Art ancien

XIXE SIÈCLE

Le retour en grâce de Rosa Bonheur

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 13 juillet 2022 - 515 mots

BORDEAUX

La peintre a hissé l’art animalier au niveau de la peinture d’histoire. À Bordeaux, sa ville natale, elle est montrée dans sa complexité et ses choix très modernes.

Bordeaux. Célébrissime dans la France du XIXe siècle, la peintre Marie Rosalie dite « Rosa » Bonheur (1822-1899) y a ensuite été oubliée avant de revenir aujourd’hui, portée par les études de genre et animales anglo-saxonnes. Si elle a toujours été admirée en Grande-Bretagne et aux États-Unis, elle n’intéressait plus dans l’Hexagone que de rares historiens de l’art, tel Bruno Foucart qui préfaçait le catalogue de l’exposition de Bordeaux en 1997. À l’époque, son portrait d’un chien maltraité, Barbaro après la chasse (vers 1858), était généralement taxé de mièvrerie. Aujourd’hui, l’œuvre est exposée dans la rétrospective célébrant le bicentenaire de sa naissance : environ 200 œuvres réunies par les musées de Bordeaux et d’Orsay (qui accueillera ensuite l’exposition) sous le commissariat de Sandra Buratti-Hasan, Leïla Jarbouai et Sophie Barthélémy.

L’artiste, qui a choisi de peindre les animaux non par opportunité mais en raison d’un engagement personnel, a commencé par étudier leur anatomie dans les salles de dissection et dans les abattoirs. En voyage, Rosa Bonheur dessinait inlassablement les moutons, bœufs ou chevaux et leur environnement paysager. Elle s’entourait d’animaux européens et on lui a donné des singes, des lions et un perroquet qui subsistent, naturalisés, dans son château de By (Seine-et-Marne).

Des portraits d’animaux

Nuls mièvrerie ou sentimentalisme chez elle, même lorsqu’elle peignait ses chiens ou ses chevaux. Son but était de rendre leurs émotions et leur intelligence. Cependant, son amour pour ses compagnons animaux ne l’aveuglait pas : elle a tué d’une balle son cerf devenu fou. Mais elle a mis en scène sa dépouille pour une dernière photographie, un cyanotype retrouvé à By qu’elle a ensuite travaillé au crayon et à la gouache. Elle pouvait faire des portraits de personnalités – Buffalo Bill par exemple (Colonel William F. Cody, 1889). Cependant, ceux des animaux, souvent dans les dimensions habituellement réservées à la peinture d’histoire, nous touchent davantage : Tête de lion (1870-1891) provenant de la collection royale britannique ; le cerf figuré dans Le Roi de la forêt (1878), montré pour la première fois en France ; sa dernière œuvre, inachevée, Chevaux en liberté (vers 1890-1899) ; L’Aigle blessé (vers 1870), qui pourrait être une allégorie de la défaite de la France. L’exposition présente tous ses talents : des sculptures, des pastels et des aquarelles (Changement de pâturages, dit aussi Une barque (Écosse), 1863), un ensemble de caricatures et de nombreux dessins dont le monumental Vaches et bœufs traversant un lac à Ballachulish (1867-1873) ou le poétique fusain Les Charbonniers (1880-1890).

Eugène Disdéri, Portrait de Rosa Bonheur, vers 1862, albumine sur carton, 8 x 5 cm, Getty Center. © Public domain
Portrait de Rosa Bonheur, vers 1862, albumine sur carton, 8 x 5 cm, Getty Center.

Rosa Bonheur, qui n’ignorait rien des mouvements picturaux de son temps, y compris des préraphaélites qu’elle a sans doute étudiés de près, ne se laissait affilier à aucun d’eux. Elle a enseigné le dessin à des jeunes filles et a laissé à sa dernière compagne, Anna Klumpke, des conseils techniques commentés dans le catalogue où est aussi analysé son rapport à la photographie. Très documenté, l’ouvrage amorce de nombreuses pistes de recherche pour l’histoire de l’art.

Rosa Bonheur,
jusqu’au 18 septembre, Galerie du musée et aile nord du Musée des beaux-arts de Bordeaux, place du Colonel-Raynal, 33000 Bordeaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Le retour en grâce de Rosa Bonheur

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