Après le succès de la vente d’art précolombien chez Binoche et Giquello, à Paris, le Mexique a semé le doute en dénonçant des faux.
PARIS - De nombreux amateurs d’art précolombien s’étaient donné rendez-vous le 21 mars à l’hôtel Drouot, à Paris, pour la dispersion de la célèbre collection H. Law. Le matin de la vente, le commissaire-priseur, Jean-claude Binoche, et son expert, Jacques Blazy, étaient particulièrement tendus. Malgré des provenances irréprochables, les objets, majoritairement mexicains, risquaient d’être saisis sur commission rogatoire internationale à la demande du gouvernement mexicain, comme ce dernier a coutume de le faire depuis plusieurs années dans le but délibéré de sabrer le marché de l’art préhispanique (lire le JdA no 340, 4 février 2011). La rumeur d’un dépôt de plainte circulait, mais il faut croire que l’état des relations diplomatiques entre les deux pays, dans le contexte de l’annulation de l’Année du Mexique en France, n’a pas favorisé la requête de l’État mexicain. Avec un grand soulagement, la vente a pu avoir lieu.
Si les petits objets en pierre sculptée n’ont pas tous trouvé preneur, toutes les pièces importantes se sont bien vendues, malgré l’absence d’acheteurs américains découragés par un dollar trop bas. En vedette, une exceptionnelle divinité maya de la période classique (550 à 950 ap. J.-C.), en stuc polychrome, a été adjugée à un collectionneur européen pour 2,9 millions d’euros, soit un record du monde pour une œuvre d’art précolombien aux enchères et la meilleure enchère de l’année à Drouot (à cette date). Les enchères ont grimpé jusqu’à 907 200 euros (trois fois l’estimation) pour une grande figure Olmèque (600 à 100 av. J.-C.) de l’État mexicain du Guerrero, en serpentine verte veinée de blanc, et un lézard à queue bifide en serpentine mouchetée, provenant également du Guerrero et daté 300 à 100 av. J.-C., est parti au-dessus de son estimation haute, à 504 000 euros. Notons aussi une grande figure Chontal en serpentine vert clair veinée vert foncé, ayant figuré dans la collection Tristan Tzara, envolée à 226 800 euros, ainsi qu’une rare maquette de temple Mezcala de 16,7 cm en calcite grise, à six colonnes et personnage, adjugée 94 500 euros, soit un record pour un temple miniature.
Bataille d’experts en perspective
La maison de ventes Binoche et Giquello a enregistré un produit de ventes de 7,4 millions d’euros, au-dessus de l’estimation haute de 6 millions d’euros. Mais les réjouissances ont été de courte durée. Car c’était sans compter sur les Mexicains qui ont réagi le lendemain en annonçant publiquement la présence de faux dans la collection H. Law, à commencer par le lot le plus important : la grande divinité maya en stuc polychrome. « La pièce attribuée à la culture maya et qui a atteint un prix record en vente aux enchères est une pièce de fabrication récente, car elle n'appartient à aucune des cultures préhispaniques du Mexique », ont assuré dans un communiqué conjoint le ministère mexicain des Affaires étrangères et l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH) du Mexique. « La figure tente de reconstituer les traits propres à des représentations préhispaniques élaborées dans la zone maya du sud-est du Mexique, toutefois tant la hauteur (156,5 cm) que la posture avec les jambes fléchies et les lanières qui tiennent la chaussure ne sont pas caractéristiques de cette culture », précise le communiqué qui décrit aussi une « érosion apparente » de surface qui aurait été faite pour tromper et donner à la statue une apparence « d’usure et d’ancienneté ».
« La pièce est tout à fait authentique. Elle est très connue et publiée et personne ne l’a jamais contestée, rétorque l’expert de la vente, Jacques Blazy, qui déplore que « les archéologues de l’INAH ne l’aient pas vue durant l’exposition avant-vente, sauf peut-être sur photos. » « C’est une œuvre unique de dimensions exceptionnelles – la plus grande statue en pied que l’on connaisse chez les Mayas, poursuit l’expert. Leurs arguments ne tiennent pas. Sur le site de l’hacienda San Simón au Yucatán, on a retrouvé plusieurs grandes statues en pierre présentant les mêmes caractéristiques iconographiques que la nôtre, à savoir la position assise avec les jambes fléchies et des sandales dont les liens s’entrecroisent sur les mollets. Quant à la surface polychromée de notre statue, elle est parcourue de traces de radicelles dues au fait qu’elle a été recouverte d’une végétation pendant longtemps, et cela est inimitable. » La maison de ventes, qui se réserve le droit d’attaquer les archéologues de l’INAH en justice pour diffamation, se prépare à une bataille d’expertise.
Estimation : 4 à 6 millions d’euros
Résultats : 7,4 millions d’euros
Nombre de lots vendus/invendus : 120/95
Pourcentage de lots vendus : 56 %
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La vengeance du serpent à plumes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : La vengeance du serpent à plumes