Les opérateurs sont devenus le mode d’administration le plus couramment utilisé pour les institutions culturelles. Le recours à ce modèle vise à en améliorer la gestion en donnant davantage d’autonomie et de moyens d’action à leurs responsables, ce qui suppose, en contrepartie, d’en renforcer le pilotage stratégique.
Si le recours à des institutions autonomes pour la gestion des services culturels est ancien, l’« agenciarisation » de la politique culturelle a connu une accélération depuis la fin des années 1980. Les doctrines du New Public Management [nouvelle gestion publique] d’abord mises en œuvre dans les pays anglo-saxons pointent alors la lourdeur et l’inefficacité des appareils administratifs. Elles proposent d’en accroître la performance via l’importation de modes de gestion propres au secteur privé. Elles promeuvent ainsi une séparation entre l’élaboration des politiques – qui doit demeurer la compétence de l’administration centrale – et la prestation de services – qui doit être confiée à des opérateurs distincts –, les relations entre ces acteurs devant être organisées sur une base contractuelle.
C’est dans ce contexte qu’en 2001, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) réforme en profondeur le cadre de la gestion budgétaire de l’État et introduit le concept d’opérateur. Disposant d’une personnalité juridique distincte de l’État, les opérateurs remplissent trois critères précis : ils exercent une activité de service public, ils sont majoritairement financés par l’État et ils sont contrôlés directement par l’État. Il en existe de deux types : les plus nombreux – qui représentent les trois quarts des opérateurs du ministère de la Culture – sont les établissements publics à caractère administratif (ÉPA), soumis au droit public. Les établissements à caractère industriel et commercial (Épic) relèvent quant à eux en grande partie du droit privé pour les règles comptables, les marchés et le régime du personnel. Plus rarement, les opérateurs peuvent prendre la forme d’une association de loi 1901 comme le Musée des arts décoratifs (MAD) ou le Centre national des arts du cirque (Cnac).
Le ministère exerce également une tutelle sur des établissements aux statuts juridiques variés tels que des sociétés par actions simplifiées (SAS) comme le Palais de Tokyo et la société du Pass culture qui n’entrent pas stricto sensu dans la catégorie des opérateurs. Si la plupart des opérateurs culturels dépendent du ministère de la Culture, quelques musées sont également rattachés au ministère des Armées (Musée de la marine, Musée de l’air et de l’espace, Musée de l’armée) ou au ministère des Sports comme le Musée national du sport.
Les opérateurs se distinguent par ailleurs des services à compétence nationale (SCN) qui constituent une catégorie particulière de service administratif déconcentré sans personnalité morale. Il subsiste aujourd’hui une vingtaine de services à compétence nationale dont les Archives nationales et une douzaine de musées qui n’ont pas été érigés en établissements publics, tels que le Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, le Musée de la Renaissance d’Écouen ou le château de Compiègne.
La qualification d’opérateur est avantageuse car elle permet aux établissements de bénéficier d’une véritable autonomie de gestion. Les opérateurs déploient des modèles stratégiques fondés sur le développement de leurs ressources propres (billetterie, valorisation du domaine, produits dérivés, mécénat, etc.), ce qui leur permet de disposer d’une certaine autonomie financière. L’autonomie des établissements reste toutefois relative. La gestion de leurs personnels est contrainte par des plafonds d’emploi qui s’imposent à eux comme à toutes les administrations. Si certains établissements disposaient, avant la crise, de capacités d’autofinancement non négligeables, la plupart dépendent aujourd’hui largement des subventions que leur verse le ministère de la Culture.
Dès lors qu’il confie la mise en œuvre d’une mission de service public à un organisme qui lui est extérieur, l’État doit s’assurer que cette mission est exercée conformément aux priorités qu’il fixe. L’État dispose d’une faculté d’agir sur les opérateurs par sa présence au sein de l’organe délibérant : le conseil d’administration, dont le rôle est d’établir et d’approuver les orientations de l’établissement. Si l’administration n’est pas toujours majoritaire, du fait de la représentation accordée aux personnalités qualifiées, aux élus ou aux organisations syndicales, elle est souvent prépondérante.
Les orientations stratégiques et la démarche de performance de l’opérateur s’incarnent dans plusieurs supports : projet stratégique à long terme de l’établissement, contrat d’objectifs et de performance (COP) signé avec le ministère, lettre de mission et objectifs annuels du dirigeant. L’insuffisance de ces différents instruments de pilotage est toutefois régulièrement mise en avant. Les dirigeants des plus gros établissements ont par ailleurs pu acquérir un poids politique très important qui rend parfois difficile l’exercice de la tutelle par les services du ministère. Alors que le ministère de la Culture cherche à recentrer son action sur ses missions de conception et de pilotage des politiques publiques, l’exercice de la tutelle sur les opérateurs doit encore accroître sa dimension stratégique.
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L’« agenciarisation » des politiques culturelles, un enjeu de pilotage stratégique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : L’« agenciarisation » des politiques culturelles, un enjeu de pilotage stratégique