À l’occasion de sa Triennale, la ville flamande investit trois de ses musées avec le thème du jardin comme métaphore de notre rapport à la nature.
Bruges (Belgique). Depuis le jardin d’Eden jusqu’aux jardins organisés ou sauvages d’aujourd’hui, le jardin a accompagné l’histoire de l’humanité et l’histoire de l’art. L’exposition phare de la Triennale de Bruges, « Rebel Garden », s’intéresse aux représentations du jardin comme métaphore de nos rapports avec la nature, aujourd’hui régis par la menace de l’autodestruction et de l’extinction. Découpée en neuf chapitres, elle confronte l’art ancien, moderne et contemporain en investissant les trois grands musées de la ville dans un parcours labyrinthique, pas toujours très clair mais original et générateur de très belles surprises.
Au Groeningemuseum, le propos est déployé dans deux salles situées l’une en début, l’autre en fin du parcours permanent. Le jardin et l’artiste, c’est le jardin comme motif refuge ou signal d’alerte. Le spectateur peut se voir et s’interroger dans l’installation de Roger Raveel (1921-2013) avec son miroir et sa cage vide, et devant les arbres en bronze de Giuseppe Penone (né en 1947), le rafraîchissant portrait de Van Gogh dans son jardin par Rose Wylie (née en 1934) ou les photographies de Lise Duclaux (née en 1970) captant la végétation rebelle qui s’insinue dans les interstices de la ville de béton et de bitume. Le Groeninge, c’est six siècles d’art flamand et belge. Entre les chefs-d’œuvre de Jan Van Eyck, Jérôme Bosch, Hugo Van der Goes, Gérard David ou Hans Memling, le visiteur sera déstabilisé par la présence disruptive des plantes en bronze de Caroline Coolen (née en 1975), des formes organiques de Maartje Korstanje (née en 1982) qui prennent possession des murs et des sols, des petites armoires à champignons de Sofie Muller (née en 1974), délicates sculptures qui brouillent les frontières entre les organismes fongiques et les organes génitaux. Avec sa série « Jheronimus », Peter De Cupere (né en 1970) propose un envoûtant art olfactif à regarder autant qu’à humer. Sortant des paysages de la peinture du XIXe siècle, nous voilà plongés dans ceux de l’ère du plasticène avec le récif plastique de Maarten Vanden Eynde (né en 1977) et la centrale nucléaire du duo HeHe – Helen Evans (né en1972) et Heiko Hansen (né en 1970) –, flottant sur une mer de nuages.
La saisissante sculpture en gazon de Per Kristian Nygård (né en 1987) dans la cour du Gruuthusemuseum et les sculptures en plastique recyclé de Tatiana Wolska (née en 1977) nous rappellent dès l’entrée que quelque chose pousse aujourd’hui de travers dans le monde. Dans l’ancien hôtel de maître, on peut admirer, entre autres, des gravures du jardin intérieur et d’anciens manuels d’histoire naturelle qui reflètent la vision de la nature au XVIIe siècle, une nature que l’on craignait autant qu’on l’admirait.
La dernière partie du parcours, nichée dans le grenier du Musée de l’hôpital Saint-Jean, reflète la nécessité de prendre soin du jardin planétaire bouleversé par le changement climatique. La somptueuse tapisserie d’Otobong Nkanga (née en 1974) intitulée Unearthed- Sunlightévoque la régénération de la forêt dévastée par les mégafeux. Les sculptures végétales de Dorota Buczkowska (née en 1971) témoignent d’un soin et d’un respect pour le matériau qu’offre la nature. Le collectionneur Philippe Daelemans a développé une passion et une fascination pour le dodo, l’oiseau disparu de l’île Maurice. Par son incapacité à voler et par son éradication à la suite de l’arrivée des premiers colons, le gros volatile au large bec devient la métaphore de la sixième extinction qui menace les espèces naturelles. Dans ce cabinet de curiosités se côtoient des ossements, dépouilles d’animaux disparus et plantes desséchées, des minéraux, des peintures et des documents relatifs au dodo.
Le tout dernier espace est consacré aux activistes du climat. On peut voir une vidéo de la performance d’Emilio López-Menchero (né en 1960) en toge romaine et coiffé d’une couronne d’olivier qui traîne des pancartes ornées de slogans des marches pour le climat, en hommage à la performance de l’activiste autrichien Waluliso (1914-1996). Tandis que sur des affichettes en papier de couleur se déclinent les slogans poétiques de Lise Duclaux qui font pousser les rhizomes de « l’art-ivisme ». « Les racines n’ont pas d’idées arrêtées » ou « Nos pelouses sont trop courtes », écrit-elle.
La Triennale de Bruges, c’est aussi une série d’installations où l’art contemporain rencontre l’architecture. Disséminées dans toute la ville, ces commandes sont au nombre de 12 pour cette édition. Intégrées au paysage urbain, elles prennent la forme de gouttes en brique (Shingo Masuda + Katsuhisa Otsubo Architects), d’une tour en bois pour sonner la cloche (Bangkok Project Studio) ou d’un tunnel caché en tissu recyclé (SO-IL). Elles viennent parfois changer le regard sur la ville comme cette paire de bottes en bronze géante qui semblent flotter sur le canal (Iván Argote), cette ancienne chaussée mise au jour et débarrassée d’une couche de gazon qui s’enroule comme un tapis (Adrien Tirtiaux) ou cette balançoire située à l’intérieur d’une tranchée de pierres dans le jardin d’un hôpital psychiatrique (Mona Hatoum).
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Bruges défriche ses jardins
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Bruges défriche ses jardins