ARLES
La 55e édition du festival attire de plus en plus les entreprises de luxe confirmant son attractivité. Sa programmation reste très éclectique.
Arles (Bouches-du-Rhône).« Les Rencontres de la photographie d’Arles» se clôtureront plus tard que d’habitude, le 29 septembre, de manière à donner une semaine supplémentaire à la 19e édition d’Une rentrée en Images, conçue pour des scolaires, issus de différentes académies. Cette semaine bénéficiera également aux visiteurs qui privilégient le mois de septembre pour découvrir les expositions, et du même coup aux recettes de billetterie du festival dont la part représente 39 % du budget de 7,45 millions d’euros en 2023. Du moins si la fréquentation 2024 s’avère plus élevée que celle de l’an dernier qui, avec 145 000 visiteurs, avait égalé celle record de 2019, année du 50e anniversaire du festival. D’ores et déjà, la fréquentation de la semaine d’ouverture (20 000 personnes) a atteint un niveau jamais atteint, confirmant avec 35 % de visiteurs internationaux, son importance pour le milieu professionnel. Hors semaine d’ouverture, la proportion tombe à 15 %. Expositions et événements (conférences, vernissages, soirées …), organisés en parallèle du programme officiel des « Rencontres », s’accroissent d’ailleurs d’une année sur l’autre. Le moindre espace disponible à la location est investi par un ou des photographes, des collectifs ou des associations ou fondations initiatrices d’un prix photo.
Passée cette semaine, demeurent les 30 expositions du festival et celles des institutions arlésiennes associées à sa programmation et incluses dans le billet auxquelles s’ajoutent désormais le programme du « off », relancé cette année par l’association arlésienne La Kabine et l’entreprise média-culturelle Fisheye.
Comme d’habitude, la programmation stricto sensu des « Rencontres » ne se départit pas de son éclectisme, l’économie du festival induisant toutefois de plus en plus sa teneur. Sa composition relève de fait pour plus de deux tiers de coproductions, de partenaires, de galeries et de prix divers liés à un mécène ou une entreprise tels que Kering, BMW Groupe, Louis Roederer ou Aperture.
Cette 55e édition ne manque pas moins d’expositions marquantes. Se distingue tout particulièrement la rétrospective Mary Ellen Mark (1940-2015), l’époustouflante collection d’Astrid Ullens de Schooten Whettnall pour son panorama sur la photographie documentaire conceptuelle des années 1930 à nos jours, le récit de Cristina de Middel relatant l’odyssée des migrants traversant le Mexique pour les États-Unis et celui de Nicolas Floc’h sur les bassins versants des fleuves du Mississippi.
Courte mais tout aussi puissante, l’exposition sur Ishiuchi Miyako, et émouvantes l’exploration de la Provence de Vasantaha Yogananthan et l’installation de Sophie Calle aux Cryptoportiques, partie à demi enterrée du forum romain que l’artiste a transformé en sanctuaire de vêtements, d’objets et de photographies, soumis à l’humidité des lieux. Particulièrement intéressantes enfin dans les expositions du Prix Découverte, l’usage de l’intelligence artificielle de Marilou Poncin pour évoquer la solitude et le plaisir charnel à l’aune de la haute technologie, et celui de François Bellabas pour traiter des méga-incendies en Californie. En revanche, décevante car peu claire, la monographie sur les photographes japonaises, pourtant très attendue car inédite, mais qui faute d’une sélection resserrée noie le visiteur.
La diversité des écritures documentaires réserve d’autres temps forts dans les institutions arlésiennes associées au programme des Rencontres avec Stéphane Duroy, par l’association du Méjan, Lee Friedlander sous le regard de Joel Coen chez Luma et Jean-Claude Gautrand au Musée Réattu, la Fondation Manuel Rivera-Ortiz accueillant pour la première fois la 13e édition du Prix Carmignac du photojournalisme, décerné l’an dernier à une enquête de fonds sur les circuits de nos déchets électroniques entre l’Europe et le Ghana. Une première participation pour cette fondation jusqu’alors présente à Visa pour l’Image, qui marque le pôle attractif qu’est Arles pour les opérateurs culturels et artistiques, y compris ceux rares en matière de photojournalisme. En atteste la première participation cette année également de The VII Foundation, née du collectif éponyme de photojournalistes, qui ont choisi Arles pour lieu d’implantation de leur fondation.
Cette 55e édition ne peut toutefois être dissociée des deux tours des élections législatives qui ont pesé sur le début du festival où l’intranquillité a demeuré jusqu’aux résultats finaux. Mais si dans leurs discours d’ouverture, Christoph Wiesner et Aurélie de Lanlay ont évoqué « les valeurs intangibles, progressistes, féministes, écologiques et antiracistes défendues » par le festival et sa programmation, il n’en demeure pas moins que pour les Rencontres comme pour toutes les institutions culturelles de la ville, la difficulté d’attirer les Arlésiens (10 % du public du festival), malgré la gratuité du billet pour eux, demeure une problématique que pour l’instant personne n’arrive à résoudre. La gentrification soutenue du centre-ville et de la semaine d’ouverture de plus en plus marquée par de l’entre-soi ne favorise guère, il est vrai, ni leur venue ni leur adhésion.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Les marques très présentes aux Rencontres de la photographie d’Arles