Les dernières ventes parisiennes d’art précolombien ont été perturbées par une série d’interventions émanant de l’Équateur. Des vacations dans ces spécialités sont annulées.
PARIS - Les ventes d’art précolombien couplé à l’art africain, qui depuis deux ans se polarisent à Paris, ont été quelque peu perturbées en fin d’année 2003. Le nouvel ambassadeur de l’Équateur, son Excellence Juan Salazar Sancisi, en poste à Paris depuis mai 2003, a procédé à la saisie conservatoire d’une trentaine d’objets équatoriens proposés dans les ventes de décembre 2003 chez Tajan, Artcurial et Christie’s, maisons toutes les trois sommées de prouver la sortie légale de ces pièces de leur territoire d’origine. Cette intervention a jeté un froid sur le marché de l’art précolombien. « En vingt années d’expertise, c’est la première fois que cela m’arrive », s’est offusqué Jacques Blazy, l’expert pour Artcurial qui livrait le 8 décembre, parmi de nombreux lots issus d’une grande collection belge, cinq pièces de l’Équateur : une hache votive en serpentine verte ; un vase zoomorphe et une urne funéraire en céramique ; un mortier en calcaire gris ainsi qu’un pectoral en argent repoussé, dans une fourchette d’estimations comprise entre 600 et 18 000 euros. Ces pièces ont été retirées de la vente.
10 lots retirés de la vente
« Cela a toujours été notre politique de protéger notre patrimoine depuis une loi de 1960 interdisant toute sortie de pièces archéologiques et objets de fouilles sans autorisation hors du pays. Mais c’est la première fois que nous faisons une chose aussi importante », a déclaré German Ortega, l’attaché culturel de l’ambassade. À peine installée, la nouvelle équipe de diplomates équatoriens s’est mise en quête d’éplucher les catalogues de ventes pour tenter de récupérer leurs biens. « Ils nous ont saisis quarante-huit heures avant la vente, raconte Jacques Blazy. Notre collectionneur était furieux. Bien que les pièces soient munies de leur passeport d’exportation permanent délivré par la direction des Musées de France (DMF), bien que nous ayons vérifié au préalable qu’elles ne figuraient pas sur des listes d’objets volés et qu’on ait pu fournir l’acte de propriété du père du collectionneur prouvant leur acquisition de longue date, l’ambassadeur n’a pas voulu signer la main levée et nous n’avons pas pu les vendre. » Me Bernard Duminy, l’un des avocats de l’ambassade de l’Équateur, a confirmé que, suite à la saisie, une procédure de demande de restitution auprès du tribunal de grande instance (TGI) de Paris était en cours, faisant valoir que les objets n’étaient pas sortis de manière régulière d’Équateur. « La loi équatorienne n’a aucune force en France, pas plus que la convention Unidroit (1), qui a été signée mais non ratifiée par la France », défend Me Philippe Plantade, conseil de Christie’s qui a dû retirer 10 lots de sa vente du 10 décembre 2003. L’action en justice lancée par l’Équateur pourrait se terminer par la restitution de tous les objets saisis. L’origine des revendications porte sur une quinzaine d’objets des cultures Chorrera, Valdivia, Guangala, Manteno, La Tolita et Jama-Coaque de l’Équateur, de la vente d’art précolombien le 3 décembre 2003 chez Tajan, la première du genre depuis longtemps. Son nouvel expert, le marchand courtier Diego Veintimilla, parce que d’origine équatorienne, aurait attiré l’attention de l’ambassade. Un mois auparavant, les ventes du 5 novembre chez Piasa puis des 17 et 18 novembre chez Gros-Delettrez, rassemblant plus de 50 pièces équatoriennes, s’étaient déroulées sans anicroche.
Pétard mouillé
Par crainte que l’État de l’Équateur, via son corps diplomatique français, ne saisît d’autres pièces, Christie’s et Artcurial ont décidé de ne plus vendre d’objets équatoriens jusqu’à nouvel ordre. François Tajan, échaudé par cette première expérience, a arrêté net ses ventes d’art préhispanique. Quant à l’ambassadeur, il a lui aussi eu une petite déconvenue. Il aurait proposé à Stéphane Martin, président-directeur général de l’établissement public du Musée du quai Branly, de donner à l’institution tous les objets acquis par voie judiciaire. « Les pays d’Amérique latine suivent attentivement le projet du Quai Branly, note Stéphane Martin. Plusieurs ambassades dont celle d’Équateur ont évoqué des possibilités de dépôt pour les musées. Mais, la plupart du temps, c’est nous qui les sollicitons. Nous sommes ainsi intéressés par une pièce importante du Musée de Quito, en Équateur. » « L’art équatorien est un tout petit marché qui n’est alimenté par aucune grande pièce de qualité, et l’art précolombien en général se vend mal, atteste Jacques Blazy. Plus généralement, à part quelques rares lots importants, le reste des ventes est du remplissage. » Sa dernière vacation chez Artcurial confirme ses dires : de nombreux lots qu’il n’a pas voulu brader ont été ravalés. Et si chez Christie’s la vacation a mieux fonctionné, c’est que les objets moyens ont été cédés sans prix de réserve à la moitié, voire au tiers de leur cote. Pour l’expert parisien, « heureusement, l’initiative de M. Salazar Sancisi relève plus de la volonté individuelle d’un homme que d’une contagieuse reconquête. Son action fera l’effet d’un pétard mouillé. » Un pétard mouillé qui a tout de même causé quelques frayeurs. « L’important est que cela ne fasse pas tâche d’huile. Imaginez si le Mexique, le Guatemala, le Pérou, la Colombie… s’y mettent ! », s’exclame Jacques Blazy. Pour sa vente du 4 mars réunissant un premier ensemble de 150 terres cuites péruviennes de la succession Monheim, l’expert a pris les devants en conviant son Excellence l’ambassadeur du Pérou, Javier Pérez de Cuéllar, ancien secrétaire général de l’ONU, à venir voir les objets. « La collection est connue et répertoriée. Toutes les pièces ont été acquises légalement au Pérou dans les années 1950 et 1960 et Javier Pérez de Cuéllar, un homme planétaire au-delà de ses attaches péruviennes, a regardé les objets avec beaucoup d’intérêt et de culture. » L’ambassade du Pérou n’a pas souhaité commenter l’action des diplomates de l’Équateur. Les lois de protection du patrimoine péruvien datent des années 1980. « Nous sommes vigilants sur ce qui se passe sur le marché. Il nous est déjà arrivé d’intervenir en Europe et aux États-Unis dans des situations bien précises », a simplement indiqué le porte-parole de la mission diplomatique péruvienne. « On va les mettre au courant de ce que l’on vend et multiplier les invitations de courtoisie, lance encore Jacques Blazy. Seulement, cela va refroidir les vendeurs de dévoiler systématiquement leurs noms. »
Plusieurs réclamations
Pour sa part, Christie’s a déjà eu maille à partir avec l’État colombien. C’est à Bogota, où sont diffusés les catalogues de la maison de ventes, que le gouvernement colombien a eu connaissance du contenu de la première vacation parisienne de l’auctioneer dans cette spécialité programmée le 12 juin 2003. Plusieurs lots colombiens, dont un précieux bijou Tairona en or estimé plus de 100 000 euros, avaient dès lors fait l’objet d’une réclamation. Peine perdue car, provenant de la collection Arthur Rouet (1843-1911), le bijou avait été rapporté de Colombie en Europe par le collectionneur avant 1870. Mais l’affaire a été étouffée après la préemption du joyau par le Musée du quai Branly pour la coquette somme de 228 250 euros.
(1) Convention permettant à un État signataire de réclamer un objet détenu par un autre État signataire ou par un particulier de cet État.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’Equateur ordonne la saisie d’œuvres
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : L’Equateur ordonne la saisie d’œuvres