2022 célèbre le bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur, artiste réputée de son vivant, quelque peu oubliée de l’histoire de l’art, mais dont la cote remonte.
Rosa Bonheur (1822-1899) était l’une des artistes les plus riches et les plus célébrées de son temps. Mais avec l’arrivée des avant-gardes au XXe siècle, son œuvre est tombé dans l’oubli. Pour autant, il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, allant de pair avec le retour en grâce de la peinture réaliste. « Sans doute dû aussi au focus sur les femmes peintres actuellement et en raison de sa personnalité, de son indépendance d’esprit et de sa liberté assumée », remarque Pascale Pavageau, consultante en tableaux du XIXe siècle pour Sotheby’s. À l’occasion des deux cents ans de sa naissance, deux rétrospectives la mettront à l’honneur : dans sa ville natale, au Musée des beaux-arts de Bordeaux puis au Musée d’Orsay.
Née le 16 mars 1822, Rosa Bonheur vécut ses premières années à la campagne avant de rejoindre Paris. À la mort de sa mère – elle n’a que 11 ans –, son père, le peintre Raymond Bonheur, l’accueille dans son atelier et la forme. À 19 ans, elle expose pour la première fois au Salon de 1841 et obtient la médaille d’or en 1848 pour Bœufs et Taureaux, race du Cantal. Cette récompense lui vaut une commande de l’État : ce sera le Labourage nivernais, aujourd’hui exposé au Musée d’Orsay. Mais c’est surtout avec Le Marché aux chevaux, immense toile présentée au Salon de 1853, que l’artiste accède à une renommée internationale. L’œuvre, acquise par la suite par un Américain pour 268 500 francs-or – prix conséquent à l’époque – est ensuite offerte au Metropolitan de New York. Grâce au fruit de son travail, elle acquiert, en 1860, le château de Thomery (Seine-et-Marne) dans lequel elle fait bâtir un grand atelier. Non conformiste, dans une société très corsetée, Rosa Bonheur ne s’est jamais mariée – vivant avec son amie d’enfance Nathalie Micas puis Anna Klumpke. Elle s’est liée d’amitié avec Buffalo Bill et a reçu la légion d’honneur de la main de l’impératrice Eugénie. Un an après sa mort, Anna Klumpke devenue sa légataire universelle vend à la galerie Georges Petit plus de 5 000 dessins préparatoires, études, carnets… « Elle en rachètera la moitié dont une grande partie est à Thomery. Nous y avons d’ailleurs le plus grand fonds sur l’artiste, soit une quarantaine d’huiles sur toile et plusieurs centaines d’œuvres sur papier, carton… retrouvées dans les greniers », explique Katherine Brault, qui a acquis la propriété en 2017 et qui, depuis, consacre tout son temps à promouvoir l’artiste.
Son œuvre, abondant, centré sur la figure animale dont elle ne cessa de défendre la cause, s’est nourri de ses voyages mais aussi de l’incroyable ménagerie qu’elle s’est constituée dans sa propriété (dont un lion !). Avec une approche naturaliste, elle s’attache à restituer avec exactitude l’anatomie des animaux – n’hésitant pas à se rendre dans les abattoirs et sur les marchés aux bestiaux –, mais aussi à retranscrire la psychologie de l’animal. « Elle voulait démontrer que les animaux ont une âme », souligne Éliane Foulquié, fondatrice de l’association Les Amis de Rosa Bonheur. Elle peignait à la fois d’immenses compositions panoramiques peuplées de troupeaux, mais aussi des portraits d’animaux en pied ainsi que de petits formats. Ses sujets les plus recherchés sont les bisons d’Amérique, les lions, les cerfs et les bœufs, thèmes puissants et virils par excellence – elle qui souhaitait tant voir s’abolir les frontières entre hommes et femmes, au moins dans l’art.
Grâce au marchand Ernest Gambard, installé à Londres, qui assure la diffusion internationale de son œuvre, et aux reproductions, dès 1853, par la Maison Goupil, Rosa Bonheur est très populaire aux États-Unis de son vivant, d’autant plus du fait de son amitié avec Buffalo Bill et de sa prise de position en faveur des Indiens.
« Son marché est à 90 % américain. D’ailleurs, beaucoup de ses grands tableaux sont partis là-bas de son vivant et lors de sa vente après décès », souligne Thomas Morin-Williams, expert en tableaux du XIXe siècle. Pour preuve, sur ses dix plus hauts prix aux enchères, huit ont été obtenus aux États-Unis, Émigrations de bisons (1897, voir ill.), en tête (adjugé 681 320 € en 2019), suivi du Roi de la forêt, en 1878 (535 100 €, chez Christie’s New York en 2017).
Les trois tableaux les plus chèrement vendus l’ont été entre 2017 et 2019 (entre 350 000 et 700 000 €), « des records qui se sont succédé sur une période très courte, signe d’un marché dynamique », constate Thomas Morin-Williams, qui ajoute : « Sur les cinq dernières années, la moyenne des prix, pour 90 % des huiles de l’artiste, se situe entre 2 000 et 10 000 euros. Les dessins, moins rares sur le marché, se trouvent à quelques centaines d’euros. »
La plupart de ses tableaux importants étant dans des musées ou aux États-Unis, Rosa Bonheur est donc rare sur le marché français. « Nous essayons de racheter des œuvres quand elles se présentent, mais depuis que nous avons acquis le château, que nous le faisons visiter et que nous promouvons son œuvre, les prix de Rosa ont été multipliés au moins par cinq, alors c’est difficile. La dernière petite esquisse pour laquelle nous nous sommes battus est partie à 11 000 euros », rapporte Katherine Brault. « Je pense que les prix vont flamber davantage sur les dessins que sur les gros tableaux. Pour moi, c’est une très grande dessinatrice, au trait fougueux et d’une rare sensibilité. »
Si sa cote n’est pas exorbitante par rapport à sa notoriété, « on peut supposer que les collectionneurs attendent que la valeur de ses œuvres augmente. Ce bicentenaire peut être un moyen de mieux faire connaître cette artiste qui le mérite tellement », espère Julie Alves, directrice du département « L’Esprit du XIXe siècle » chez Osenat. La maison de ventes organise d’ailleurs, le 20 mars, une vacation consacrée au XIXe siècle, dont une partie est dévolue aux peintres animaliers. Parmi les œuvres figurent notamment deux tableaux de Rosa Bonheur, Cheval à la robe bai brun (estimation de 3 000 à 5 000 €) et Cheval à la robe bai dans un paysage (estimation de 6 000 à 8 000 €).
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Le marché redécouvre Rosa Bonheur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Le marché redécouvre Rosa Bonheur