NEW YORK / ÉTATS-UNIS
Le musée a rouvert au public sa galerie consacrée aux cultures amérindiennes du Nord-Ouest Pacifique après un long chantier de rénovation destiné à la rendre plus inclusive.
New York (États-Unis). Un vent de changement souffle sur le Muséum américain d’histoire naturelle (AMNH) de New York. Son entrée monumentale face à Central Park n’est plus gardée par la statue de l’ancien président Theodore Roosevelt, son bienfaiteur, qui le montrait à cheval dominant un Africain et un Amérindien. La sculpture, longtemps décriée, a été retirée au début de l’année après une intense controverse nourrie par l’intensification du mouvement Black Lives Matter au cours de l’été 2020. À l’intérieur, une galerie rénovée consacrée aux cultures amérindiennes du Nord-Ouest Pacifique veut aussi réorienter le discours du musée vers davantage « d’inclusion, de diversité et d’égalité », prélude annoncé d’une révolution en cours.
Le « Northwest Coast Hall » est la plus ancienne galerie du muséum. Inaugurée en 1899 par Franz Boas, sommité de l’anthropologie d’alors, elle n’avait que peu changé d’aspect en près d’un siècle. Il aura fallu cinq ans et 19 millions de dollars (18,1 millions d’euros) pour lui donner un nouveau visage, que les visiteurs peuvent découvrir depuis le 13 mai : conçue conjointement par Peter Whiteley, conservateur en charge de l’ethnologie nord-américaine au muséum, et Haa’yuups, chef de la maison de Takiishtakamlthat-h de la Première Nation Huupa’chesat-h située sur l’île de Vancouver au Canada, la nouvelle exposition veut mettre l’accent sur les « expériences vécues » par les peuples indigènes autour des quelque mille objets qu’elle rassemble.
En son temps, la présentation de Franz Boas passait pour un modèle du genre, au discours avant-gardiste : là où d’autres musées, en particulier la Smithsonian Institution, caractérisaient encore les peuples amérindiens comme des « sauvages »à « civiliser », Boas montraient que ces objets étaient le produit de civilisations sophistiquées. Tenant du « relativisme culturel », il avançait que les croyances et les comportements d’un groupe humain dépendaient de son environnement et que les sociétés ne pouvaient donc être hiérarchisées. « C’était assez révolutionnaire », commente Peter Whiteley. Malgré tout, le discours de la salle, par endroits très paternaliste, avait plutôt mal vieilli et demandait à être mis à jour.
Les soixante-sept poteaux totems et sculptures monumentales, des emblèmes sociaux et religieux essentiels dans les cultures du Nord-Ouest Pacifique, se détachent désormais sur les murs peints d’un bleu profond, censé évoquer les paysages de fjords azuréens de la région. Le pavement original de la longue salle a été conservé, mais les huit alcôves et quatre galeries d’angle qui la structuraient jadis ont été complètement ouvertes, rendant le passage d’une section à l’autre beaucoup plus fluide. Les vitrines ont également été repensées pour accueillir des objets de toutes sortes et de tous formats, les précédentes étant trop creuses, créées principalement pour l’exposition d’hameçons, la marotte de Franz Boas.
Ces objets, des coiffes, des paniers, des plats, des instruments de cérémonie ou un grand canoé taillé dans un tronc de cèdre rouge suspendu au plafond, sont bien plus nombreux et bien plus divers que dans la présentation originelle et n’avaient pour la plupart jamais été montrés au public. Beaucoup ont été exhumés des réserves du musée par des représentants des dix nations dont les cultures sont représentées. C’est l’un des traits saillants de cette rénovation : en plus d’avoir fait appel à un commissaire amérindien, en la personne d’Haa’yuups, le muséum a tenu à associer à la conception de chacune des dix sections de l’exposition un groupe d’experts et de témoins issus de la tribu évoquée.
Il en résulte une présentation qui met l’accent sur les fonctions spirituelles et fonctionnelles des objets pour les gens qui les ont fabriqués et qui les ont utilisés. Nombre de cartels sont écrits à la première personne et donnent la parole aux Amérindiens, sous la forme de témoignages ou de modes d’emploi. Les encarts contextuels sont omniprésents à travers la galerie, qui déborde de textes, d’images et de vidéos offrant autant d’occasions aux communautés de partager leurs perspectives, y compris les plus critiques, sur leurs histoires et leurs objets : les différentes formes de répression gouvernementale de leur culture sont évoquées, tout comme la colonisation de leurs terres ou même le vol de leurs objets au bénéfice des musées. « Je crois encore que ces objets nous appartiennent », regrette en effet Haa’yuups, qui a accepté de participer au projet de rénovation parce qu’il ne croit pas probable, à court terme, une restitution à grande échelle de ces objets. C’est pourtant une demande récurrente des tribus concernées : pour beaucoup de leurs représentants, venus découvrir la nouvelle galerie lors d’une cérémonie le 4 mai dernier, voir ces artefacts, auxquels ils attribuent un pouvoir spirituel, confinés dans un musée revient à les voir emprisonnés. Dans un communiqué, le muséum a annoncé avoir ouvert des discussions pour un « processus de restitution limité », car c’est tout le paradoxe de cette nouvelle galerie : comment refuser de rendre les objets quand on met autant l’accent sur leurs facultés spirituelles, leur rôle dans les communautés et l’histoire tumultueuse de leur acquisition par le musée ?
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Le Muséum de New York met à jour son discours sur les Amérindiens
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Le Muséum d’histoire naturelle de New York Met à jour son discours sur les Amérindiens