationaux à l’initiative de l’ICOM (Conseil international des musées), a été publiée afin d’être plus largement diffusée aux professionnels. Elle établit une typologie d’objets susceptibles d’avoir été exportés de manière illégale. L’objectif est clair : plutôt que de tracer des objets précis, il s’agit avant tout de décourager les acquéreurs potentiels. Dans ce contexte délétère, les marchands tentent de soutenir leur marché en s’efforçant de présenter des garanties. L’expert parisien Jacques Blazy affirme s’entourer de toutes les précautions : « Non seulement j’applique la convention de l’Unesco à la lettre, en vérifiant que tous mes clients sont bien possesseurs de bonne foi d’objets présents sur le marché français avant 1997, mais je suis encore plus précautionneux en m’assurant que ces objets ont été mis en circulation avant 1973, année de l’accord bilatéral passé entre les États-Unis et le Mexique. Il ne me viendrait par exemple jamais à l’esprit de vendre des masques mosaïques mayas en pierre verte provenant du site de Calakmul (dans l’État du Campeche), qui a fait l’objet d’importantes fouilles entre 1982 et 1994. Enfin, j’exclus également tout élément d’architecture (stèles, panneaux…). » Cette dernière mention n’est pas faite au hasard. En 2006, une polémique avait éclaté autour de la prestigieuse collection belge de Dora Janssen, proposée en dation au gouvernement flamand. Trois pièces avaient fait l’objet d’une demande de restitution du Mexique, parmi lesquelles une monumentale stèle maya. Sans risque toutefois puisque la Belgique est l’un des rares pays à ne pas avoir ratifié la Convention de 1970…
Collection irréprochable
D’après les experts, la collection Law ne contiendrait que des pièces irréprochables, dont la traçabilité serait établie, l’ensemble ayant déjà fait l’objet de plusieurs publications. « M. Law était membre du comité d’organisation de l’exposition « Mexique terre des dieux » organisée par le Musée Rath, à Genève, en 1998. Cette exposition était accompagnée d’un important catalogue où une quarantaine de sculptures majeures de sa collection était présentée », rappelle Jacques Blazy. Dans son avant-propos, Rafael Tovar, alors président du Conseil national pour la culture et les arts du Mexique, écrivait alors : « Cette exposition concrétise un vaste effort de recherche et de diffusion, fruit de la collaboration entre de nombreux musées, collectionneurs et institutions, tant suisses qu’européens. Cet effort contribue à développer l’intérêt qu’exerce depuis des siècles, la richesse des cultures méso-américaines, léguée par le Mexique à l’humanité. » Douze ans plus tard, quelle attitude les autorités mexicaines adopteront-elles avant la vente ? Sollicités par nos soins, les services diplomatiques n’ont pas souhaité s’exprimer sur un sujet qui fâche, surtout en cette année placée sous le signe de l’entente culturelle [« Année du Mexique en France »]. « C’est une question épineuse dans la mesure où elle est essentiellement politique, estime pour sa part Claude Baudez, directeur de recherche honoraire au Centre national de la recherche scientifique. Le Mexique détient encore 95 % de son patrimoine. Seuls 5 % ont été dispersés dans le monde et c’est très bien comme cela. Les objets doivent circuler. S’il faut évidemment mettre fin aux pillages, exiger systématiquement des restitutions est ridicule. C’est le fruit d’un nationalisme d’arrière-garde ». Il n’empêche. En avril 2010, le Mexique a bel et bien pris part au grand raout organisé au Caire par Zahi Hawass, chef du Conseil suprême des antiquités égyptiennes et ardent militant des restitutions. L’objet de la rencontre était d’établir une liste d’œuvres conservées dans les institutions publiques internationales et à restituer en priorité à leurs pays d’origine. Le protocole d’accord, annoncé début janvier, entre le Musée ethnographique de Vienne, en Autriche, et les autorités mexicaines relativement au penacho [« couronne »] de Moctezuma n’est pas sans lien avec cette action, même si les discussions ont été engagées dès 2006. « C’est un précédent qui risque d’être souvent invoqué », déplore Claude Baudez.
« Codex Borbonicus »
Les institutions publiques françaises pourraient-elles être concernées par des demandes similaires ? « Pas dans l’immédiat », estime Marie-France Fauvet-Berthelot, ancienne responsable des collections américaines du à Paris. « Le Mexique est engagé dans une autre démarche qui consiste plutôt à faire stopper les acquisitions sur le marché de l’art. Le pays considère comme étant insupportable de voir circuler des pièces sorties de manière illégale. Car des lois d’interdiction existent au Mexique depuis le XIXe siècle. » Toutefois, certaines pièces insignes sont aujourd’hui conservées dans l’Hexagone, dont le célèbre Codex Borbonicus, détenu depuis 1823 par l’Assemblée nationale. La Bibliothèque nationale de France (BNF) détient elle aussi un ensemble important de manuscrits. L’un d’entre eux, un codex aztèque vendu en 1841 au savant Aubin, a été l’objet d’une retentissante affaire. En juin 1982, il était volé par un étudiant mexicain, officiellement par patriotisme. Or c’est en réalité parce qu’il n’avait pas pu écouler le document sur le marché que le malfaiteur avait trouvé cet argument, avant de remettre le codex à l’Institut d’anthropologie et d’histoire de Mexico. Il n’a, depuis, jamais été restitué à la France et dort dans un coffre-fort au Mexique, où il fait officiellement l’objet d’un prêt de longue durée. Mais, d’après les spécialistes, « il ne sera jamais restitué ». En France, le vol avait été suivi de mesures de rétorsion avec, notamment, une interdiction d’accès à la salle de lecture de la BNF pour tous les ressortissants mexicains. Aucune exposition temporaire sur le Mexique n’avait été organisée avant « Teotihuacán », proposée par le Musée du quai Branly… en 2009. Officiellement, les institutions françaises affirment entretenir d’excellentes relations avec le Mexique. Pourtant, rares sont celles qui continuent à acheter sur le marché. « Plusieurs occasions se sont présentées pour acquérir pour une bouchée de pain des pièces à caractère purement scientifique, et présentes en France depuis très longtemps, relate Claude Baudez. Mais les institutions sont paralysées et préfèrent ne pas se fâcher pour pouvoir continuer à organiser des expositions. C’est un problème qui échappe à la science, or le pillage et les demandes de restitution sont deux choses bien distinctes. »
Nationalisme
Au Mexique, si ce courant « revendicationiste » séduit l’opinion publique, il ne fait pas nécessairement l’unanimité. Dans les colonnes d’ le principal quotidien mexicain, l’éditorialiste Diego Petersen Farah écrivait ainsi le 22 janvier : « La bataille pour le penacho de Moctezuma est l’un de ces grands mythes sur lesquels a été construite notre histoire. L’idée que cet objet qui est exposé à Vienne est la couronne du dernier roi aztèque, et qu’avant tout elle nous appartient, est plus l’invention du nationalisme, et a été répandue, comme d’autres mythes, par le président Luis Echeverría, qui a lancé en 1974 la bataille pour le rapatriement de cet objet symbolique. » Et de conclure : « Quand il s’agit d’être les victimes et de faire du scandale, nous sommes parfaits ! »
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Année du Mexique : le poison des restitutions
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Abonnez-vous dès 1 €Lézard à queue bifide, État du Guerrero, Mexique, période préclassique, 300 à 100 avant J.-C., serpentine mouchetée, 57 cm ; estimation 300 000-400 000 euros, vente de la Collection Law, le 21 mars à Drouot, SVV Binoche et Giquello, Paris. Cette pièce a été exposée au Brooklyn Museum, à New York, en 1966. © SVV Binoche- Giquello.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Année du Mexique : le poison des restitutions