Pour les fresques du palais de Monaco comme pour le retable d’Issenheim, les restaurateurs ont eu recours à des techniques de nettoyage et décapage au laser. Ces deux chantiers d’ampleur marquent un tournant pour une technologie qui a longtemps suscité des réticences en France.
Colmar, Monaco. Du 12 au 16 septembre, le colloque « Lacona » réunissait à Florence (Italie) pour la treizième fois en vingt-trois ans les professionnels du patrimoine autour des techniques de restauration faisant appel au laser. Parmi les réalisations et études présentées, le Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF) a pu y dévoiler le nettoyage des cadres peints du retable d’Issenheim, débarrassés de leurs repeints grâce au laser. Que la conservation-restauration ait eu recours au laser pour l’un des trésors du patrimoine français est signe que la profession s’est réellement réapproprié cet outil.
Car si la France fut pionnière en la matière, dès les années 1980 elle a rapidement abandonné l’innovation qui présentait pourtant de nombreux avantages. Alors utilisé uniquement sur la statuaire, le nettoyage laser se montre précis, très sélectif, évacuant les couches de crasse sans toucher à l’épiderme de la pierre et sans produire de déchets. Au début des années 1990, on envisage donc de développer cette technologie pour offrir une alternative aux solvants chimiques et au microsablage : le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) lance une grande campagne de nettoyage d’une vingtaine de monuments. L’enthousiasme premier passé, le laser est très vite associé à un effet secondaire malheureux : le jaunissement des statues après intervention. L’aura du LRMH ne peut rien contre la méfiance suscitée par cette dénaturation des œuvres, et l’innovation est peu à peu abandonnée au début des années 2000. De grands chantiers comme les campagnes de nettoyage au laser de la basilique Saint-Denis et de la cathédrale Notre-Dame de Chartres sont finalement annulés, ou suspendus jusqu’à une meilleure compréhension du phénomène de jaunissement.
Une décennie plus tard, le jaunissement a fait l’objet de différentes études, et son apparition est mieux comprise : le laser activerait des oxydes de fer présents dans la pierre. « Cette compréhension des jaunissements a fait évoluer les lasers, explique Dominique Martos-Levif, ingénieure d’études au C2RMF. Aujourd’hui, ils ont des modes qui permettent de limiter ces effets. » Le laboratoire des musées français relance alors l’intérêt pour cet outil dans le cadre de ses recherches de techniques alliant « efficacité » dans le nettoyage et « innocuité » pour l’œuvre, pour le restaurateur comme pour l’environnement. Deux pistes sont creusées, le laser et les micro-émulsions (des solvants chimiques à l’action plus chirurgicale). Au départ, c’est la solution chimique qui est retenue pour éliminer les surpeints sur le cadre du retable d’Issenheim. « Mais les résultats n’ont pas été satisfaisants, en retirant le surpeint la matière originelle était attaquée », se souvient Dominique Martos-Levif. Avec une équipe constituée de la spécialiste italienne du laser Anna Brunetto, de l’ingénieur Vincent Detalle et du docteur en physique Maxime Lopez, des tests à l’aide de différents lasers sont menés sur le précieux retable. Le contrôle grâce à une tomographie en cohérence optique (un procédé d’imagerie permettant d’obtenir une vue en coupe des différentes couches) démontre la grande efficacité du laser à effet mécanique, préféré à celui qui reproduit l’effet des outils chimiques en dissolvant la matière.
À Monaco également, le laser rend une seconde jeunesse à un trésor découvert fortuitement il y a une dizaine d’années : les fresques Renaissance du palais Grimaldi [lire l’encadré ci-dessous]. Dans ce grand chantier patrimonial de la principauté, c’est une exigence d’écoresponsabilité imposée par le prince Albert II qui amène l’équipe franco-italienne de conservateurs-restaurateurs à se tourner vers le laser pour éviter l’emploi de solvants chimiques. Peu utilisé sur les peintures murales, l’outil se montre très efficace après une phase d’analyse des pigments et de tests. Même si « on ne peut pas utiliser le laser sur certains pigments, rappelle Julia Greiner, qui œuvre sur le chantier. Avec le blanc de plomb, on aperçoit immédiatement une altération qui fait un flash lumineux. »
Sur ce chantier décennal, le laser vient en appui lors du dégagement de surpeints réalisé manuellement par l’équipe des conservateurs-restaurateurs. Chronophage, le dégagement au laser est donc réservé à des zones délicates : « C’est très précis, très sélectif, rapporte Eleonora Serra, restauratrice italienne du chantier. Une fois choisis le bon type de laser, le bon réglage, on cible la quantité de matière que l’on va enlever. »« En termes de méthodologie, c’est très comparable au nettoyage chimique, abonde le C2RMF. En chimie, on s’appuie sur les paramètres de solubilité, avec le laser on joue sur les paramètres de longueur d’onde, d’énergie ou diamètre du spot. »
Ces atouts, d’autres pays les exploitent plus volontiers que la France. En Italie, la technologie est bien implantée, et des monuments aussi prestigieux que le baptistère Saint-Jean de Florence, les fresques de Santa Maria della Scala à Sienne ou les Catacombes de Domitille à Rome ont été nettoyés grâce au laser. Pour Dominique Martos-Levif, les avancées scientifiques dans la compréhension de cette technique, ainsi que l’illustre la thèse de Maxime Lopez soutenue en 2020, permettent de lever les doutes : « Il y a une nécessité de poursuivre les recherches, mais aussi d’assurer les formations. » Le laser exige une maîtrise du procédé et de ses paramètres, dont l’apprentissage ne fait pour l’heure pas partie de la formation continue des conservateurs-restaurateurs. Cet outil supplémentaire pourrait à terme offrir une alternative au recours systématique aux solvants chimiques, qui nuisent à la santé des professionnels : « Pour les nouvelles générations, il faut que ça change, demande Julia Greiner. On ne peut pas tous tomber malades à 30 ans à cause des solvants chimiques… »
Restauration « exemplaire » pour les fresques de Monaco
Palais princier. Lancée il y a dix ans, la restauration des fresques génoises du XVIe siècle découvertes sous les repeints XIXe devrait encombrer de ses échafaudages les couloirs du palais Grimaldi pour encore quelques années. Ce chantier, qui au départ ne devait concerner que la galerie d’Hercule, ouverte sur la cour d’honneur du palais, s’est étendu aux salles au fur et à mesure des découvertes. Le prince Albert II souhaite pour cette restauration un chantier exemplaire sur le plan environnemental : un vœu qui a orienté le choix des restaurateurs vers le laser, mais qui les a aussi incités à reconstituer les pigments à partir de matériaux naturels et locaux, en lieu et place des peintures acryliques. Envisagé comme un laboratoire, le chantier donnera lieu à une étude poussée sur l’utilisation du laser, et pourra faire évoluer la préparation de pigments organiques durables. Il stimule également la recherche en histoire de l’art des universitaires génois, qui redécouvrent l’histoire commune de la principauté et de la république maritime, dont sont issus les Grimaldi. L’identification de l’auteur des cycles d’Hercule, d’Ulysse et de Bellérophon reste, elle, encore à déterminer.
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Le laser ne fait plus peur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Le laser ne fait plus peur