Patrimoine

Jean-Luc Martinez formule 50 propositions pour protéger le patrimoine de l’humanité

Par Julie Paulais · lejournaldesarts.fr

Le 19 novembre 2015 - 964 mots

PARIS

PARIS [19.11.15] – Chargé en juin dernier de rédiger un rapport sur la protection du patrimoine de l’humanité lors de conflits armés, Jean-Luc Martinez a rendu public 50 propositions. Il préconise notamment la création de musées-refuges et d’un fonds de dotation, l’édification d’un mémorial aux gardiens du patrimoine, et une meilleure harmonisation du droit européen.

En juin dernier, en réaction aux destructions de plusieurs monuments dans l’ancienne cité de Palmyre, le Président de la République François Hollande avait demandé à Jean-Luc Martinez, président-directeur du Musée du Louvre, la rédaction d’un rapport approfondi consacré à la préservation du patrimoine mondial lors de conflits armés. Ce rapport, contenant 50 propositions, dont certaines peuvent s’envisager à l’échelle nationale, européenne ou être portées par l’UNESCO ou l’ONU, a été rendu public le 17 novembre.

Le rapport commence par constater plusieurs éléments qui freinent l’efficacité de l’action internationale en matière de protection du patrimoine, notamment le fait que les dispositifs de protection du patrimoine ne s’appliquent qu’aux Etats qui ont ratifié les conventions. Il pointe également la dispersion des initiatives, voire la concurrence entre Etats, ce que l’on constate avec l’abondance récente de protocoles et propositions parfois identiques émanant de plusieurs pays.

Le premier axe est de renforcer « l’exemplarité française en matière de protection du patrimoine », ce qui devrait passer notamment par la ratification du second protocole de la convention de La Haye de 1954, seul texte conventionnel interétatique dans le domaine culturel et patrimonial public que la France n’a pas ratifié. « Cette ratification permettrait non seulement de renforcer la position de la France dans les instances institutionnelles internationales, mais aussi d’encourager d’autres Etats à la ratification universelle et à la mise en œuvre des instruments juridiques existants », explique Jean-Luc Martinez. La création d’un comité interministériel rattaché au Premier Ministre, sur le modèle de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), est fortement conseillée, puisque cela assurerait la coordination interministérielle ainsi que la liaison et la coopération avec les autres comités nationaux similaires ou analogues et avec tout organisme international compétent dans ce domaine.

Le rapport incite la France à prendre l’initiative d’une nouvelle convention de l’UNESCO prévoyant un certain nombre de mécanismes qui n’ont pas encore été adoptés, tels que : la création de « réserves-refuge », déjà introduit au niveau français dans le cadre du Projet de loi sur la Création Artistique et le Patrimoine en cours de discussion, et évoqué par François Hollande mardi dernier pendant la 70e conférence générale de l’UNESCO ; la création de « musées des saisies », regroupant les œuvres d’art volées récupérées par les douanes ; la constitution de listes noires des « paradis du recel », etc. En parallèle du « droit d’asile » pour les œuvres d'art menacées, François Hollande a évoqué devant l’UNESCO une autre mesure issue du rapport Martinez : la création d’un Fonds de dotation spécifiquement dédié à la sauvegarde ou la reconstruction du patrimoine, grâce auquel « on pourrait imaginer financer le travail de reconstruction de Palmyre ou l'étude du site archéologique de Mari », a précisé Jean-Luc Martinez à l’AFP. Un autre moyen de financement pourrait être apporté par l’organisation d’expositions itinérantes de biens culturels menacés, sur le modèle de l’exposition « Afghanistan ; les trésors retrouvés », inaugurée en 2006 au Musée Guimet et toujours en itinérance actuellement, qui aurait rapporté 3 millions de dollars au Musée national de Kaboul.

Sur le plan symbolique, le rapport suggère l’édification, probablement dans le jardin des Tuileries, d’un « mémorial des gardiens du patrimoine », lieu de mémoire dédié à ceux qui ont risqué ou donné leur vie pour protéger le patrimoine de l’humanité, à l’image de l’ancien directeur des antiquités de Palmyre, Khaled Al Assaad, sauvagement assassiné en août 2015. Cette proposition a déjà fait l’objet de premiers échanges avec Fleur Pellerin, et on peut penser que le ministère de la Culture devrait prochainement lancer une commande publique.

Jean-Luc Martinez appel aussi à lutter contre le trafic illégal, l’une des sources de financement du terrorisme (d’après le rapport, entre 1 % et 20 % des ressources de Daech), en renforçant la traçabilité des œuvres et les sanctions applicables. Pour ce faire, il préconise notamment : la constitution d’un Observatoire européen de coordination et de veille portant sur le trafic illégal des biens culturels au sein de l’Union Européenne ; la création d’une base de données unique des biens culturels volés ou saisis ou l’interconnexion des bases de données existantes (TREIMA, Interpol, ARGOS, etc.) et de les rendre plus accessibles à tous ; ainsi que l’harmonisation et la simplification de la règlementation européenne dans le domaine de la circulation des biens culturels et en matière de recel. Les moyens humains devraient être renforcés, notamment ceux de l’OCBC (dix fois plus réduits que ceux des Carabinieri italiens) et du Conseil des Ventes Volontaires.

Afin de conserver la mémoire des sites, il serait nécessaire de lancer un vaste plan de numérisation en 3D des lieux patrimoniaux. Une start-up française (Iconem), en partenariat avec l’INRIA, est d’ailleurs en train de reconstituer le temple de Bêl, détruit en août 2015, grâce à la technique de photogrammétrie. Ces reconstitutions pourraient ensuite être montrées au public dans des centres d’interprétation construits sur les sites détruits ou endommagés par Daech, ou dans des « musées virtuels ».

Dernière proposition importante, qui rejoint celle du British Museum : accueillir, former et sensibiliser les scientifiques irakiens ou syriens, notamment en recrutant dans les établissements culturels ou de recherche ceux actuellement réfugiés en France, en changeant leur statut actuel qui ne le permet pas. « Le contexte exceptionnel justifierait que puissent être délivrés des titres de séjour spécifiques à ces personnes afin de permettre à ces professionnels de travailler de façon effective sur le territoire national », souligne le rapport.

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Jean-Luc Martinez, Président-Directeur du Musée du Louvre © MIGUEL MEDINA / AFP

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