ABOU DHABI / ÉMIRATS ARABES UNIS
Le « Louvre des sables » n’a pas échappé aux retards habituels dans ce type de chantier titanesque. Retards auxquels se sont ajoutés les effets de la crise de 2007-2008 et des frictions entre les différentes parties.
Lorsque le 7 mars 2007 Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture, et son homologue des Émirats arabes unis (EAU) signent l’accord intergouvernemental relatif au « musée universel d’Abou Dhabi », savaient-ils que le projet aurait cinq ans de retard par rapport à la date annoncée à l’époque ? Sans doute pas, mais par précaution, aucune date d’ouverture ne figure dans le texte. Les négociations avaient pourtant été relativement rapides pour un projet ambitieux et inédit. Entre les premiers contacts et la signature de l’accord, moins de deux années s’étaient écoulées. Entre-temps, les Émirats avaient signé un accord équivalent avec la Fondation Solomon R. Guggenheim et son président Thomas Krens, pour un musée d’art contemporain devant, lui, ouvrir en 2011. L’ironie de la situation, c’est que Thomas Krens fut justement le premier à discuter avec les Émiratis de ce vaste projet de quartier culturel sur l’île de Saadiyat. Or, non seulement le « Guggenheim-Abou Dhabi » n’est toujours pas sorti de terre, mais Thomas Krens a été débarqué en 2010. Il faut dire que « l’inventeur » du Guggenheim Bilbao, qui voulait essaimer la marque dans le monde entier, a dû fermer l’antenne de Las Vegas, tandis que celles de Berlin et de Vilnius (Lituanie) n’ont jamais vu le jour.
La première raison du retard du projet est liée à la crise financière puis économique de 2007-2008. Si la crise a mis à mal les finances d’Abou Dhabi, elle a plus encore affecté son voisin Dubaï, qui s’était lancé dans une course effrénée à la construction immobilière. Or l’émirat de Dubaï, qui appartient à la fédération des Émirats arabes unis, n’a ni pétrole ni gaz. Abou Dhabi a dû en urgence apporter de l’argent frais pour sauver Dubaï de la faillite. Une situation qui, au fond, n’a pas déplu à Abou Dhabi, de plus en plus agacé par l’autonomisation croissante de Dubaï au sein de la fédération, porté par son spectaculaire développement économique et l’image de modernité renvoyée par là même en Occident. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont poussé Abou Dhabi à se lancer dans l’aventure de Saadiyat. Certes, deux Émiratis faisaient partie des terroristes du 11-Septembre et l’Émirat voulait améliorer son image en Occident, mais, selon le chercheur Alexandre Kazerouni (1), les motifs d’Abou Dhabi reposent davantage sur la volonté d’endiguer le soft power de Dubaï. Aussi, une fois Dubaï rentré dans le rang, l’île de Saadiyat est devenue moins prioritaire. À ce jour, sur les cinq musées prévus, deux ont disparu de la communication des Émiratis – le musée maritime dessiné par Tadao Ando et le centre des arts vivants conçu par Zaha Hadid – tandis que le Guggenheim et le musée national Cheikh-Zayed en sont encore au stade de la maquette.
Pourquoi le Louvre-Abou Dhabi n’a-t-il pas subi le même sort que ses « collègues » ? Les discussions étaient beaucoup plus engagées et l’Émirat se doit malgré tout d’envoyer des signaux positifs, tandis que les relations avec la France se jouent aussi sur d’autres niveaux, universitaires et surtout militaires avec la présence de bases françaises dans l’Émirat. Aussi en 2009 Nicolas Sarkozy participe-t-il à la pose de la première pierre du Louvre-Abou Dhabi… dans un hôtel. Une pierre toute symbolique puisque les travaux ne démarreront vraiment qu’en 2013, une fois le projet relancé. Car en 2010, les Émiratis s’agacent des retards pris par la France, ou plus exactement par le Louvre et l’Agence France-Muséums, dans la formation des équipes, la rédaction des projets scientifiques et culturels, l’assistance à la construction et même dans le conseil sur les acquisitions. La mésentente entre les équipes ne contribue pas à améliorer la situation. Y compris à l’intérieur du camp français. Bruno Maquart quitte la direction de France-Muséums en 2010. Nathalie Crinière, dont l’agence devait assurer la scénographie de la collection permanente, a été remerciée en 2011, au profit de l’architecte Jean Nouvel qui avait depuis le début milité pour piloter l’intérieur et l’extérieur.
En 2013, le départ à la retraite du président du Louvre Henri Loyrette et sa succession par Jean-Luc Martinez, ajoutés au turnover chez France-Muséums, s’accompagnent d’une vigoureuse reprise en main côté français. De sorte qu’en juin de la même année le ministre émirati de l’époque peut déclarer au Journal des Arts : « Il y a sûrement eu quelques malentendus. Mais ceux-ci sont dissipés maintenant. » Parmi ces malentendus résolus, figure la dénomination d’une galerie du Louvre. L’accord prévoit que le pavillon de Flore porte le nom d’une « personnalité éminente », en l’espèce Cheik Zayed, le père de la fédération mort en 2004. Or le pavillon n’est plus disponible depuis que le Centre de recherche et de restauration des musées de France ne déménage plus et reste en ses murs. C’est finalement le pavillon de l’Horloge qui portera son nom.
Compte tenu de l’ampleur et des difficultés du chantier, la date d’ouverture du Louvre-Abou Dhabi est plusieurs fois reportée, en 2015, 2016 puis 2017. Il est possible aussi que les dénonciations des conditions de travail des ouvriers sur le chantier aient poussé – on peut l’espérer – les autorités émiraties à faire plus attention à ce sujet. Des expositions de préfiguration sont organisées à Abou Dhabi puis en France en 2014. Jusqu’au 8 novembre 2017, date officielle de l’inauguration du musée.
Royalties. Les conditions financières de l’accord comportent 4 volets. L’utilisation de la marque « Louvre » pendant trente ans est rémunérée 400 millions d’euros, dont 150 ont été versés en 2007, 62,5 devraient l’être dans les tout prochains jours, et le solde en trois autres échéances. La location des œuvres rapporte 190 millions d’euros sur dix ans, tandis que l’organisation de 4 expositions par an pendant quinze ans est rémunérée 195 millions d’euros (œuvres comprises). Enfin, France-Muséums va facturer au total 164 millions d’euros sur vingt ans, en contrepartie de prestations de services. Le montant total s’élève ainsi à 949 millions d’euros, valeur 2006. Un montant indexé sur un indice des prix européens, qui, compte tenu de son évolution, devrait faire grimper l’addition à près de 1 milliard d’euros. À ce milliard, Abou Dhabi doit en ajouter un autre, pour la construction, estimée à 600 millions de dollars, et pour les acquisitions, 400 millions de dollars sur dix ans.
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2007-2017, une gestation difficile
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : 2007-2017, une gestation difficile