Bruno Gaudichon, directeur de La Piscine, à Roubaix, évoque les défis et enjeux à venir du musée qui fête ses dix ans.
Conservateur adjoint au Musée de Poitiers de 1982 à 1989, Bruno Gaudichon a rejoint Roubaix en 1990 pour faire renaître de ses cendres le musée municipal désaffecté depuis 1959. Dès son inauguration en 2001, La Piscine-Musée d’art et d’industrie de Roubaix a rencontré un très grand succès. Bruno Gaudichon revient sur ces dix années d’activité et sur les projets que nourrit l’institution tandis que la région se prépare à accueillir le Louvre-Lens.
Daphné Bétard : La Piscine-Musée d’art et d’industrie de Roubaix a été inaugurée il y a dix ans. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?
Bruno Gaudichon : Lorsque le musée a été inauguré en 2001, nous ne pouvions pas imaginer que les rapports avec les publics seraient aussi forts. Les festivités organisées pour cet anniversaire ont réuni plus de 7 000 personnes en un week-end et montré tout l’attachement de la population à cet établissement. Le musée accueille plus de 200 000 visiteurs par an, soit quatre fois plus qu’initialement prévu. Alors qu’on nous promettait – y compris au sein de l’ex-Direction des musées de France – une catastrophe, le succès a été au rendez-vous. C’est une belle revanche pour Roubaix d’avoir réussi à faire ce musée et aussi à le faire vivre. Vu de l’extérieur, il est difficile d’imaginer ce que représente le fait de pouvoir organiser des expositions « Picasso », « Degas », « Signac » ou « Chagall ». Nous-mêmes n’osions pas y croire il y a dix ans.
D. B. : Quels sont les grands axes du projet d’agrandissement lancé l’année dernière pour répondre à cette demande croissante du public ?
B. G. : Le projet vise à mieux présenter les collections, qui se sont considérablement enrichies depuis dix ans. Dans un même axe, l’agrandissement va prolonger la galerie de sculptures du grand bassin avec un nouvel espace qui se veut plus didactique. Jusqu’à présent, le musée a fait la part belle à la sculpture figurative de la première moitié du XXe siècle. Il sera enfin possible d’aller plus loin dans la modernité grâce à des dépôts (actuellement en cours de négociation) avec le Musée national d’art moderne et le Centre national des arts plastiques. Un volet technique évoquera les outils et matériaux de la sculpture, avec, notamment, la réinstallation de l’atelier Henri Bouchard arrivé en 2007, non sans polémique [l’artiste avait fait partie du voyage en Allemagne de 1941].
Une troisième partie abordera la relation entre commande publique et pouvoir politique. Le musée a reçu de nombreux dons, et réalisé aussi quelques achats, autour des artistes du « groupe de Roubaix ». Il y a une demande très forte de la population locale pour voir ces œuvres qui se trouvent dans les collections des musées de Tourcoing et de Villeneuve d’Ascq, mais ne sont pas exposées. Désormais, deux salles du musée leur seront consacrées. Les espaces d’expositions temporaires pourront atteindre 800 m2 pour les grandes manifestations (contre 650 m2 auparavant). Par ailleurs, le musée annexe un ancien collège du XIXe siècle pour y installer deux ateliers de pratiques artistiques, dévolus à la céramique et à la sculpture, ainsi qu’au textile. Dans ce même bâtiment, la tissuthèque sera redéployée et les espaces ainsi laissés vacants, transformés en cabinet des dessins. En outre, une partie importante de la réorganisation des espaces ne sera pas visible puisqu’il s’agit d’améliorer les conditions de travail du personnel.
D. B. : Avec l’agrandissement, le musée pourrait changer de statut, et être rattaché à Lille-Métropole. Qu’est-ce que cela implique ?
B. G. : Il y a quelques années, la chambre régionale des comptes a fait un audit du musée. Dans ses conclusions, il était précisé que si la Ville engageait un projet d’agrandissement, il conviendrait de demander le transfert à la Communauté urbaine de Lille. Aujourd’hui le fonctionnement du musée représente quelque 3,5 millions d’euros par an, à la seule charge de la Ville de Roubaix. Mais le transfert à la Communauté urbaine pose un certain nombre de questions, car le musée est très inscrit dans sa ville. Et un transfert pur et simple à Lille-Métropole me paraît difficile à l’heure où la Communauté urbaine elle-même se sépare de la gestion du LaM [Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille-Métropole], qui prendrait le statut d’établissement public de coopération culturelle (EPCC), une solution peut-être plus souhaitable…
D. B. : Selon vous, l’EPCC représente-t-il le bon modèle pour une institution comme La Piscine ?
B. G. : J’aurais craint la création d’un EPCC global réunissant les musées de Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq, comme cela a été envisagé à un moment. Il aurait été dramatique de gommer l’identité de chacune de ces quatre structures. On s’oriente aujourd’hui vers la création d’un EPCC par établissement, mais la difficulté avec ce nouveau statut, c’est qu’il implique de trouver trois partenaires qui acceptent de se mettre autour de la même table. Tout le monde pense à la Région. L’État va sûrement vouloir venir. Mais sa présence n’est pas d’un grand intérêt pour la région Nord - Pas-de-Calais, où, depuis plusieurs années, l’État refuse de subventionner les expositions. Au-delà des 3,5 millions d’euros qui seront versés par la Ville, il s’agit d’aider le musée à se placer sur un pied d’égalité avec d’autres structures muséales métropolitaines ou régionales qui disposent de budgets au moins deux fois plus importants que les nôtres. Il faut trouver les moyens d’être en harmonie avec le rayonnement du musée. Notre mode de fonctionnement est déjà assez atypique : tous les moyens que le musée trouve par lui-même en mécénat (et même une importante partie de la billetterie sur les années fastes) sont reversés par la Ville sur le budget du musée.
D. B. : Comment percevez-vous l’arrivée du Louvre-Lens ?
B. G. : Depuis longtemps, les musées du Nord - Pas-de-Calais ont mis en place des politiques en direction des publics de proximité. « Lille 2004 » [Capitale européenne de la culture] avait déjà eu un impact énorme. Les élus avaient réalisé que la culture pouvait constituer un avantage considérable pour les communes et la région. Néanmoins, il demeure une sorte de complexe, une difficulté à imaginer que la région puisse être attractive, et nous avons encore besoin d’une locomotive touristique. Le Louvre-Lens est une formidable opportunité pour cette idée de « la région des musées » que défend son président, Daniel Percheron. Le pouvoir politique régional a vraiment prévu l’arrivée du Louvre-Lens comme un outil de fédération pour l’aménagement muséal du territoire. Je n’ai pas d’inquiétude si l’on reste dans cet état d’esprit. Pour le Louvre, cela implique un autre rapport au territoire. Il faut aussi que les conservateurs du Nord - Pas-de-Calais jouent le jeu et s’approprient cette vision transversale des musées, en réfléchissant à d’éventuelles redistributions des collections pour créer des pôles d’excellence. Au-delà même du Louvre-Lens, n’est-il pas temps d’imaginer que les collections nationales puissent s’inscrire dans une vraie politique de mise à disposition du patrimoine dans les musées de la région, à travers des dépôts ou dans le cadre de grandes expositions ? Ce projet est riche de promesses.
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Bruno Gaudichon : « Le Louvre-Lens, une formidable opportunité pour la région »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Bruno Gaudichon : « Le Louvre-Lens, une formidable opportunité pour la région »