La campagne pour l’élection présidentielle de 2017 restera marquée dans les annales, notamment par une absence de confrontation sur le fond. La culture, déjà peu présente d’habitude dans les débats, l’est aujourd’hui moins que jamais. Pourtant les candidats ont dans l’ensemble travaillé ces questions dans leur programme. Revue de détail et comparatif.
« La culture est au cœur de mon projet », affirme François Fillon (LR) ; « le premier chantier sera celui de l’éducation et de la culture ! », clame Emmanuel Macron (En marche !). Presque tous les candidats placent la culture en tête de leurs priorités. Mais cette profession de foi ne résiste pas aux autres priorités, comme en témoigne le premier débat organisé par TF1 le 20 mars dernier où la culture n’a pas été évoquée une seule fois en trois heures. Il est vrai que, avec les primaires tardives et les ennuis judiciaires des candidats LR et Front national, la campagne n’a commencé à prendre forme qu’à cette date, réduisant plus encore que lors des précédentes le débat sur la culture. Les candidats eux-mêmes ont publié leurs programmes très tard . En 2012, le candidat François Hollande avait prononcé son grand discours sur la culture à Nantes un 19 janvier, suivi six jours plus tard des vœux de Nicolas Sarkozy au monde de la culture. Une éternité à l’aune d’aujourd’hui.
Un miroir du programme global
Chaque programme, en particulier celui sur les arts auquel on s’intéresse dans ce dossier, reflète le projet sociétal et la démarche spécifique des candidats. Celui de Marine Le Pen (FN), le moins abouti, marque un certain tropisme pour le patrimoine historique et culturel dont elle veut inscrire « la défense et la promotion dans la constitution ». Le projet de François Fillon, le plus étoffé, notamment s’agissant du patrimoine, ne masque pas le libéralisme affirmé du candidat. Emmanuel Macron se caractérise par son pragmatisme quand Benoît Hamon (PS) est le plus original tout en restant assez général. Enfin le programme de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) est d’une lecture malaisée. Son texte officiel est limité alors que les documents d’accompagnement de chaque thématique, intitulés « Livrets de la France insoumise », au statut ambigu – relèvent-ils de l’engagement ? – formulent des propositions radicales.
Ce qui les rassemble
Si tous les candidats soulignent à l’envi l’importance de la culture dans la cohésion de la société et l’épanouissement individuel, leur définition de la culture diffère selon la place qu’ils occupent sur l’échiquier politique. Marine Le Pen veut défendre « les valeurs et les traditions de la civilisation française », tandis qu’Emmanuel Macron pointe, dans une déclaration qui a fait polémique à droite, la diversité de la culture en France. Dans ce contexte, les déséquilibres sociologiques et géographiques d’accès à la culture sont souvent relevés par les candidats. François Fillon a même repris le terme de « fracture » qui avait réussi en son temps à Jacques Chirac, s’agissant du social, pour l’appliquer cette fois à la culture. Dès lors l’École s’impose à (presque) tous comme la première marche d’accès à la culture. Une promesse d’autant plus facile à tenir qu’elle se résume à un « plan » sans en donner le détail (Hamon) ou à une déclaration d’intention (Mélenchon). Et lorsqu’un candidat avance une mesure concrète, en l’espèce François Fillon (« renforcer l’enseignement de l’histoire de l’art »), celle-ci n’a rien de révolutionnaire. Quand un autre se risque à un engagement chiffré – Emmanuel Macron (« 100 % des enfants auront accès à l’Éducation artistique et culturelle [EAC] »), celui-ci n’en dit pas plus sur le contenu des actions.
Enfin les intermittents du spectacle seront ravis d’apprendre que les cinq grands postulants à l’Élysée sont favorables au maintien de leur régime… avec des aménagements. Marine Le Pen veut « le remettre en ordre » en créant une carte professionnelle. François Fillon le réserve « aux artistes et techniciens qui collaborent à des œuvres de création originale dont la fabrication ou l’exécution est limitée dans le temps » (comprenne qui peut). Emmanuel Macron souhaite « l’adapter », sans plus. En revanche Benoît Hamon veut préserver l’accord actuel et mettre en œuvre un statut de l’artiste pour ceux qui n’y ont pas droit, tandis que Jean-Luc Mélenchon l’étend « aux professions artistiques précaires ».
L’argent
Le clivage est beaucoup plus marqué sur le terrain des dépenses et recettes. Si Marine Le Pen et François Fillon ne prennent aucun engagement concernant le budget public et qu’Emmanuel Macron « maintient l’effort financier » de l’État tout en l’assortissant « d’une exigence d’efficacité », Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon proposent tous deux non pas le fameux « 1 % » du budget public, mais 1 % du produit intérieur brut (PIB), soit 21,8 milliards d’euros pour 2015 (20 milliards selon les calculs de La France insoumise). Un chiffre moins stupéfiant qu’il n’y paraît puisqu’il additionne les dépenses de l’État en matière culturelle (14 milliards selon un décompte de la Rue de Valois) à celles des collectivités locales, estimées à 7,6 milliards en 2010 (sans doute plus aujourd’hui), soit un total minimum de 21,6 milliards d’euros. Pour Jean-Luc Mélenchon (Dans ses « livrets »), « la France doit sortir de la logique économique et financière qui s’est imposée dans la culture ». Il veut supprimer la loi Aillagon, interdire le « sponsoring » privé dans les événements culturels, assujettir les œuvres d’art à l’ISF, ou encore supprimer le droit d’auteur après le décès.
Les propositions les plus originales
Comme il faut quelques mesures fortes et simples à caractère symbolique pour capter l’attention des électeurs, chacun a fait preuve d’imagination. Marine Le Pen « veut mettre un coup d’arrêt à la vente à l’étranger et au privé de palais et bâtiments nationaux ». François Fillon propose de créer un « musée des chefs-d’œuvre de l’Europe » à Strasbourg. Il souhaite aussi élargir les heures d’ouverture de tous les établissements culturels, alors qu’Emmanuel Macron s’en tient à la seule ouverture des bibliothèques. Mais là où ce dernier reporte sur le budget de l’État le financement des effectifs supplémentaires requis à cet effet par les bibliothèques municipales, François Fillon envisage de confier ces heures supplémentaires à des bénévoles ou des jeunes en service civique.
Plus généreux à l’égard des jeunes, Emmanuel Macron promet un Pass culture d’une valeur de 500 euros (sans préciser la limite d’âge). Dans la démarche collaborative qui la sienne, Benoît Hamon envisage une journée annuelle « Rue libre pour la culture » « lors de laquelle les institutions et acteurs culturels construiront avec les habitants des programmations [sic] hors les murs » ainsi qu’un « palais de la langue française ». Jean-Luc Mélenchon propose, lui, un service public Internet.
Il y a en définitive des pistes intéressantes chez chaque candidat, des « pépinières d’artistes » chez Le Pen et Fillon, un Erasmus pour les commissaires d’exposition et conservateurs chez Macron ou les « Fabriques de culture » – sorte de MJC – chez Hamon. Le nouveau président pourrait s’en inspirer.
Parmi les six autres candidats, trois n’ont aucun programme pour la culture (Nathalie Arthaud, François Asselineau et Jean Lassalle). Philippe Poutou formule quelques propositions très générales (« garantie d’accès à la culture ») et se préoccupe surtout de la concentration dans les médias. Jacques Cheminade présente en revanche un programme développé et généreux puisqu’il veut porter le budget de la Culture à 2 % du PIB (43,2 milliards d’euros selon nos calculs). Il souhaite créer un « musée vivant de l’imaginaire à moins de 45 minutes de trajet » ou « mettre à la disposition de chaque département un télescope d’au moins 80 centimètres de diamètre ». Nicolas Dupont-Aignan, plus raisonnable que son concurrent en octroyant 1 % du budget de la nation à la Culture, présente 36 propositions, avec un intérêt appuyé pour le patrimoine. Sa mesure phare : la gratuité des musées le dimanche pour les Français et les résidents en France.
MARINE LE PEN | FRANÇOIS FILLON | EMMANUEL MACRON | BENOÎT HAMON | JEAN-LUC MÉLENCHON | |
ÉDUCATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE (EAC) | Conforter la place de l’éducation aux arts et à la culture dans les programmes d’enseignement, en articulant mieux enseignement culturel et histoire générale, et en renforçant la place de l’histoire de l’art dans l’enseignement de l’histoire générale. | 100 % des enfants auront accès aux actions de l’Éducation artistique et culturelle. | Un plan pour les arts à l’école | Renouveau de l’éducation artistique à l’école et dans les conservatoires | |
DÉMOCRATISATION CULTURELLE | Élargir les heures d’ouverture des établissements culturels [… ], en développant le bénévolat [et le recours] au service civique culturel. | Ouvrir les bibliothèques le soir et le dimanche. Un passe culture de 500 euros pour tous les jeunes âgés de 18 ans. | Des fabriques de culture Une journée annuelle « Rue libre pour la culture » | ||
CRÉATION | Un plan national de création de filières (dans les lycées, les universités) des métiers d’art. Implanter un réseau de pépinières d’artistes sur tout le territoire. | Accompagner l’ouverture de pépinières d’artistes et de créateurs d’entreprises culturelles sur le territoire avec les collectivités locales. Une plus grande transparence dans les acquisitions des Frac (Fonds régionaux d’art contemporain) | Revoir la formation initiale des artistes par l’interdisciplinarité, les troncs communs entre écoles d’art, la mobilité internationale. Lancer un Erasmus des professionnels de la culture pour favoriser la circulation des artistes, des commissaires d’exposition et des conservateurs. | Un statut de l’artiste | Étendre le régime des intermittents aux professions artistiques précaires. |
PATRIMOINE | Une loi de programmation du patrimoine pour permettre un meilleur soutien à l’entretien et à la préservation du patrimoine. Augmenter le budget alloué de 25 %. Mettre un coup d’arrêt à la politique de vente à l’étranger et au secteur privé de palais et bâtiments nationaux. | Un plan « patrimoine pour tous » qui consacre […] 400 millions d’euros par an, en moyenne, à la restauration des monuments et objets d’art. Créer un « Musée des chefs-d’œuvre de l’Europe » à Strasbourg. Un « plan musée » au profit des territoires pour mieux valoriser les collections en accompagnant les musées afin de les faire entrer dans l’ère numérique. | Rénover et mieux valoriser le patrimoine grâce à une dotation dont l’utilisation sera conditionnée à des projets éducatifs, artistiques ou touristiques. | Un plan de mise en ligne des collections patrimoniales publiques | |
RAYONNEMENT INTERNATIONAL | Regrouper les forces à l’international. | Un palais de la langue française | |||
BUDGET | Budget : pas d’engagement | Budget : pas d’engagement | Maintenir l’effort financier de l’État […] en contrepartie d’une exigence d’efficacité | Budget : 1 % du PIB | Budget : 1 % du PIB |
FINANCEMENT | Développer le mécénat populaire par la création d’une plate-forme numérique dédiée | Renforcer les moyens de la Fondation du patrimoine par le reversement de la moitié des recettes de la publicité sur les bâches des monuments historiques. | Investir dans les industries créatives et culturelles françaises en créant un fonds d’investissement dédié de 200 millions d’euros. | Une cotisation universelle sur les abonnements Internet, finançant la création |
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Essai comparatif, le programme culturel des candidats
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Abonnez-vous dès 1 €François Fillon © Photo Marie-Lan Nguyen - 2010 - Licence CC BY 3.0
Benoît Hamon © Photo auteur - ANNEE - Licence CC BY 3.0
Emmanuel Macron © Photo LEWEB - 2014 - Licence CC BY 2.0
Jean-Luc Melenchon © Photo Pierre-Selim - 2013 - Licence CC BY 3.0
Marine Le Pen © Photo Foto-AG Gymnasium Melle - 2014 - Licence CC BY-SA 3.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : Essai comparatif, le programme culturel des candidats