ABOU DHABI / ÉMIRATS ARABES UNIS
Le Louvre Abou Dhabi restant une opération singulière et exceptionnelle, la Cour des comptes fait un constat en demi-teinte des recettes que les musées tirent de la valorisation de leur patrimoine immatériel.
Paris. Depuis le rapport Lévy-Jouyet de 2006 sur le potentiel que constituerait pour la France en général, et la culture en particulier, l’économie de l’immatériel, cet eldorado supposé, est un topos de la politique muséale. Fasciné par « le milliard » du Louvre Abou Dhabi, chacun s’est mis à rêver de l’argent que l’on pourrait gagner en vendant marque et services. La réalité est moins brillante ; et même le potentiel économique est limité selon un récent rapport de la Cour des comptes (à la demande du Sénat). Ainsi le secteur des produits dérivés que l’on trouve dans les boutiques musées et qui peuvent prendre la forme de licence de marque (un mug avec le logo du Louvre) ou de « cobranding » (des vêtements signés MoMa et Uniqlo) est somme toute réduit. Le chiffre d’affaires (comprenant les livres !) des 30 librairies-musées de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP) est de 53 millions d’euros (chiffres de 2017). Toujours à la RMN-GP, le chiffre d’affaires des droits de reproduction de photos pour le compte des musées nationaux plafonne à 4 millions d’euros dans un contexte où de plus en plus de musées diffusent gratuitement les images de leurs œuvres. La vente de prestations de conseils et de formation à d’autres musées reste très faible (voir le tableau). Ici la tradition de coopération scientifique gratuite est encore très forte. Cette prestation est plus considérée comme une forme d’investissement pour vendre ce qui constitue l’activité la plus rémunératrice : la vente d’expositions clefs en main. Encore faut-il disposer d’une collection importante et de qualité. Le Musée Picasso a pu louer ses expositions 30 millions d’euros entre 2008 et 2013, parce qu’il s’appelle Picasso et qu’il était fermé pour travaux. Au fond, le Louvre Abou Dhabi reste une exception avec les « Centre Pompidou » provisoires, aujourd’hui à Malaga, et demain à Bruxelles et Shanghaï. Le Centre Pompidou voudrait « multiplier le chiffre d’affaires par trois à court terme (soit 6 M€ par an) », mais curieusement la Cour ne s’intéresse pas aux coûts liés à cette activité et donc à la marge nette.
Après un tel constat, les magistrats de la Rue Cambon ne peuvent que formuler des recommandations a minima. Pour commencer ils suggèrent de réaliser… une étude de marché ! Puis ils recommandent de s’assurer que les musées ont bien protégé leurs marques. Au passage ils demandent à ces mêmes musées de mettre en place une comptabilité analytique pour la vente des expositions, histoire de facturer au bon prix.
Enfin dans sa grande sagesse, la Cour ne veut surtout pas que l’on crée un nouvel opérateur national qui centraliserait la vente de ces services, ce qui briderait l’autonomie positive des musées. Elle soutient donc la mission de coordination de la vente d’expertise culturelle au sein du ministère dirigée par Agnès Saal (lire JdA n° 511 du 16 novembre 2018) et serait même prête à lui donner quelques – petits – moyens supplémentaires. Elle encourage aussi un classique du genre : un réseau numérique recensant l’offre d’expertise disponible et partageant les bonnes pratiques et les ressources méthodologiques.
En définitive, la valorisation de l’ingénierie culturelle repose moins sur les gains financiers que sur l’image positive de la France à l’étranger qu’elle suscite. Le « soft power » se mesure difficilement en termes économiques directs, mais a des effets induits autrement plus considérables.
Le Louvre trop laxiste avec les émiriens ?
Licence. Chassez le naturel, il revient au galop. La Cour des comptes n’a pu s’empêcher d’épingler (selon la formule devenue conventionnelle à force d’être employée) la manière dont le Louvre a piloté le contrat de licence de marque avec Abou Dhabi. Si les grandes lignes du contrat de licence avaient été fixées dans l’Accord intergouvernemental de 2007, les détails pratiques ont été définis dans un contrat d’exécution signé seulement en novembre dernier. La Cour reproche au Louvre de ne pas avoir été trop exigeant dans ce contrat sur le taux de redevance unilatéral de 8 % sur les produits dérivés qu’il aurait dû faire varier selon les produits. Elle lui reproche aussi de ne pas avoir été assez vigilant sur les contrats de sous-licence de marque, ceux que signent directement les Émiriens, et ainsi de perdre des recettes potentielles. Le partenariat entre le Louvre Abou Dhabi et la compagnie aérienne Etihad – que le Louvre a découvert dans la presse –, lui apporte sur un plateau la preuve des failles dans le contrat d’exécution. S’agit-il d’une publicité payée par le Louvre Abou Dhabi à Etihad comme l’affirment les Émiriens ou d’un partenariat sur lequel le Louvre devrait toucher des droits ? Le musée parisien invoque pour sa défense la volonté de « ne pas compromettre les relations avec les Émiriens ». Rappelons qu’en échange de l’utilisation du nom Louvre pendant trente ans, le musée a encaissé 400 millions d’euros.
Jean-Christophe Castelain
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Lendemain de fête pour l’économie immatérielle des musées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : Lendemain de fête pour l’économie immatérielle des musées