Au gré d’une meilleure diffusion des artistes et d’une professionnalisation accrue des structures, l’art contemporain mexicain s’est imposé au monde.
En guère plus d’une décennie, le Mexique, traditionnellement réputé pour son patrimoine archéologique et ses muralistes révolutionnaires, a vu l’émergence d’une scène contemporaine vigoureuse dont l’audience est devenue internationale. Nombre d’artistes sont désormais représentés par des enseignes de renom : Damián Ortega est chez Gladstone Gallery (New York, Bruxelles) ; Francis Alÿs et le collectif Tercerunquinto chez Peter Kilchmann (Zurich) ; Mario García Torres chez White Cube (Londres) et Jan Mot (Bruxelles) ; Gabriel Kuri chez Franco Noero (Turin), Esther Schipper (Berlin) et Sadie Coles HQ (Londres) ; Stefan Brüggemann chez Yvon Lambert (Paris, New York) ; Pablo Vargas Lugo à la Galleria Maze (Turin)… Les exemples sont légion. L’histoire artistique du pays apparaît pourtant paradoxale, qui, tout à la célébration sans fin de ses héros de la première moitié du XXe siècle – Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros, José Clemente Orozco, Rufino Tamayo… – semble avoir négligé de s’intéresser à ses années 1960-1970, avant de rebondir aujourd’hui. Entre les deux fut entretenu un vide béant face au dynamisme novateur du mouvement « concreto-neoconcreto » brésilien (Lygia Clark, Lygia Pape, Hélio Oiticica…). Des figures libres et plus que dignes d’intérêt pourtant, qui auraient pu être exportées, n’ont que peu franchi les frontières, à l’instar de Gunther Gerzo ou Manuel Felguérez, largement méconnus en Europe et sur lesquels il serait de bon ton de se pencher un jour.
Stratégies d’infiltration
La vivacité et le succès de la création actuelle relèvent pour une large part d’une conjonction entre le terrain et une densification progressive des équipements culturels, pour la plupart d’entre eux privés ; une conjonction qui a composé un terreau d’une fertile complexité. Le terrain, c’est bien entendu le pays lui-même, qu’André Breton, non sans raison, voyait comme la patrie du surréalisme. C’est que « la culture populaire qui fleurit dans les rues de Mexico », pour reprendre les termes de Rubén Gallo dans l’introduction de son anthologie consacrée à la capitale (1), génère son lot de surprises, d’accidents, d’incongruïtés, d’anormal… qui ont fait le miel des artistes s’emparant de leur quotidien le plus immédiat et de ses dérèglements. Le tout, allié à un goût inné pour les créations symboliques et une forme singulière d’expressionnisme narratif, a accompagné la mise au point de stratégies d’infiltration et de contournement du réel. Celles-ci tendent cependant aujourd’hui chez certains petits nouveaux, un peu moins malins que leurs aînés, à virer au poncif tant la recette est désormais cuite et recuite ! Le terrain, c’est également la violence dérivée du narcotrafic qui ne manque évidemment pas d’inspirer certains artistes, tels Teresa Margolles et Pedro Reyes, ou encore le jeune Edgardo Aragón, auteur d’une vidéo troublante où des enfants rejouent l’exécution d’un membre de leur famille (Mozalbetes, 2008). Au-delà de Mexico, d’autres villes ont également développé un beau dynamisme. Guadalajara notamment, où vivent des artistes désormais bien visibles tels Jorge Mendéz Blake et Gonzalo Lebrija, qui n’ont pas eu besoin de s’installer dans la capitale pour se faire un nom. Une scène plus jeune encore semble émerger à Oaxaca, avec une génération d’étudiants marquée par les violentes émeutes de 2006, en rébellion face à l’incurie du gouvernement local. En résultent des travaux animés par une forme plus ou moins directement affirmée d’engagement social. Bayrol Jiménez par exemple, lors d’une manifestation artistique à Campeche en novembre 2010, arpentait les rues de la cité en poussant un véhicule en bois au profil futuriste, sur lequel chacun pouvait déposer un objet et emporter un dessin en échange (Mobile Workshop for Exchange).
Galeries visibles à l’étranger
Cette effervescence créative s’est, au cours de la dernière décennie écoulée, accompagnée d’une consolidation des structures de diffusion : galeries et lieux d’expositions. Si des enseignes telles OMR ont depuis longtemps pignon sur rue, le travail de Kurimanzutto, qui a soutenu jusqu’à sa maturité toute une génération, et non des moindres – Gabriel Orozco, Fernando Ortega, Dr. Lakra, Abraham Cruzvillegas, Minerva Cuevas… –, en leur cherchant inlassablement des débouchés à l’étranger, a porté ses fruits. De nouvelles galeries très sérieuses sont récemment apparues, qui en peu de temps sont parvenues à se doter d’une belle visibilité, à l’exemple de Proyectos Monclova, Gaga ou Labor. Leur dynamisme participe aussi d’un attrait pour la ville de Mexico, laquelle voit d’année en année s’étoffer la foire Zona Maco. Les lieux d’exposition ne sont pas en reste. Déjà riche en musées dévolus à la création contemporaine – Museo de Arte Moderno, Museo Rufino-Tamayo, Antiguo Colegio de San Ildefonso, Museo de Arte Carrillo-Gil, Sala de Arte Público Siqueiros… –, Mexico a vu fin 2008 l’inauguration du gigantesque MUAC, sis dans la ville universitaire. Cela alors que des initiatives d’artistes telles que OPA (Oficina para Proyectos de Arte), fondé en 2002 à Guadalajara par José Davila, Gonzalo Lebrija et Fernando Palomar, jouent un rôle non négligeable. L’expansion mexicaine est intéressante car probablement est-elle annonciatrice d’un mouvement généralisé au continent latino-américain (le Brésil mis à part, qui entretient sa propre et forte dynamique). Des voix prédisent une prédominance dans un futur proche de la langue espagnole aux États-Unis, qui, immanquablement, éclairera plus encore la culture « latina ». Des frémissements artistiques persistants et de facture intéressante se font sentir en Colombie et au Chili. Le Pérou, qui n’a pas de tradition cinématographique, s’ouvre timidement mais sûrement au septième art avec des réalisateurs solides. Autant de mouvements qui ne pourront que s’amplifier à la faveur du développement économique progressif que connaît la région.
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¡Que viva México!
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : ¡Que viva México!