Art contemporain

La boussole d’Ivan Argote

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 26 octobre 2017 - 673 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci la boussole d’Ivan Argote.

Fétiche -  « Enfant, j’étais déjà fasciné par les boussoles. Je ne les collectionne pas, mais je m’arrange pour en avoir toujours une à portée de main. Cet instrument de navigation existe depuis plus de mille ans, mais il est encore très utile. » Se situer géographiquement constitue un fil rouge dans le travail de ce jeune artiste colombien dont les yeux pétillent de malice et d’intelligence. Venu s’inscrire aux Beaux-Arts de Paris en 2006, il y a, depuis, élu domicile. Une de ses œuvres plusieurs fois exposées, et qui rencontre actuellement un grand succès à la « BienalSur » à Buenos Aires, présente une vidéo intitulée As Far As We Could Get, montrant la vie dans deux villes situées aux antipodes du globe, l’une en Colombie, l’autre en Indonésie. Autrement dit, si une aiguille traversait la Terre à partir de Neiva, elle relierait directement Palembang. Sachant qu’il existe seulement six cas semblables sur Terre, on apprécie de voir que, malgré les différences culturelles, les problèmes humains se croisent et se superposent. Pour Argote, géolocalisation et géopolitique sont concomitantes : « Je suis fils de militants politiques. Mon père, élu député, est aussi président du principal parti d’opposition en Colombie, le “Polo Démocrático”, soit l’alliance de plusieurs partis de gauche. Quand il m’emmenait dans ses tournées, je n’arrêtais pas de poser des questions sur les villes traversées : combien y a-t-il d’habitants ? Sur quoi repose l’économie locale ? Etc. Une curiosité qui amusait mon père, mais qui me permettait de me situer par rapport à une histoire et à un contexte. » Certes, une boussole permet de ne jamais perdre le nord, au sens propre comme au sens figuré : « Quand je suis arrivé à Paris, je ne parlais pas français et j’étais un peu… déboussolé… : j’avais beaucoup de mal à me repérer dans la ville. Bogota, la capitale de la Colombie, est structurée à l’américaine, avec des rues perpendiculaires et parallèles comme dans une grille. On marche d’est en ouest, du nord au sud. Et vice versa. Ici, c’est très différent. Alors, quand je demandais à des passants parisiens de m’indiquer le nord, très peu étaient capables de me répondre. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il valait mieux leur demander dans quelle direction était la Seine ! Et avoir une boussole dans la poche ! » À propos de Bogota, située à 2 600 m d’altitude, l’artiste explique que de grandes montagnes, visibles de partout, bordent la ville à l’est, et qu’ainsi, où que l’on soit, on sait où se lève le soleil. Un souvenir surgit : « Quand j’étais petit, en classe, il m’arrivait de me lever pour aller regarder le soleil et les ombres à la fenêtre, et dire quelle heure il était. Je ne me trompais jamais : la ville étant sur la ligne d’équateur, le soleil se lève et se couche à la même heure toute l’année. » On évoque, alors, les grandes découvertes. On parle de Christophe Colomb, de Magellan… Réponse : une histoire cruelle pour les autochtones. Pas de quoi rêver. Et puis, une boussole est-elle seulement utile pour se déplacer ? : « Avoir une boussole dans mon sac à dos me colle à la terre, ça me rappelle qu’on tient debout grâce à l’attraction terrestre et que chacun partage le même champ magnétique. En fait, porter une boussole me centre. » La boussole comme recherche d’équilibre ? N’est-ce pas ce que nous propose d’éprouver Argote avec sa dernière installation au Centquatre, à Paris, intitulée The Other, Me and the Others ? Soit un grand plateau rectangulaire, en bois, posé sur une sorte de pied central, et qui peut basculer d’un côté ou de l’autre. Le défi consiste à rester en équilibre à plusieurs : « En montant sur cette balançoire géante, nous entrons en rapport direct avec le corps des autres, et cela souligne aussi que nous sommes tous liés, non seulement par la physique, mais aussi par l’histoire. » Une belle leçon de démocratie collective, en quelque sorte.

« Continua, Sphères, Ensemble »,
jusqu’au 19 novembre 2017. Centquatre, 5, rue Curial, Paris-19e. Tarifs : 9 et 6 €. Commissaire : José-Manuel Gonçalvès. www.104.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°706 du 1 novembre 2017, avec le titre suivant : La boussole d’Ivan Argote

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