MONDE
Les demandes de restitution se succèdent, comme les revendications identitaires, les dénonciations, parfois violentes, d’une suprématie blanche, d’une appropriation culturelle, d’un patriarcat, d’atteintes à l’environnement, tandis que des statues sont déboulonnées et des monuments tagués.
Contestés, les musées doivent répondre à de nouveaux défis. Pour nous éclairer, voilà un ouvrage (1) passionnant qui livre un état des lieux quasi planétaire des contestations et recense des solutions, ou tentatives de solution adoptées par des institutions afin qu’elles puissent continuer à exercer leur mission : permettre au citoyen de penser ou repenser le monde dans lequel il vit.
Son auteur a dirigé la National Gallery de Londres (1987-2002), puis le British Museum (2002-2015). C’est là que Neil MacGregor a élargi sa perception du monde, passant d’un musée des seules peintures européennes à celui d’œuvres, d’objets montrant les cultures du monde. Depuis, il a notamment participé à la création du Forum Humboldt à Berlin. Le lecteur amateur de formules lapidaires, de tweets, de solutions tranchées restera sur sa faim. MacGregor nous présente avec érudition et nuances de multiples cas de conflits jalonnant des histoires nationales fracturées et ses chapitres se concluent souvent par plusieurs points d’interrogation. Car, souligne-t-il, « une vision claire du destin d’une nation est généralement une dangereuse illusion ».
D’emblée, le musée fondé sur le principe d’universalisme des Lumières repose sur une contradiction en faisant de la Méditerranée le centre de la terre et en portant la Grèce à son sommet. Ce postulat s’est appliqué en Europe, en Amérique, non seulement à l’architecture des lieux mais également à l’organisation de la présentation des collections, en reléguant le reste du monde à la périphérie.
Comment corriger cette dissonance ? MacGregor explique qu’à Washington deux nouvelles institutions fédérales, celle consacrée aux Indiens d’Amérique, l’autre aux Africains Américains, tournent le dos à l’architecture gréco-romaine dominante, tout en remettant en question la notion d’un seul et unique récit national pour les États-Unis. Face à l’iconoclasme, autrefois régional et désormais mondial, l’auteur expose des réponses, celles de Brême, Bolzano, Bruxelles, préservant le passé tout en prenant des distances, conservant l’œuvre décriée, mais la contredisant. Il observe que la situation muséale parisienne est particulièrement complexe et épineuse à remanier. Comment utiliser le Palais de la porte Dorée, monument de propagande coloniale avec sa frise chantant la grande France, alors qu’il est devenu le Musée national de l’histoire de l’immigration ? Dans un pays où vivent beaucoup d’immigrés et d’enfants d’immigrés, il y est impossible d’avoir une vision globale de l’art islamique, géographique et temporelle, les collections étant éclatées entre le Louvre, l’Institut du monde arabe, le Musée Guimet. Au département des arts de l’Islam, le Louvre persiste à nommer « Baptistère de Saint-Louis », un magnifique lave-mains, n’ayant ni rapport avec ce roi, ni avec le baptême chrétien. À Guimet, la présentation de l’Inde est organisée par religion, méthode déplorée par nombre d’historiens indiens. Les musées et les monuments sont à leur manière une langue. Pour rester vivante, celle-ci doit revoir et élargir son vocabulaire et parfois même changer de syntaxe.
(1) Neil MacGregor, À nouveau monde, nouveaux musées. Les musées, les monuments et la communauté réinventée, co-édition Musée du Louvre éditions / Hazan, 2021, 272 pages, 25 euros.
Cet ouvrage accompagne les cinq conférences données par Neil MacGregor, du 15 au 29 novembre, dans le cadre de La Chaire du Louvre.
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Les musées doivent changer de syntaxe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°578 du 26 novembre 2021, avec le titre suivant : Les musées doivent changer de syntaxe