Festivals et lieux patrimoniaux, surtout en région, exposent de plus en plus des photographies de presse – mais pas uniquement – couvrant l’actualité. En réponse à un public désireux de comprendre un monde complexe et violent.
Depuis le 7 novembre dernier, aux Archives nationales, « 50 ans dans l’œil de Libération » raconte en photographies cinq décennies d’histoire contemporaine. Sous les arcades de la cour d’honneur de l’hôtel de Soubise, la reproduction en format géant des unes du quotidien avec des photographies de Jean-Paul Sartre, Coluche, Barbara ou de la mobilisation en Iran pour les droits des femmes fait sensation par leur puissance narrative et par leur titraille. Les mosaïques des unes de Libé, assemblées par décennie, et les reportages photo commentés par leurs auteurs le sont tout autant. L’occupation de l’usine Lip, la bataille au Larzac contre le projet d’extension du camp militaire, la chute du Shah en Iran, les guerres civiles en Irlande du Nord et au Liban, la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, etc. : les grands combats ou les grands moments de ces années se remémorent, ou se découvrent selon la génération à laquelle on appartient.
« Le premier acte de cette exposition avant même qu’elle n’existe, était de prouver que ces photographies considérées comme jetables, sont au contraire des photographies qui tiennent au mur par leur regard posé sur le monde. Car la démarche de “Libé” est de faire appel depuis le début à une photographie d’auteur qui casse les codes », explique Lionel Charrier, directeur photo du quotidien depuis 2015. Certaines sont passées à la postérité comme celles de Raymond Depardon de la chute du mur de Berlin ou les portraits de Jean-Luc Godard ou de Keith Richard par Richard Dumas.
Au Musée de Grenoble, c’est une histoire du monde de 1945 à nos jours qui se raconte quand Antoine de Galbert décide de doter l’établissement d’une collection de photographies. Menée avec Guy Tosatto, directeur du musée jusqu’en décembre dernier, la sélection s’est faite sans discrimination de genre opposant photographie documentaire et photojournalisme, « sans recherche du tirage rare ou du nom célèbre, guidée seulement par la dimension à la fois historique et sociale de l’image, tout en illustrant le rôle déterminant que joue la photographie dans l’élaboration de nos perceptions et des mythologiques contemporaines », précise l’ancien directeur.
À partir du 19 mars, c’est la grande commande photographique « Radioscopie de la France », portée par la Bibliothèque nationale de France et lancée en 2021 par le ministère de la Culture « pour soutenir les photojournalistes et le secteur de la presse », qui présentera à travers près de 500 tirages, la vision des 20 photographes retenus pour « dessiner les contours d’une France post-crise sanitaire » tandis que d’autres structures en région (festivals, centres d’art ou musées) se focaliseront sur un certain nombre d’entre eux.
Ce premier semestre 2024 offre un bel aperçu des différentes déclinaisons de la photographie d’actualité. Elle ne se réduit pas à la photographie de presse, produite dans une temporalité et un contexte précis avec des contraintes de production et de diffusion spécifiques. Les travaux photographiques au long cours, en prise avec le réel et les enjeux de société qu’ils soient d’ordre social, économique ou environnemental, se sont développés en dehors de la presse. Au fil des décennies, les rangs des photographes désireux de témoigner de leur temps se sont étoffés, soutenus parfois dans leur entreprise par des résidences, des bourses, des prix ou encore par certains titres de presse.
« La photographie d’actualité est une photographie circulante, qui porte une idée, une sensibilité, un regard sur le monde et les individus, et cristallise un moment de l’histoire, pour devenir parfois icône et traverser le temps », souligne Marie-Ève Bouillon, historienne et archiviste, chargée de mission photographie aux Archives nationales et commissaire associée de l’exposition « 50 ans l’œil de Libération». « L’élévation au rang d’icône est aussi rare qu’inattendue », indique l’historienne de la photographie Françoise Denoyelle. « Elle ressurgit parfois bien des années plus tard comme document historique, sociologique… ou pour s’offrir sur les cimaises des musées ou des galeries. Elle s’inscrit alors dans l’Histoire, s’agrège au patrimoine national et international. Son aura symbolique et universelle traverse le temps. » Nombre de photographies d’Henri Cartier-Bresson passées à la postérité l’ont été dans le cadre de commandes de presse, comme le rappelait en 2021 l’exposition « Henri Cartier-Bresson, Revoir Paris », au musée Carnavalet, ou « L’autre couronnement » plus récemment à la Fondation Henri Cartier-Bresson.
L’intérêt porté à la photographie d’actualité évolue depuis quelque temps, et également, le regard porté sur elle. En témoignent les expositions en cours au Musée des archives nationales ou au Musée de Grenoble, mais aussi la programmation des festivals photo, grands porte-voix de ce genre photographique. Certains avec des distinctions fortes dans leur choix de photographes comme Visa pour l’image, festival international pour le photojournalisme, et les Rencontres d’Arles où les photojournalistes demeurent cependant à la marge. Les autres festivals qui ont fleuri depuis, ont élargi sa visibilité. L’été photographique de Lectoure, le prix Bayeux des correspondants de guerre en Normandie, Photaumnales en Picardie, le festival Photo La Gacilly en Bretagne ou le festival du Regard à Cergy, L’Œil urbain à Corbeil-Essonnes, le festival MAP à Toulouse, ou les Promenades photographiques à Blois : de l’un à l’autre, les lignes éditoriales varient, portées par le désir de leurs fondateurs de donner à lire autrement le monde, proche ou lointain, que celui vu ou entendu dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Expositions, rencontres et actions pour les scolaires en matière d’éducation à l’image forment la grille de programmation de ces manifestations qui, bien que soumises à des budgets de plus en plus restreints, connaissent un succès grandissant auprès du public, y compris pour les sujets les plus éprouvants. Le prix Bayeux des correspondants de guerre enregistre ainsi d’année en année une fréquentation en hausse : près de 50 000 visites l’an dernier, entre le 9 octobre et 12 novembre pour les 30 ans du festival normand. « Ces dernières années, c’est surtout la fréquentation des expositions qui augmente », signale Aurélie Viel, responsable de la programmation. Reporters sans Frontières (RSF) connaît également « un véritable engouement autour des récents albums de la collection “100 Photos pour la liberté de la presse”, consacrée à des photographes qui couvrent les fracas du monde comme Patrick Chauvel, Abbas, Véronique de Viguerie ou Don McCullin », relève Perrine Daubas, rédactrice en chef de cette collection dont le produit de la vente représente 30 % du budget global de RSF.
« La photographie d’actualité prend part à la compréhension du monde », rappelle Lydie Marchi, directrice du Centre d’art et de photographie de Lectoure. Face au flot d’informations anxiogènes, public et lecteur cherchent autant à décrypter les conflits, les faits de société, les catastrophes environnementales qu’à élargir leur regard à d’autres sujets qu’ils ignorent. « 95 % de nos expositions sont empreintes des problématiques et des enjeux de société. Elles sont faites pour établir un dialogue avec le public car nous sommes dans des territoires où il s’agit d’aller à sa rencontre », précise Erika Negrel, secrétaire générale du Réseau Diagonal qui réunit 29 institutions photo en région dont le centre d’art et de photographie de Lectoure.
La guerre en Ukraine a mobilisé les membres du Réseau Diagonal qui, de mai 2022 à la fin 2023, ont proposé, en partenariat avec le festival Odessa Photo Days, un cycle d’expositions et de rencontres consacrées à la scène photographique ukrainienne. Des collectifs de photographes comme Myop ou Tendance Floue y trouvent par ailleurs une vitrine pour leurs travaux que ce soit de manière collective à travers des thématiques ou individuelle comme le travail de Stéphane Lagoutte sur le Liban, actuellement présenté au Musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône, puis à Simultania à Strasbourg, en février. D’autres structures en région réservent aussi régulièrement une belle place à la photo d’actualité dans leur programmation, qu’elle émane de travaux récents, en cours ou patrimoniaux tel l’an dernier, au Château d’eau à Toulouse, le retour de Raymond Depardon et David Burnett sur les années 1971-1973 au Chili, ou les photographies méconnues de la guerre d’Espagne d’Antoni Campañà montrées au Pavillon Populaire, à Montpellier.
En ce domaine, les institutions nationales parisiennes sont les grandes absentes si, dans la photographie d’actualité, on intègre la photographie produite et/ou diffusée par la presse. Aucun auteur de ce genre photographique n’a encore eu de rétrospective de son vivant, à la différence du grand reporter Don McCullin auquel la Tate Britain a consacré une rétrospective en 2019. Seul Henri Cartier-Bresson, dix ans après sa mort a bénéficié en 2015 d’une relecture de son œuvre. Depuis l’exposition de Depardon au Grand Palais en 2013-2014 ou celle consacrée à Susan Meiselas au Jeu de paume en 2018, de telles rétrospectives se comptent à peine sur les doigts de la main. Pourtant le succès des expositions de Steve McCurry (200 000 visiteurs) ou d’Elliott Erwitt (180 000 visiteurs) au Musée Maillol montre l’appétence du public.
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La photographie d’actualité s’expose de plus en plus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : La photographie d’actualité s’expose de plus en plus