PARIS
Artiste nommé au prix Marcel Duchamp 2022, le jeune Colombien expose ses monuments publics en modèle réduit à la galerie Perrotin.
Paris. Pour une vidéo intitulée Post human, Iván Argote (né en 1983 à Bogotá, en Colombie) a filmé des pigeons voyageurs en train de se promener au milieu d’éléments architecturaux – colonnes, fontaines, tourelles – qu’il a réalisés à l’échelle des oiseaux. Ils évoluent au milieu de ces constructions factices en se rappelant une époque où il y avait encore des humains, avant que ces derniers ne se fassent pigeonner et ne disparaissent. D’où le titre de cette exposition « Prémonitions », qui réunit en plus de la vidéo, des sculptures et des peintures pensées comme un ensemble d’une grande cohérence.
Des pigeons, on en retrouve dans une autre salle, mais en bronze, l’un en train de se pavaner sur les bords d’un bassin, l’autre allongé lascif sur des marches. Avec ces poses humaines, arrogantes et drôles, ils semblent se jouer des architectures qui les entourent, mausolée, colonnade, arc de triomphe également à échelle réduite, en bronze, comme méprisées par ces volatiles hautains. L’architecture et plus précisément les monuments symboles de pouvoir (et de passé colonial) dans l’espace public sont ainsi régulièrement mis à mal par Iván Argote depuis ses années passées à l’École des beaux-arts de Paris de 2006 à 2009. L’artiste iconoclaste a ainsi pris le parti, depuis ses débuts, de s’attaquer à ces images d’autorité dressées sur les places et est notamment passé maître dans l’art de faire débander les obélisques. On se souvient de celui de 10 mètres de long qu’il avait couché, tout penaud et courbé, dans la galerie Perrotin début 2014, avec son pyramidion doré en berne. Et ce rapport iconoclaste aux figures historiques de domination ne date pas d’hier. « Je me souviens qu’adolescent à Bogotá, j’adorais escalader les monuments et aller boire des coups en hauteur avec mes copains », en sourit encore Argote. Les prémices, déjà, d’une démarche ludique et poétique, mais aussi politique et engagée. « Je m’intéresse à ce que disent les monuments et surtout à ce qu’ils ne disent pas, ce qui n’est pas dit dans l’espace public », précise-t-il.
Ces questionnements se prolongent dans deux autres salles qui se complètent et se répondent également puisque le centre de l’une est occupé par une statue en bronze gris, coupée à mi-hauteur, dont il ne reste que la partie inférieure déjà envahie d’herbes et de plantes diverses. Dans l’autre, la partie supérieure, qui figure le buste et la tête d’un personnage déchu, posée à même le sol subit le même sort de l’effacement progressif sous la poussée d’herbes plus ou moins folles. Une façon de rappeler que l’homme disparu, la végétation reprendra le dessus et gommera en partie l’histoire.
L’histoire, on la retrouve peinte cette fois, dans les différentes toiles qui entourent ces sculptures et qui, elles aussi, dialoguent avec une grande finesse. Dans la première salle, en effet, accrochée sur un mur rose une toile montre sur fond blanc un obélisque, rose également, cassé en deux. Dans la seconde, c’est l’inverse : un autre tableau révèle un sol défoncé, composé de plaques peintes en roses, accroché sur un mur blanc. Rose sur blanc et blanc sur rose donnent à ces deux salles, admirablement pensées, une atmosphère suspendue, ouatée, hors du temps, mi-aube, mi-crépuscule avec de splendides variations chromatiques autour de tonalités nées à la suite du séjour, cette année, de l’artiste à la Villa Médicis de Rome. Le rose qu’Argote décline superbement dans toutes ses nuances, du gris au mauve, au saumon, à l’orange, et qu’il affectionne d’autant plus qu’« il n’existe pas. Le rose est un compromis que fait l’œil dans le spectre de la lumière, c’est un arrangement que fait le cerveau », rappelle-t-il.
Entre 10 000 euros pour les plus petites toiles et 70 000 euros pour chacune des deux grandes sculptures, les prix sont très honnêtes pour un artiste, certes encore jeune, mais qui fait partie cette année des quatre artistes nommés pour le prix Marcel Duchamp 2022 (exposés au Centre Pompidou jusqu’au 2 janvier 2023) et qui présente régulièrement des expositions sur la scène internationale.
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Iván Argote et l’art de déboulonner les statues
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Iván Argote et l’art de déboulonner les statues