Les tendances des Rencontres d’Arles 2023

Arles. Le 10 juillet dernier, les Rencontres de la photographie d’Arles déclaraient une fréquentation record de 19 500 personnes, lors de la semaine d’ouverture, un chiffre supérieur à celui de 2019, année du cinquantenaire. Du 3 au 8 juillet, la 54e édition a en effet fait son plein de visiteurs, en particulier internationaux (40 %) avec, outre la programmation du festival, des expositions, conférences et tables rondes en tout genre, plus nombreuses que jamais. Passée cette période, les 31 expositions spécifiques aux Rencontres se poursuivent pour la plupart jusqu’au 24 septembre. Au plus fort de la manifestation, on en dénombrait 45 en incluant celles de Luma, de l’association du Méjan, de la fondation Manuel Rivera-Ortiz ou de musées comme le Musée Réattu, toutes regroupées par les organisateurs du festival sous l’appellation « Arles Associés ».

En dehors des têtes d’affiche qu’ont été cette année Diane Arbus, Saul Leiter, Agnès Varda et Gregory Credwson, quatre grandes tendances, déjà amorcées depuis cinq ou six ans, se confirment dans le contenu de la programmation. La première consolide la montée en puissance des monographies consacrées à des femmes photographes (17 expositions), dont la rétrospective Diane Arbus chez Luma et, à l’École nationale supérieure de la photographie, la mise en lumière des pastiches visuels truculents de l’Arlésienne Nicole Gravier, réalisés dans les années 1970 sur la condition féminine, le monde de l’art et sur les séries policières américaines. À l’église des Trinitaires, ce sont les monumentales compositions noir et blanc de la Polonaise Zofia Kulik qui ont retenu l’attention par la singularité des autoportraits ou des fresques dénonçant le totalitarisme et foisonnantes de références.

La valorisation d’archives photo de tous types se poursuit, elle aussi, avec des présentations de plus en plus élaborées. Les archives détenues par le collectionneur Jean-Marie Donat du Studio Rex, à Marseille, où venaient se faire photographier nombre d’immigrés entre 1966 et 1985, ont ainsi été particulièrement bien mises en valeur comme celles d’Agnès Varda ou de la Casa Susanna où des pères de famille de la classe moyenne américaine se retrouvaient dans les années 1950-1960 pour se travestir en femmes. Lauréat de la bourse de recherche curatoriale 2022, le projet photographique « Entre nos murs – Téhéran, Iran 1956-2014 » du duo d’artistes Sogol & Joubeen, mené à partir d’une archive familiale, s’avère particulièrement intéressant quant aux dispositifs déployés pour raconter l’histoire d’une maison construite à Téhéran dans les années 1950 et de ses habitants.

Bourses, prix et parutions de livres créent un vivier toujours plus important d’expositions à Arles. Si cette troisième tendance donne la plupart du temps une visibilité à de jeunes photographes, elle permet aussi à des photographes confirmés jamais exposés par les Rencontres d’intégrer la programmation, comme la Française Dolorès Marat qui bénéficie pour la première fois d’une exposition à la faveur de la parution d’un opus sur son travail, chez Actes Sud. Les liens directs de l’éditeur avec l’association du Méjan, créée par Jean-Paul Capitani et Françoise Nyssen, offrent par ailleurs deux autres expositions de belle teneur, liées à la parution de livres : Ground Noise de Céline Clanet pour son regard délicat en noir et blanc sur le monde des insectes et Pays de sang de Spencer Ostrander pour son état des lieux sobre et percutant de la violence par armes à feu aux États-Unis, commenté par Paul Auster.

L’éventail des approches et des écritures documentaires, dernière tendance notable de cette édition, réserve d’autres travaux intéressants, révélateurs de leur époque. Au Musée Réattu, l’immersion au long cours de Jacques Léonard (1909-1954) dans le quotidien de la communauté gitane de Barcelone tranche par son empathie humaniste avec la rigueur froide de l’enquête menée par Matthieu Asselin dénonçant les nuisances causées par une usine de pâte à papier dans les environs d’Arles, montrée au premier étage du Monoprix.

À l’abbaye de Montmajour, le journal Libération revient sur cinquante ans de photo politique et le Manifeste du collectif MYOP montré dans un ancien hôtel offrent un passionnant contrepoint sur la manière d’envisager l’actualité. Ils prouvent que le photojournalisme, quasi absent jusqu’à présent de la programmation du festival y a pourtant toute sa place. La décision de VII (prononcer « seven ») d’installer à Arles sa fondation et son académie, poussée par les photoreporters de cette agence internationale, bouscule la distribution des genres encore en vigueur entre les Rencontres d’Arles et Visa pour l’image à Perpignan, grand rendez-vous du photojournalisme. Si pour son exposition collective inaugurale, « See Through the Noise… », accessible jusqu’au 6 novembre, la fondation n’a pas candidaté pour faire partie de la programmation des Rencontres de cette année, sa direction envisage bien de le faire en 2024.