Universalisme. La vie culturelle française se préoccupe enfin davantage des questions liées à la représentation du racisme dans l’art, alors que celles-ci restaient jusqu’ici un apanage d’outre-Atlantique. Mais d’un côté il y a des musées, comme Orsay qui offre actuellement une relecture du « Modèle noir, de Géricault à Matisse », de l’autre des militants qui refusent le dialogue ou affirment que celui-ci est impossible et choisissent l’affrontement. Ainsi, au nom de la lutte contre le « blackface », qui ridiculisait autrefois les Noirs, des manifestants ont empêché une représentation des Suppliantes d’Eschyle en mars à la Sorbonne, tandis que des pétitionnaires exigeaient le mois suivant le retrait d’un tableau d’Hervé Di Rosa, accroché depuis 1991 à l’Assemblée nationale.
Dans cette escalade, favorisée par l’emploi de tweets agressifs au détriment de discussions approfondies, interviennent aussi les combattants de l’« appropriation culturelle », qui se manifestent déjà au Canada et aux États-Unis depuis une vingtaine d’années. À travers cette notion, qui vise à être non seulement un concept intellectuel mais aussi un outil pour l’action, ils fustigent la récupération, par les représentants d’une culture dominante d’éléments, de symboles d’une culture minoritaire. À la Biennale du Whitney Museum (New York) en 2017, des artistes africains-américains avaient exigé le retrait et la destruction du tableau Open Casket (Cercueil ouvert), peint par Dana Schutz (1). Ils accusaient cette artiste d’avoir utilisé à des fins mercantiles et de gloire personnelle une icône du mouvement en faveur des droits civiques alors qu’elle n’appartient pas à la communauté noire, et surtout, comme femme blanche, fait partie des dominateurs. D’autres cas ont suivi, mais celui-ci est extrême puisque ce sont des artistes eux-mêmes qui avaient mené le combat, heureusement sans succès.
Parler d’« appropriation culturelle », c’est dire que culture et pouvoir ne peuvent être dissociés. Les royautés et les empires l’ont prouvé, puis la démocratie et le capitalisme où s’exerce aussi le soft power, celui non seulement des gouvernements et des États mais aussi des industries culturelles. C’est également reconnaître que parfois elle existe : une appropriation irrespectueuse, totalement ignorante du contexte et des signes d’une autre culture. La volonté de faire du spectaculaire – affubler, par exemple, des mannequins d’un défilé de mode du maquillage et des coiffes des Amérindiens – l’emporte sur la connaissance de l’autre.
Mais défendre l’idée d’« appropriation culturelle », c’est sous-entendre que les cultures disposeraient de propriétaires légitimes. L’humain vit dans une culture, en est un dépositaire, l’artiste y contribue ; mais qui peut s’affirmer être propriétaire d’une culture ? Cette notion inquiète car seul serait légitime à s’exprimer sur une culture, à la faire vivre, celui qui appartiendrait à ce groupe. Risque de l’entre-soi, de l’autarcie culturelle, contraire à l’esprit de culture : échange, découverte de l’autre. Un artiste ne doit-il pas aussi prendre du recul avec le sujet de son travail et donc s’extraire du prisme d’une communauté ?
Enfin, comment juger les créateurs d’aujourd’hui en martelant un contexte d’autrefois ? Comment des militants, enfermés dans un postulat victimaire, peuvent-ils apprécier le travail d’autres artistes alors qu’ils ont pour dogme que tout Blanc reste raciste et oppresseur ? Les interrogations soulevées peuvent être pertinentes, car toutes les discriminations raciales, tant sociales que symboliques, n’ont pas disparu, mais les réponses apportées avec leur caractère binaire et violent ne peuvent satisfaire.
(1) Lire le JdA no 477, 14 avril 2017
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Les dangers de l’« appropriation culturelle »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°525 du 7 juin 2019, avec le titre suivant : Les dangers de l’« appropriation culturelle »