PARIS
PARIS [20.01.12] - Après les grands musées nationaux parisiens, nombre de musées ont adopté (ou s’apprêtent à le faire) le statut d’établissement public. Cette structure administrative, gage d’autonomie, représente-t-elle la panacée pour des institutions en quête de nouvelles ressources ? Un tour d’horizon des différentes expériences en la matière.
Depuis quelques années, dans le microcosme des musées, nombreux sont ceux à ne jurer que par le statut d’établissement public, cette forme juridique promesse d’autonomie. Au début des années 2000, les musées du Louvre, d’Orsay et Guimet ont donné l’exemple en devenant établissements publics à caractère administratif (EPA), tandis que de rares institutions comme la Cité de l’architecture et du patrimoine, ouverte en 2007, ont été créés avec le statut d’EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial (lire l’encadré). Le Musée du quai Branly, inauguré en 2006, offre un parfait exemple des possibilités de l’EPA, jouissant de la liberté de décision pour ses expositions, acquisitions, et employant une majorité d’agents contractuels rémunérés sur son budget propre. La masse salariale correspond ainsi à moins de 30 % de ses coûts de fonctionnement, contre plus de 50 %, à titre d’exemple, pour le Centre Pompidou. Au cours de la premère décennie du XXIe siècle, nombre de musées ont souhaité s’engager sur cette voie, à l’instar du château de Fontainebleau, devenu EP en 2009, ou du Musée Picasso et du Musée national de la céramique rattachés en 2010 à la Manufacture nationale de Sèvres en un vaste EP (la Cité de la céramique). Le phénomène n’est pas une exclusivité de la région parisienne : le Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille-Métropole (le LaM), ou la Piscine-Musée d’art et d’industrie de Roubaix s’apprêtent à passer établissement public de coopération culturelle (EPCC) tandis que le futur « Musée des Confluences », à Lyon, pourrait voir le jour en 2014 sous la forme d’un EP, assimilant aussi les deux musées archéologiques gallo-romains, Saint-Romain-en-Gal (Vienne, Rhône) et Lyon-Fourvière.
Censé réduire les lenteurs administratives et garantir le dynamisme des musées, le statut d’établissement public représente-t-il la panacée pour des institutions en quête de nouvelles ressources ? Pour Jean-François Hébert, président du château de Fontainebleau, à la tête de la mission de préfiguration de la « Maison de l’histoire de France », « le statut d’EP est un facteur de développement au sens large. C’est une question d’incarnation : on attache plus d’intérêt à un établissement qui a une autonomie qu’à un établissement qui est un service ». Même son de cloche à Sèvres, où le directeur, David Caméo, souligne tout l’intérêt de ce nouveau statut sans lequel la rénovation des espaces inaugurés fin 2010 n’aurait pu être financée.
Des musées « plus malins »
Pour les musées territoriaux, le statut d’EPCC permet de se libérer de tutelles parfois pesantes, particulièrement lorsque le musée est géré en régie directe. Créé sous la forme d’une association loi 1901, le LaM devrait passer EPCC avant l’été prochain. Il était jusque-là adossé financièrement et politiquement à la Communauté urbaine de Lille. Élu de Lille-Métropole, le président de l’association était alors aussi celui qui votait les subventions, ce qui a pu créer des confusions dans un climat que Sophie Lévy, à la tête du musée depuis l’été 2009, qualifie de « malsain ». Selon elle, le statut est une nécessité qui rend les musées « plus malins, plus réactifs ». Mais l’EPCC n’est pas nécessairement aisé à mettre sur pied, puisqu’il implique de réunir divers partenaires financiers, une tâche ardue en ces temps de vaches maigres. Financé majoritairement par la Communauté urbaine de Lille, le LaM espère voir participer la Région, également sollicitée par le musée voisin, La Piscine. Victime de son succès, l’institution roubaisienne souhaite devenir EPCC pour « se donner les moyens de ses ambitions » (lire le JdA no 356).
Au Palais des beaux-arts de Lille, le directeur, Alain Tapié (sur le départ), regrette que le statut n’ait toujours pas été voté. « L’EPCC met les institutions face à leurs responsabilités mais aussi face à la dimension réelle d’un musée, explique-t-il. Cela permet d’avoir une réactivité dont nous avons absolument besoin. Le système actuel est archaïque ; la gestion du musée, un enfer. » Les élus ont cependant parfois du mal à accepter de ne plus avoir la main sur les établissements qu’ils financent… Les nouvelles structures en régions que sont le Centre Pompidou-Metz (Moselle) et le Louvre-Lens (Pas-de-Calais) ont adopté, sans surprise, le statut d’EP : l’institution messine, celui d’un EPIC qui lui donne la possibilité, donc, d’embaucher des personnels sous contrat de droit privé ; le Louvre-Lens, celui d’un EPA, à l’instar de la maison mère.
« Vision technocratique »
Le modèle de l’EP, très en vogue, ne fait pourtant pas l’unanimité. En coulisse, certains dénoncent cette forme d’autonomie voulue par les grands établissements nationaux qui ont abandonné les plus petits musées SCN (service à compétence nationale) à la « loi de la jungle ». Le rapport remis par la Cour des comptes au printemps dernier fustigeait ainsi ces grands musées qui sont « parvenus à s’extraire de l’encadrement des administrations ministérielles tout en continuant à dépendre des dotations de l’État ». « Penser que l’EPA permettra plus de souplesse dans la gestion et coûtera moins cher à l’État relève d’une vision technocratique à courte vue. On a cru trouver la solution miracle, on l’a encouragée sans voir les limites et les détails à nuancer », déplore ainsi un directeur de musée. La création d’un EP implique en effet de multiplier les personnels (communicants, comptables, financiers, juristes), des embauches peu compatibles avec des économies budgétaires. Comme à Fontainebleau où « chaque nouveau poste a été arraché au ministère », indique Jean-François Hébert, bien informé sur le sujet pour avoir promu l’EP lorsqu’il était directeur du cabinet de la ministre de la Culture Christine Albanel. Il en reconnaît aujourd’hui les failles et met en garde : « Il faut bien peser la décision de créer un EP et réfléchir à la capacité de donner à une structure les moyens nécessaires à son développement. Si un musée SCN devient EP à moyens constants, il ne peut vivre normalement. La gestion des musées, plus rigoureuse depuis quelques années, s’est traduite par des tensions extrêmes. Il y a des établissements bien dotés et d’autres qui ont des besoins criants. Le ministère a beaucoup de difficultés à rendre des arbitrages. » Les personnels des musées voient quant à eux d’un mauvais œil l’externalisation de certains postes, comme la surveillance, et les syndicats redoutent que ce choix entraîne une précarisation des emplois. Jean-François Hébert admet que « l’externalisation n’est une solution qui ne peut être que partielle ».
Pour répondre à ces enjeux de l’emploi public, la Ville de Paris a décidé de regrouper ses quatorze musées et leurs deux tutelles, la DAC (direction des affaires culturelles) et Paris Musées, en un vaste EPA. Cette initiative atypique alors que le statut d’EP se décline au singulier est censée répondre aux nombreux problèmes que rencontrent les musées de la capitale (lourdeurs administratives, gestion confuse, salles fermées, accueil déficient, horaires inadaptés…) évoqués dans le rapport remis en mai 2010 par Delphine Lévy, proche collaboratrice du Maire de Paris. Désormais à la tête de la mission de préfiguration de l’EP, celle-ci souligne la « volonté de conserver le principe de mutualisation des finances, des ressources et des moyens humains. Cela se fait en faveur des petits musées ». Reste à voir si le nouveau statut résoudra les nombreux problèmes de gestion du système parisien… Si pour certains établissements l’EP est la solution, pour d’autres, l’heure est à la perplexité.
Personne morale de droit public remplissant une mission d’intérêt général, l’établissement public jouit d’une certaine autonomie administrative et financière. Il en existe deux grands types : l’établissement public à caractère administratif (EPA), soumis au droit public, et celui à caractère industriel et commercial (EPIC), qui relève en grande partie du droit privé pour les règles comptables, les marchés et le régime des personnels – même si l’EPIC emploie des fonctionnaires, notamment dans les directions, et que l’EPA a le droit de recourir aux contractuels. Quant à l’établissement public de coopération culturelle (EPCC), créé en 2002, il permet d’associer plusieurs collectivités territoriales dans l’organisation et le financement d’équipements culturels. L’établissement public est administré par son président (ou directeur), généralement nommé pour cinq ans, qui prend les décisions au quotidien, et un conseil d’administration qui fixe les grandes lignes de sa politique.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Des différentes possibilités de l’établissement public
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Extension du LaM (Lille-Métropole Musée d'art moderne d'art contemporain et d'art brut, Villeneuve d'Ascq) construite par Manuelle Gautrand, juillet 2010, avec au premier plan un Mobile de Calder. © Photo : Philippe Ruault.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Des différentes possibilités de l’établissement public