PARIS
Le rapport Bélaval énonce des recommandations très opérationnelles pour renforcer la légitimité et l’efficacité de la politique patrimoniale du ministère de la Culture.
Paris. Appelé au chevet de la direction générale des Patrimoines en juillet dernier par Françoise Nyssen, son ex-directeur, aujourd’hui président du Centre des monuments historiques, recommande dans son « ordonnance » qui vient d’être rendue publique qu’on lui administre une série de potions qui n’ont rien d’amères. Le diagnostic ? : « La politique patrimoniale [n’occupe pas] la place qui [doit] être la sienne parmi les politiques publiques. » Un constat très général auquel il répond cependant par quelques fortes affirmations assorties de mesures très opérationnelles.
Première affirmation, un peu attendue, « il faut relancer une réflexion de fond sur les objectifs et les instruments », avec la participation de tous : ce qui doit être patrimonialisé, les modes de financement, l’impact du tourisme de masse, l’usage des sites patrimoniaux… Cette réflexion pourrait être menée dans les multiples commissions de l’univers patrimonial, dans des colloques spécifiques ou en réactivant les anciens (de 1987 à 2001) « Entretiens du patrimoine ».
Deuxième affirmation, tout aussi attendue de la part de cet énarque haut fonctionnaire : réaffirmer le leadership de l’État et du ministère de la Culture en la matière. Il rejette tout nouveau transfert de compétences aux collectivités territoriales, s’interrogeant même sur le retour de l’une des deux compétences qui avaient été transférées et « qui prive l’État d’une force de frappe intellectuelle et méthodologique » : l’inventaire général du patrimoine.
En revanche, son plaidoyer pour une plus grande implication du ministère dans l’architecture est plus singulier. Rappelant que le rattachement de ce secteur au ministère est récent (1995), il relève que ce dernier n’a pas de compétence dans le domaine de l’économie de l’architecture, de sorte qu’il pèse peu dans les grandes décisions le concernant, alors que la relation avec le patrimoine est de plus en forte. Mais ici Philippe Belaval marche sur les plates-bandes du ministère en charge de la cohésion des territoires et du logement et celui chargé de la transition écologique et solidaire. Il ne peut que suggérer que ces ministères « se réapproprient » – c’est-à-dire s’impliquent davantage dans – la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP), créée en 1977 et rattachée à la Rue de Valois.
Curieusement, l’ancien directeur des Archives de France n’a pas les mêmes préventions quand il s’agit de faire une OPA (offre publique d’achat) sur les directions des archives des ministères des Affaires étrangères et des Armées afin de les regrouper dans un ensemble unique dépendant du ministère de la Culture. Mais dans cette hypothèse, les Archives s’émanciperaient de l’actuelle direction des Patrimoines. On entre ici dans le cœur de sa mission sur l’organisation de l’administration centrale. À l’exception des Archives, (et uniquement dans l’hypothèse d’un regroupement), il ne recommande pas de démembrer l’actuelle direction et d’autonomiser l’Architecture, les Musées et le Patrimoine. Cependant même s’il souligne que ces « métiers » fonctionnent trop en silo, il reconnaît qu’une organisation totalement transversale est quasi impossible, le conduisant à ne proposer que des améliorations à la marge. Ce qui n’a pas manqué de nourrir les discussions lorsqu’il a présenté en septembre dernier les grandes lignes de son plan aux cadres de la direction des Patrimoines.
Ce grand commis de l’État d’origine toulousaine n’est pas pour autant un jacobin et appelle à une plus grande déconcentration. D’abord vers les Directions régionales des affaires culturelles (Drac), à qui devraient être rattachés, par exemple, les neuf conservateurs de la Rue de Valois qui valident les projets scientifiques et culturels (PSC) des musées. Mais sa réflexion sur les Drac ne va pas plus loin compte tenu de leur réorganisation en cours, sauf en ce qui concerne les Unités départementales de l’architecture et du patrimoine (Udap), les émanations spécialisées des Drac au niveau départemental. Ces unités qui abritent les architectes des Bâtiments de France (ABF) sont « les points de contact et parfois de friction avec les propriétaires, les aménageurs ou les élus ». Philippe Belaval voudrait faire de ces Udap « une priorité absolue de l’allocation des moyens ministériels », afin de donner plus d’importance à leur mission de conseil par rapport à leur mission d’autorisation (ou de refus comme on les perçoit trop souvent à tort) de construction ou d’aménagement afin de légitimer positivement la mission du ministère de la Culture.
Il encourage aussi le mouvement de déconcentration vers les opérateurs du ministère à qui il suggère de confier la coordination des grandes manifestations (Journées du patrimoine, Nuit des musées…) voire de quelques grands programmes. Ainsi l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (Oppic) pourrait être chargé de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour la construction de musées, aujourd’hui assurée par le service des musées. De même, le patron du Centre des monuments nationaux (CMN) se verrait bien confier la mise en place d’un dispositif de soutien au patrimoine privé menacé.
Les mesures les plus radicales du rapport concernent les 28 services à compétence nationale (SCN), ces musées (Musée Magnin de Dijon…) et entités diverses (Laboratoire de recherche des monuments historiques…) à « mi-chemin entre les administrations centrales et les administrations déconcentrées » qu’il conviendrait d’éloigner définitivement de la Rue de Valois. Rejetant l’idée de créer 28 établissements publics, il recommande deux types de solutions : regrouper des SCN entre eux (par exemple le Musée d’archéologie nationale et le Musée national de préhistoire, ou les trois services d’archives) ou rattacher des « châteaux-musées » (Musée national et domaine du château de Pau) au CMN. Une recommandation semble-t-il actée par « Action 2022 » (lire le JdA, 16 novembre 2018), de même que celle de la reconfiguration de la RMN-Grand Palais qui ne doit avoir aucune autre ambition que de « bâtir au plus vite pour le Grand Palais un projet culturel ambitieux et soutenable ».
Les « potions » du docteur Bélaval ont commencé à faire effet, puisque depuis la remise du rapport, le directeur général du patrimoine et le président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais ont enfin été nommés. La nomination du directeur chargé des musées ne devrait plus tarder. Celle du directeur ou de la directrice des archives dépend, elle, de ce qui sera décidé concernant le regroupement des archives des trois ministères.
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Les prescriptions du docteur Bélaval
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Les prescriptions du docteur Bélaval