AMÉRIQUE DU NORD
La représentation des peuples autochtones du Canada et des États-Unis fait plus que jamais l’objet de débats au sein des musées nord-américains, de plus en plus nombreux à leur donner une visibilité tangible et respectueuse.
États-Unis, Canada. Depuis près de trois mois, il n’est plus possible de visiter les pourtant très populaires « Galerie des Premières Nations » et « Galerie de la naissance de la Colombie-Britannique » au Musée royal de la Colombie-Britannique de Victoria, au Canada. Les deux espaces, consacrés à l’histoire de cette province de l’ouest du Canada de l’arrivée du capitaine George Vancouver en 1778 à l’aube du XXIe siècle, représentaient près de la moitié des surfaces d’exposition du musée, l’un des plus visités du pays. Son directeur par intérim, Daniel Muzyka, assume vouloir modifier en profondeur les deux parcours : « Il importe désormais de “décoloniser” les salles du musée, nous aurions dû commencer il y a longtemps. » Fermer ces espaces, ajoute-t-il, était « nécessaire pour commencer un travail de longue haleine qui consiste à créer de nouveaux récits incluant des voix sous-représentées ».
Leur fermeture fait suite aux demandes répétées émanant de militants pour les droits des autochtones qui reprochaient aux salles de raconter une histoire biaisée de la colonisation de la province par les Européens : les objets, « period rooms » et dioramas installés dans ces deux galeries mettaient, selon eux, bien davantage l’accent sur l’expérience des colons que sur celle des peuples natifs formant ce que les Canadiens appellent les « Premières Nations ». « Pendant trop longtemps, les musées ont été des institutions coloniales excluant “l’autre” et l’empêchant de raconter lui-même sa propre histoire. Nous avons, ici et maintenant, l’opportunité de renverser le musée de l’intérieur », se félicite Melanie Mark, la ministre du Tourisme de la province, elle-même issue des Premières Nations.
La fermeture de ces salles intervient dans un contexte particulièrement tendu alors que le pays tout entier s’émeut de la découverte, le 26 janvier dernier, de 93 tombes d’enfants près d’un ancien pensionnat catholique pour autochtones dans cette même province de Colombie-Britannique. L’école, active de 1891 à 1981, répondait, avec d’autres, à une politique de grande échelle visant à assimiler de force les enfants des Premières Nations à la société canadienne. Le système, qualifié en 2015 de « génocide culturel » par une commission d’enquête gouvernementale, a été régulièrement critiqué pour sa violence et sa brutalité. La nouvelle est venue relancer le débat, complexe, du rapport des sociétés nord-américaines aux populations indigènes et à leur propre histoire coloniale.
Entre le Canada et les États-Unis, les autochtones d’Amérique du Nord représentent près de 7 millions d’habitants. Dans les statistiques officielles, ce sont souvent les plus mal lotis : populations aux plus bas niveaux de scolarisation, d’emploi et de revenu, ce sont aussi celles qui ont, dans les deux pays, l’espérance de vie la plus faible. Ces situations sociales précaires sont généralement le résultat d’une histoire douloureuse, marquée par les déportations, les massacres, l’acculturation forcée et la politique des « réserves indiennes », où les gouvernements américain et canadien ont parqué une grande partie des populations autochtones depuis la fin du XVIIIe siècle.
Dans les années 1970, les premières politiques étatiques d’aides financières se mettent en place et les différents mouvements de défense des droits autochtones se constituent. Très vite, les musées canadiens et américains se retrouvent au centre des discussions. On les accuse de perpétuer les stéréotypes et la hiérarchisation des peuples, de défendre l’histoire coloniale, de cantonner les arts autochtones aux galeries ethnologiques des muséums d’histoire naturelle ou de disposer de restes humains et d’objets funéraires sacrés arrachés contre leur gré aux différentes nations tribales nord-américaines.
En 1990, une loi historique sur « la protection et le rapatriement des tombes des natifs américains » votée aux États-Unis, plus connue sous l’acronyme « Nagpra », exige pour la première fois que les biens culturels amérindiens présents dans les institutions fédérales soient rendus aux populations d’origine lorsqu’ils ont été déterrés. Pour les musées américains, c’est un tournant majeur : « La loi a attiré l’attention non seulement sur le problème de la propriété des biens culturels, mais aussi sur la perspective plus large des droits d’un groupe spécifique, ou plutôt de leur absence de droits », développe James Pepper Henry, ancien directeur du Musée national des Indiens d’Amérique.
Au cours des trois dernières décennies, nombre de musées consacrés aux Amérindiens ont fleuri partout aux États-Unis comme au Canada, à commencer par le Musée national des Indiens d’Amérique, créé en 1989 (Smithsonian Institution) et disposant aujourd’hui d’un site à Washington, au pied du Capitole, et d’un autre à New York, près de Wall Street. Dernier exemple en date, le Musée des Premiers Américains, inauguré le 27 septembre 2021 à Oklahoma City, est désormais le plus grand centre culturel amérindien du pays.
Ces créations accompagnent en parallèle une attention accrue portée par les plus grands musées américains et canadiens aux questions de représentation des peuples autochtones, à travers tant leurs collections que leurs politiques de recrutement. Quelques semaines seulement après la fin des grandes manifestations antiracistes de l’été 2020, le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York annonçait ainsi recruter pour la première fois un conservateur d’origine amérindienne. En avril 2021, le Met inaugurait sa première galerie permanente consacrée aux arts autochtones nord-américains, insistant sur sa volonté « de présenter les perspectives et les expressions culturelles autochtones dans des contextes inclusifs et respectueux ». La présentation dénonce résolument « le colonialisme euro-américain et la dévastation environnementale qu’il a suscitée ».
L’argument décolonial, s’il n’est pas nouveau, a fait une entrée fracassante dans les musées nord-américains ces dernières années. La fermeture des salles du Musée royal de la Colombie-Britannique ou la création des nouveaux parcours du Met, toutes deux fondées sur une autocritique, sont loin d’être des cas isolés. En 2012 déjà, le San Diego Museum of Man (Californie) recrutait un « directeur de la décolonisation » pour « inclure des perspectives qui auraient toujours dû être incluses mais qui historiquement ne l’ont pas été », expliquait alors Ben Garcia, son directeur adjoint. Le musée a depuis rendu une partie des nombreux restes humains autochtones qu’il possédait. En 2019, c’est le Musée américain d’histoire naturelle de New York qui recouvrait les vitrines de ses dioramas montrant des Amérindiens avec des commentaires dénonçant le racisme et les stéréotypes de ses propres présentations.
En février dernier, le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, décidait d’ériger la décolonisation en politique officielle en annonçant créer un département « Voies autochtones et décolonisation » dirigé par Michelle LaVallee, issue des Premières Nations. Avec ce nouveau département, le musée entend souligner son engagement à « soutenir l’autodétermination des peuples autochtones » et à « réexaminer et à réimaginer ses collections, sa programmation, ses politiques afin de refléter véritablement la riche diversité de la société canadienne et des premiers peuples de ce pays », comme l’annonçait un communiqué. Dans le même temps, l’institution a décidé de changer son identité visuelle, abandonnant le rouge et le blanc du drapeau canadien au profit de motifs autochtones plus divers. Il faut croire que la décolonisation du musée en passe aussi par là.
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Les musées d’Amérique du Nord face à l’histoire des peuples autochtones
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Les musées d’Amérique du Nord face à l’histoire des peuples autochtones