Sylvain Amic explique la mutualisation des musées de Rouen qu’il dirige et l’instauration de la gratuité d’accès.
Directeur du Musée des Beaux-Arts de Rouen, Sylvain Amic a officiellement pris la tête de la Réunion des musées métropolitains (RMM) le 1er janvier et éclaire les choix et objectifs de la nouvelle structure.
Pourquoi et selon quel exemple avez-vous créé une institution unique ?
C’est l’outil le plus évident pour avoir une politique cohérente, à l’échelle de l’agglomération, entre des acteurs complémentaires. Que l’on parle de politique des publics, de politique scientifique ou d’économies d’échelle, la RMM nous semble présenter de nombreux avantages, d’où une mutualisation progressive des services. L’exemple évident est la RMN (Réunion des musées nationaux), mais à une échelle plus comparable, la mutualisation réussie à Strasbourg peut aussi tenir lieu d’inspiration.
La première décision majeure de la RMM est le passage à la gratuité des collections permanentes. Comment compenser les 260 000 euros de billetterie abandonnés sur les neuf musées ?
Sur un budget global de 10 millions d’euros, presque exclusivement financé par la métropole, notons que le préjudice budgétaire est raisonnable. 65 % des visites (hors expositions temporaires, qui restent payantes) étaient déjà gratuites. Par ailleurs, le choix de la gratuité n’est pas un acte politique nouveau, il a déjà été expérimenté dans plusieurs endroits, ce qui nous a permis de rédiger un rapport étayé sur la question. Ensuite, la gratuité des collections était un des scénarios envisagés pour répondre aux objectifs de la RMM (plus de public, plus diversifié). Si nous l’avons choisi, c’est comme un moyen, et non une fin en soi. La gratuité n’est intéressante que si elle est accompagnée d’une politique des publics innovante. Le renoncement à certaines recettes doit être vécu comme un défi par la collectivité et non comme une charge. Pour être pertinent, le budget de la RMM doit être pérennisé et les actions encouragées pour plusieurs années. Sans le soutien total de la Métropole Rouen-Normandie, notre choix aurait été différent.
Comment éviter l’effet d’aubaine, qui consiste à voir un public habitué à ne plus payer, sans pour autant attirer un nouveau public qui ne connaît pas la gratuité ou ne souhaite pas en profiter ?
Nous réalisons déjà des études de public sur les expositions temporaires. Reste à systématiser le travail dans tous les lieux et pour tous les événements. Nous avons créé un observatoire permanent des publics, avec pour mission de faire remonter des enquêtes qualitatives et quantitatives. La restructuration des services fait fusionner les équipes de billetterie et d’accompagnement des publics. Enfin, un partenariat avec l’université de Rouen nous permettra d’analyser (et de publier) la fréquentation des grands rendez-vous artistiques de la métropole.
Avez-vous augmenté vos objectifs de fréquentation ?
Oui, et à plusieurs égards. La RMM a attiré 350 000 visiteurs en 2014, dont la moitié environ au Musée des beaux-arts. En réorganisant nos espaces d’accueil, nous devons accueillir encore davantage de scolaires dans tous les musées, ainsi que tous les publics dits éloignés. Ensuite, selon les saisons, la proportion de Rouennais varie entre 60 % et 80 %. Nous avons donc une marge de progression encore importante avec le public non local, notamment francilien. La mutualisation de la communication devrait nous faire gagner en puissance et en pertinence. Enfin, la création d’un quartier des musées mieux identifié nous aidera à convaincre les touristes de passer deux nuits au lieu d’une à Rouen, sur le chemin qui mène de Paris à la côte Normande. Toutes proportions gardées, on pense au Museum Mile de New York, à l’île des musées Berlin, à Vienne, où l’offre est concentrée, et l’économie locale redynamisée : lieux de vie, hôtellerie, antiquaires…
Horaires, coûts, rentabilité : quels sont les points communs entre un musée des beaux-arts qui expose Poussin, Caravage et Velasquez, et le Musée Pierre Corneille, qui plafonne à cent visiteurs sur le mois de janvier ?
Je n’ai pas de tabou : il faut pouvoir ouvrir autrement, moins mais mieux, avec davantage d’animations. La fermeture partielle peut permettre de faire le récolement ou de dédier temporairement plus de personnel sur un musée qui en a besoin. Il faut aussi inciter le public à s’adapter aux horaires en fonction des flux réels : avec l’exposition « Éblouissants reflets », nous montions à 1 300 visiteurs par jour, un score exceptionnel, tandis que nos nocturnes étaient des échecs, avec à peine 200 personnes. Vient enfin la question de la fidélisation, sur laquelle les musées restent en retard, alors même qu’ils ont intériorisé le marketing depuis longtemps. Comme au supermarché, le visiteur fréquent doit être récompensé.
Budget total : 10 millions d’euros
Nombre de salariés : 150
Nombre de visiteurs : 350 000 en 2014
Composée de 9 musées de France : le Musée des beaux-arts ; le Muséum d’histoire naturelle ; le Musée de la céramique ; le Musée Le Secq des Tournelles ; le Musée des antiquités et la Tour Jeanne d’Arc ; la Fabrique des savoirs à Elbeuf-sur-Seine ; le Musée Pierre Corneille à Petit-Couronne ; le Musée industriel de la Corderie Vallois à Notre-Dame-de-Bondeville.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Sylvain Amic : « La gratuité n’est pas une fin en soi »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Sylvain Amic. © Photo : B. Cabot.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Sylvain Amic : « La gratuité n’est pas une fin en soi »