Festival - Photographie

Arles (13)

Du cinéma, du documentaire, et des images d’archives

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 27 juin 2023 - 1103 mots

Du 3 juillet au 24 septembre, Les Rencontres d’Arles de la photographie proposent près de 30 rendez-vous, avec trois thématiques majeures.

Pas moins d’une trentaine d’expositions sont au programme cet été avec, cette année, quatre têtes d’affiche : Gregory Crewdson, Wim Wenders, Agnès Varda et Saul Leiter (voir ci-contre).

Le premier, le photographe américain Gregory Crewdson (né en 1962), n’avait jamais exposé à Arles. Et c’est aussi la première fois qu’est montrée en France, dans sa totalité, la trilogie qu’il a créée entre 2012 et 2022 sur une petite ville du Massachusetts marquée par la désindustrialisation. Réalisées avec les moyens techniques et humains du cinéma, les trois séries développent des saynètes métaphoriques sur des fractures intimes ou sociétales. Une grande mélancolie se dégage de ces tableaux photographiques montrant la fragilité des êtres et des lieux. S’il en utilise les moyens techniques, Crewdson n’est pas encore passé au cinéma, à la différence d’Agnès Varda (1928-2019) qui a été photographe avant d’être cinéaste. Le focus sur ses photos de Sète le rappelle. La ville, où s’était réfugiée sa famille au cours de la Seconde Guerre mondiale, est devenue sa ville d’adoption et ces images ont participé, en 1954, à la conception de son premier film, La Pointe courte, une chronique sur les questionnements d’un couple en crise et ceux de familles de ce quartier de pêcheurs face aux difficultés de la vie quotidienne. Chez Wim Wenders (né en 1945), cinéma et photographie entretiennent des relations tout aussi étroites. Sa pratique du Polaroid au fil des rencontres, des voyages ou bien de repérages pour un film ou un tournage s’apparente à un journal intime. Pour sa première exposition à Arles, le cinéaste allemand a choisi de présenter les clichés du tournage de L’Ami américain, sorti en 1977, avec Bruno Ganz et Dennis Hopper.

UNE ATTENTION PARTICULIERE A LA COULEUR

L’intime irrigue tout autant l’univers de l’Américain Saul Leiter (1923-2013), pionnier de la photographie couleur. S’il appartient à une autre génération et à une autre époque, on trouve chez lui la même sensibilité aux êtres et à la ville. Ses photographies, dessins et peintures, ici réunis, le démontrent. Le regard qu’il porte sur la beauté des rues de New York se nourrit autant de sa passion pour l’art japonais que de son goût pour les impressionnistes et les postimpressionnistes français. Cette approche des êtres, des situations de l’ordinaire et ce traitement si particulier de la couleur et de l’instant, on le retrouve également chez Dolorès Marat (née en 1944). Cette coloriste atypique et délicate conçoit des instantanés et des tirages Fresson (du nom d’un procédé pigmentaire, inventé au XIXe siècle par la famille du même nom, qui donne à la photo une texture très particulière, au rendu très sensuel). Cette monographie répare le manque de visibilité donné jusqu’à présent à ce travail de toute beauté. Autre élément marquant, les femmes photographes, toutes générations confondues, sont particulièrement nombreuses cette année. La plupart sont largement méconnues en France. L’exposition Søsterskap révèle ainsi 18 autrices de générations différentes, issues de la scène nordique et regroupées pour le regard qu’elles posent sur l’émancipation des femmes de leur pays respectif. Parmi elles, la jeune photographe finlandaise Emma Sarpaniemi signe l’affiche officielle du festival, avec un autoportrait à la manière de Cindy Sherman. De son côté, la relecture des créations de Nicole Gravier, une photographe née à Arles en 1949, met en lumière les détournements ironiques sur la condition féminine qu’elle réalisa dans les années 1970-1980. Changement de ton et de formes avec les fables visuelles et les autoportraits en noir et blanc de la Polonaise Zofia Kulik, autre féministe de la même génération que Nicole Gravier. Ici, la critique puise sa source dans la résistance que l’artiste a menée très jeune contre le régime communiste, puis contre tout régime totalitaire.

DU DOCUMENTAIRE SOUS TOUTES SES FORMES

L’approche territoriale est un autre axe fort de la programmation cette année. De l’exposition d’Hannah Darabi (née en 1981) sur la diaspora iranienne installée à Los Angeles à l’inventaire au long cours d’Éric Tabuchi (né en 1959) et Nelly Monnier (née en 1988) sur tous les types de constructions présents en France, le registre du documentaire convoque différentes expressions. Au cloître Saint-Trophime, les paysages camarguais d’Eva Nielsen, lauréate du prix BMW Art Makers, flirtent au contraire avec l’abstraction, métaphore de leur fragilité, tandis que les grands formats de Juliette Agnel (née en 1973, et lauréate du prix Niépce 2023) présentés aux cryptoportiques explorent l’univers impressionnant des grottes d’Arcy-sur-Cure, ornées de peintures pariétales. Les générations actuelles de photographes ne manquent pas de talent. L’éclairage de la scène sud-asiatique, en particulier indienne, qu’apporte cette année le prix découverte de la Fondation Louis Roederer, révèle à cet égard 11 photographes de cette partie du monde, totalement méconnus en France. Quant à la carte blanche d’Amnesty International donnée aux photographes du collectif Myop, créé à Paris en 2005 et qui compte aujourd’hui 22 membres, elle offre une iconographie des manifestations à travers le monde durant les dernières décennies.

LA PHOTO D’ARCHIVE A L’HONNEUR

Enfin, l’intérêt porté à la photo d’archive est l’autre dominante notable de cette édition. Il s’exprime dans ses différents usages et par la valorisation d’archives de photographes ou de cinéastes, à l’instar, par exemple, du focus sur les scrapbooks (albums de notes, de photos, de dessins, etc.) conçus par une dizaine de réalisateurs, du Français Chris Marker (1921-2012) à l’Américain Jim Jarmusch (né en 1953). De leur côté, les photographies de plateau de Pierre Zucca (1943-1995) rappellent le temps où ces images servaient à la promotion des films à l’entrée des salles de cinéma. Le Prix Women in Motion 2023 pour la photographie, décerné à Rosangela Renno par Kering et Les Rencontres d’Arles, entraîne sur un autre type d’usage : depuis plus de trente ans, l’artiste brésilienne construit à partir de photographies anonymes des récits sur l’histoire de son pays ou sur d’autres États. Elle les développe via différentes installations, comme cette immense fresque présenté à Arles et constituée à partir de 785 petites photos de statues de Lénine récupérées sur Internet. À l’abbaye de Montmajour, ce nouvel éclairage de l’histoire prend une tout autre forme, celle d’une sélection de photographies commandées ou publiées par le quotidien Libération, emblématiques de la ligne photographique du titre, qui fête cette année ses 50 ans. Une histoire du monde depuis 1973 se raconte, tandis qu’au Musée Réattu, le retour sur Jacques Léonard (1909-1994), réalisé à partir de ses archives, permet de découvrir des reportages, notamment sur la communauté gitane de Barcelone, que le temps avait effacés des mémoires et qui, à la faveur du festival, sortent des limbes de l’oubli.

« Les Rencontres de la photographie d’Arles »,
du 3 juillet au 24 septembre, Arles (13), www.rencontres-arles.com

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°766 du 1 juillet 2023, avec le titre suivant : Du cinéma, du documentaire, et des images d’archives

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