Monument

Sur des disques durs américains, un modèle en 3D de Notre-Dame attend de servir

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 20 avril 2019 - 713 mots

POUGHKEEPSIE / ETATS-UNIS

Sur le campus de Vassar College au nord de New York, une semaine avant l'incendie de Notre-Dame de Paris, une équipe universitaire s'est réunie pour planifier un ambitieux projet : répertorier un gigantesque volume de données de modélisation en 3D de la cathédrale - parmi les plus riches au monde.

Vue de Notre-Dame de Paris numérisée - Copyright Andrew Tallon / Vassar College
Vue de Notre-Dame de Paris numérisée
© Andrew Tallon / Vassar College

Ces précieuses données sont l'oeuvre d'un homme, décédé en novembre dernier, un professeur d'art américain francophile et francophone, amoureux de l'architecture médiévale et passionné par les cathédrales gothiques, Andrew Tallon (1969-2018).

Sa technique, dite lasergrammétrique, n'était pas nouvelle, mais son usage l'était. En 2011 et 2012, financé par une fondation, Andrew Tallon a utilisé un scanner laser pour mesurer très précisément l'intérieur et l'extérieur de la cathédrale. Il a placé l'appareil dans une cinquantaine d'endroits, afin de mesurer les distances entre chaque mur et pilier, recoin, statue ou autre forme - et enregistrer l'ensemble des imperfections intrinsèques à tout monument usé par les siècles.

Le résultat est un "nuage" de plus d'un milliard de points, qui ont été colorés dans un second temps. Les images de synthèse finales reconstruisent à l'écran la cathédrale dans ses moindres détails, y compris ses infimes défauts, avec une précision allant jusqu'à cinq millimètres. Ces images ont par exemple confirmé à quel point le côté ouest de la cathédrale était "un bazar complet...", avait dit Andrew Tallon à National Geographic en 2015, en montrant le mauvais alignement des piliers.

Andrew Tallon voulait "entrer dans la tête des constructeurs", a expliqué mardi à l'AFP Lindsay Cook, son ancienne étudiante, qui après un doctorat à Columbia est revenue enseigner à Vassar l'an dernier, et est l'une des universitaires à exploiter aujourd'hui les archives numériques. "Il cherchait dans les scans laser les ruptures dans la construction, les endroits où les choses n'étaient pas tout à fait droites ou d'aplomb, où on pouvait deviner la main de l'architecte ou des maçons", poursuit la professeure d'art, également francophile. Elle admet volontiers qu'elle est tombée dans le gothique grâce à son ancien professeur.

De ces mesures sont nées des images publiées dans un livre en 2013 et montrées dans une exposition à Notre-Dame en 2014. Mais le gros de ce téraoctet de données reste non exploité, sous la forme de 1 et de 0 dans quelques disques durs.

Précision

Plusieurs sociétés françaises ont également numérisé Notre-Dame par morceaux, non dans un but de recherche historique mais dans un objectif de conservation. Art Graphique et Patrimoine, qui avait assisté Andrew Tallon avec les scanners laser, dit avoir accumulé depuis 25 ans 30 à 50 milliards de points - notamment des parties comme la charpente ou l'intérieur de la flèche, que l'Américain n'avait pas ou peu numérisées. Andrew Tallon a "une maquette complète, mais pas exhaustive", dit à l'AFP Gaël Hamon, PDG de la société française, qui tente actuellement de reconstituer le "puzzle" des multiples morceaux de ses propres numérisations, afin de créer un rendu 3D global.

Notre-Dame pourra sans doute être reconstruite sans ces données, mais la modélisation par laser apporte une chose aux photographies et aux dessins en possession des architectes de France : de la précision. C'est particulièrement utile pour les éléments en hauteur comme la toiture et la flèche, plus difficiles à mesurer physiquement. La flèche du XIXe siècle s'est effondrée dans l'incendie, la toiture est largement sinistrée.

La modélisation pourra aider les restaurateurs à recréer à l'identique la partie de la voûte qui s'est effondrée à l'intérieur. "Si les autorités voulaient l'utiliser, bien sûr nous partagerions tout avec eux", dit Lindsay Cook. Les données sont pour l'instant sur des disques durs externes à Vassar, avec des copies à Columbia, où des universitaires collaboraient avec Andrew Tallon, dans le cadre du projet "Mapping Gothic".

Si les architectes des Monuments historiques demandaient les disques, il faudrait les livrer en personne, car les données sont trop volumineuses pour être transmises par Internet. "Ce serait un bel hommage", dit à l'AFP le doyen de Vassar, Jon Chenette.

Dans d'autres disques durs, les historiens trouveront aussi, s'ils le souhaitent un jour, un autre héritage d'Andrew Tallon : des modélisations laser des cathédrales de Beauvais, de Chartres, de Canterbury ou encore de la basilique de Saint-Denis.

Par Ivan Couronne

Cet article a été publié par l'AFP le 18 avril 2019.

Visite de Notre-Dame avec Andrew Tallon :

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